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Niger: Areva entre rêves et revers
Publié le lundi 22 avril 2013   |  Reuters


El
© Autre presse par DR
El hadj Issoufou Mahamadou et Francois hollande


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Un document confidentiel dévoile les coulisses des rudes tractations entre le géant français du nucléaire civil et un pays sahélien qui, malgré son pactole en uranium, demeure l’un des plus pauvres de la planète. Cours en berne, insécurité, enjeux politiques : un vrai casse-tête.

C’est un document "confidentiel" de six feuillets daté du 9 novembre 2012. Intitulé "Minutes de meeting", ce compte rendu détaillé rapporte les conclusions d’une réunion de travail tenue à Paris entre Massaoudou Hassoumi, directeur de cabinet du président du Niger, Mahamadou Issoufou, et un triumvirat de la société Areva, no 1 mondial du nucléaire civil, emmené par son directeur général adjoint, Olivier Wantz. Pour l’essentiel, les discussions portent sur le devenir du gigantesque site d’Imouraren, deuxième mine d’uranium à ciel ouvert de la planète, pour lequel le groupe français a consenti 2 milliards d’euros d’investissements. Au-delà, le texte cosigné par Hassoumi et Wantz a le mérite de décrypter tous les enjeux d’un marché aussi vital pour les pays producteurs, à commencer par le très pauvre Niger - 186e et dernier au classement 2013 de l’indice de développement humain des Nations unies -, que pour leurs clients nantis, voraces en énergie. Marché plombé par la chute des cours mondiaux, rançon du désastre de la centrale japonaise de Fukushima (mars 2011), mais à très haute teneur en radioactivité politique.

En filigrane, une évidence : le calendrier technico-économique d’Areva et l’horizon électoral nigérien ne s’accordent guère. Elu en mars 2011, Mahamadou Issoufou exige la "mise en production" d’Imouraren, prévue initialement dès 2012 mais depuis lors différée à plusieurs reprises, avant le terme de son quinquennat. D’autant qu’il briguera alors un second mandat. Ainsi, quand Olivier Wantz préconise un lancement à la mi-2016, il s’attire une ferme mise au point de l’émissaire de Niamey : "M. Hassoumi, lit-on, réaffirme que le Niger a très peu de marge de manoeuvre quant à la date de démarrage", s’agissant d’un "projet majeur du programme du président de la République et d’un engagement fort vis-à-vis du peuple nigérien". "L’année 2015, conclut-il, est une échéance politique importante qu’il convient de ne pas dépasser."

"Non à Areva !" "A bas l’impérialisme !"
Peut-on être plus clair ? Les signataires conviennent donc d’un artifice de casuiste : le décollage officiel de l’usine sera célébré non à la sortie du premier fût, mais "au début de la mise en tas du premier minerai d’uranium", soit au troisième trimestre 2015...

Le 7 avril, Issoufou enfonce le clou au détour du "message à la Nation" délivré à l’occasion du deuxième anniversaire de son investiture : "Imouraren, déclare-t-il, entrera en production, plaise à Dieu, à la mi-2015." "Trop tôt au vu des cours mondiaux", assène en écho un cadre d’Areva familier de l’échiquier sahélien. Mais voilà, l’élu doit tenir compte des rancoeurs d’une opinion pressée de voir la manne uranifère adoucir son quotidien. Un mois plus tôt, 2 000 étudiants, outrés par les travers d’un partenariat jugé inéquitable, avaient défilé à Niamey aux cris de "Non à la France !", "Non à Areva !" et "A bas l’impérialisme !" Grief récurrent, volontiers invoqué en haut lieu. En son temps, l’ancien président Mamadou Tandja, renversé en février 2010, avait obtenu le quasi-doublement du prix de la tonne de minerai. Recourant au passage à l’efficace martingale du "chantage pékinois" : il menaçait d’évincer Areva au profit d’autres opérateurs, venus notamment de l’empire du Milieu. Depuis, la donne s’est compliquée. Selon toute vraisemblance, le groupe que préside Luc Oursel finalisera, fin avril à Pékin, l’entrée du chinois CNNC dans le capital d’Imouraren SA...

La relation privilégiée que François Hollande entretient avec le "camarade" Issoufou, croisé hier dans les coulisses de l’Internationale socialiste et seul chef d’Etat africain qu’il rencontra durant sa campagne, dicte-t-elle le tempo du tango tumultueux que dansent Areva et le Niger ? Pas vraiment. "Prix de la tonne ou montant de royalties, nous n’avons pas vocation à intervenir dans les négociations commerciales, soutient un conseiller élyséen. Mais il va de soi qu’en tant qu’actionnaire majoritaire d’Areva, nous sommes tenus informés des discussions." Enclin à choyer le Niger, allié loyal sur le front malien, Paris lui a consenti en 2012 une aide budgétaire de 10 millions d’euros - soit près du quart de l’enveloppe mondiale des subventions made in France - ainsi qu’un prêt d’un montant cinq fois supérieur. Mais, jure un homme du sérail, l’Elysée n’est pour rien dans le pactole (35 millions sur trois ans) promis par Areva à Niamey. Non pas, comme le prétend la version officielle, pour financer la sécurisation des sites uranifères, mais en guise d’indemnité de retard. Dans le document dont L’Express révèle ici la teneur, il est question du "manque à gagner généré par le report probable au-delà de la fin 2014" d’un projet appelé à doubler la production du Niger.

Il n’empêche : la sécurité constitue bien un enjeu crucial. Nul n’a oublié que quatre des otages français détenus au Sahel par la mouvance djihadiste, salariés de filiales d’Areva, furent enlevés en septembre 2010 à Arlit, berceau de l’aventure nigérienne du groupe. Lequel, reconnaît Olivier Wantz face à l’envoyé de Niamey, peine à attirer des entreprises partenaires sur un chantier isolé et dépourvu d’infrastructures d’accueil, du fait de la "situation sécuritaire dans la région". En la matière, le dispositif de protection a été singulièrement renforcé, avec le déploiement d’unités d’élite nigérienne et française. Depuis l’assaut meurtrier lancé en janvier sur le complexe gazier algérien d’In Amenas, plusieurs dizaines de membres des forces spéciales hexagonales sillonnent les abords des sites miniers.

Des estimations revues à la baisse à l’horizon 2020
Pessimisme à brève échéance, confiance mesurée à terme : ainsi

apparaît, au détour du document ici dévoilé, la vision que se fait Areva du marché mondial de l’uranium. Ses stratèges ont revu à la baisse d’environ 15 % leurs estimations du parc nucléaire mondial à l’horizon 2020 et anticipent, sur fond de surproduction chronique, la "mise sous cocon" - autrement dit, le gel - du projet namibien de Trekkopje, où furent engloutis plus de 800 millions d’euros de mise de fonds. Dans ce contexte, Wantz envisage devant le "dircab" du président Issoufou que Imouraren et son aînée Cominak - la plus grande mine souterraine de la planète, exploitée depuis 1978 - deviennent "marginales", voire que la dernière nommée soit vouée à la fermeture. Paradoxe ? Le DG adjoint d’Areva juge en revanche "très porteuses" les perspectives à long terme. Projection corroborée par Raphaël Homayoun Boroumand, professeur d’économie à l’ESG Management School. "2013 sera une année charnière, souligne cet expert. On perçoit un net rebond de la demande, stimulée par la Russie, l’Inde, la Chine et la Corée du Sud. Il y a aujourd’hui 62 réacteurs en construction, dont 26 en terre chinoise. D’où le regain d’optimisme perceptible au sein de certains groupes miniers."

A ce stade, une certitude : quels que soient les aléas des cours mondiaux, l’ancien ingénieur des Mines Mahamadou Issoufou ne s’en laissera pas compter. L’homme connaît la chanson : il fut, dans une vie antérieure, directeur d’exploitation de la mine d’Arlit, puis secrétaire général de la Somaïr, filiale d’Areva...

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