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Mahaman Laouan Gaya, Ancien Ministre, Ancien Secrétaire Général de l’Organisation des Producteurs de Pétrole Africains (APPO) : « Pour l’instant, rien ne peut arrêter la folle ascension des cours des ressources énergétiques »

Publié le vendredi 25 mars 2022  |  Le Sahel
M.
© Autre presse par DR
M. Mahaman Laouan Gaya, Secrétaire Général de l`Organisation des Producteurs de Pétrole Africains (APPO)
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Monsieur le Ministre, vous êtes expert des questions énergétiques et pétrolières. Que vous inspire la présente crise russo-ukrainienne sur le marché des énergies ?

Comme donc le savez, le jeudi 24 février 2022, l’armée russe a engagé une « opération militaire » en Ukraine pour des raisons de géopolitiques régionale et internationale. Dès l’entame de cette invasion, les Etats-Unis et l’Union Européenne décident, dans la précipitation de riposter vite et fort en lançant plusieurs salves de sanctions contre la Russie (divers embargos économiques, y compris sur les ressources énergétiques). Aussitôt, les prix du pétrole ont dans les échanges intra-journaliers, crevés le plafond des 100 dollars US (US$) pour afficher 100,54 US$ pour le baril du brut américain « West Texas Intermediate » – WTI coté à New-York, et 105,75 US$ pour le Brent de la mer du Nord coté à Londres. Le 07 mars dernier, ces deux bruts de référence ont aisément atteint les 130,50 US$ pour le WTI et 137,00 US$ pour le Brent, menaçant de franchir la barre des 147,50 US$ le baril ; le maximum historique atteint le 11 juillet 2008 au plus fort de la crise des subprimes.

Le charbon et le gaz naturel, ressources dont la Russie est le premier producteur/exportateur mondial, ont également vus leurs prix exploser dans les instants qui ont suivi cette invasion de l’armée russe. Bien que cette crise russo-ukrainienne ne soit pas la seule raison de cette récente flambée des cours des matières premières et produits énergétiques ; elle joue néanmoins et continuera très certainement à jouer un rôle fondamentalement accélérateur dans la détermination des prix de l’énergie (gaz, pétrole, charbon,…).

Pour l’instant, rien ne peut arrêter la folle ascension des cours des ressources énergétiques (gaz, pétrole, charbon et même l’électricité), sachant que le refus des pays occidentaux d’acheter du pétrole russe va aboutir à des conséquences catastrophiques pour le marché mondial et en particulier les consommateurs européens. Les cours du pétrole vont très certainement se stabiliser pour une longue période autour (et plus sûrement au-dessus) des 100 US$ le baril, parce qu’outre les conséquences de la crise russo-ukrainienne, ils sont dopés par des perturbations de l’offre, de vives tensions géopolitiques (Les tensions géopolitiques en Libye, Nigeria, Angola, Venezuela, Iran… font craindre une possible baisse de l’approvisionnement en hydrocarbures) et une remontée de la demande, malgré la persistance du Covid-19. Dans la même dynamique que le pétrole brut, les prix du gaz ont aussi flambé sur le marché international. Dès le lendemain de l’invasion de l’armée russe, le marché de référence du gaz naturel en Europe, le TTF (Title Transfer Facility) néerlandais partait à la hausse, à 129,00 euros (€) le mégawattheure (MWh, c’est-à-dire 1000 KWh) pour après battre son record historique en cotant à 194,00 €.

Le 08 mars dernier à la Bourse Gazière d’Amsterdam, le gaz a bondi à 255,00 € le MWh, pour après culminer à 345,00 €. En novembre 2021, le MWh de gaz y était encore coté autour de 50 € ! Je voudrai au passage, préciser que le Mégawattheure (MWh), le Mètre Cube (m3), le British Thermal Unit (BTU) et le Gigajoules (GJ) sont des unités de mesure du gaz naturel que vous pouvez rencontrer très souvent sur les marchés de l’énergie ou sur les factures de gaz domestique dans certains pays. Un GJ de gaz naturel équivaut approximativement à 0,948 BTU et produit la même quantité d’énergie que 27 litres de mazout, 26 litres d’essence ou 277 KWh d’électricité.

Alors, quelle place pour l’Afrique dans ce nouvel ordre économique mondial ?

Tous les ingrédients d’une crise internationale, la plus grave depuis la Seconde Guerre mondiale, sont réunis. Les menaces d’élargissement de l’Union Européenne et de l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie était l’arbre qui cachait la forêt ; cette forêt, en l’occurrence, étant l’affrontement depuis la chute du mur de Berlin et l’éclatement de l’Union Soviétique, entre Washington et Moscou pour l’hégémonie mondiale à partir du contrôle du marché mondial de l’énergie et des matières premières stratégiques. Dans cette situation de bouleversements géopolitiques provoqués par cette crise, les dirigeants africains ne doivent pas rester dans une logique de subordination les obligeant à choisir un camp plutôt qu’un autre. Ils doivent faire émerger une véritable et courageuse politique étrangère africaine, responsable, souveraine, débarrassée de tout diktat et contrôle de quelques puissances étrangères qu’elles soient.

En matière de sécurité et de défense, nous devrons compter sur nos propres forces (nationales, régionales ou continentale) parce que dans un monde qui certainement sera totalement déréglé, sous-traiter sa sécurité avec une puissance étrangère serait une erreur stratégique fatale. En choisissant de ne pas choisir de camp, les pays africains, loin de prendre position dans cette crise (nous n’avons d’ailleurs absolument rien à voir avec un conflit intra européen), doivent préserver une politique étrangère dépolarisée, interagissant sur des pôles de puissance qui nous sont utiles. Cependant, cette crise avec son risque d’enlisement, peut constituer une excellente opportunité pour les pays africains de développer des stratégies minière, pétrolière et gazière communes, robustes et rentables, permettant de répondre aux besoins économiques et énergétiques du continent et de tout autre partenaire intéressé par nos ressources énergétiques et extractives.

Face aux risques de ruptures d’approvisionnement en hydrocarbures, les pays européens cherchent, dans l’urgence, à réduire leur dépendance vis-à-vis de la Russie et se mettent actuellement en quête de nouveaux fournisseurs. Nous devons certes mettre tout en œuvre pour bénéficier du marché extérieur, mais d’abord et surtout du marché intérieur africain. En effet, l’Afrique entière pèse pour plus de 13% des exportations pétrolières mondiales, mais à contrario ne consomme en produits pétroliers qu’à peine 4% de la part mondiale. Les pays d’Afrique restent encore très tributaires de leurs exportations de pétrole brut, tant en termes de devises que de recettes et paradoxalement, une part importante des besoins de l’Afrique en produits raffinés, est importée majoritairement d’Asie et d’Europe. Pour mettre un terme à ce paradoxe et tirer profit de cet environnement favorable, nous sommes appelés à créer et sécuriser des marchés physiques pétroliers (régionaux et continental) notamment les flux entre les zones de production et les zones d’approvisionnement et de consommation.

Quelle pourrait être la conséquence de cette crise énergétique mondiale pour le cas précis du Niger, également pays producteur de ressources énergétiques comme l’uranium et le pétrole ?

Par rapport à la stratégie à adopter face à cette situation de pénurie d’hydrocarbures en Europe, il y a lieu de rappeler justement l’accord pour la construction d’un gazoduc trans-saharien (TSGP ou NIGAL) d’une longueur de 4128 km, d’une capacité annuelle de 30 milliards m3 et qui partira de Warri au Nigeria et rejoindre l’Algérie en passant par le Niger signé à Niamey, le 18 février 2022 entre les ministres algérien, nigérian et nigérien en charge des hydrocarbures en marge de la 3ème conférence de la CEDEAO sur les mines et le pétrole (ECOMOF). Ce gazoduc permettra aussi l’alimentation sur son passage des régions du Nord, du Nord-est et du Centre du Nigeria ainsi que le Niger, le Burkina Faso et le Mali. Les retombées pour le Niger sont inestimables : ce gazoduc devrait stimuler l’exploration du gaz naturel au Niger, créer des emplois, développer une industrie énergétique (centrale électrique, gaz domestique,…), développer une industrie pétrochimique, de production d’engrais,…

Il faut dire que, bien que le Niger ‘’coincé‘’ géographiquement et géologiquement entre l’Algérie, la Libye, le Tchad et le Nigéria (tous gros producteurs d’hydrocarbures), il est certain, que tôt ou tard, notre pays connaitra par la grâce de Dieu, le même miracle pétrolier que ses voisins sus-mentionnés. En effet, le Niger dispose d’un potentiel pétrolier lié à deux grands bassins sédimentaires qui couvrent 90% du territoire national et de grosses et très agréables surprises, particulièrement dans le bassin des Ullimenden à cheval entre la partie Ouest du Niger, l’Est du Mali et le Sud algérien ne sont pas à exclure. Tout ceci confère à notre pays, le statut d’une future puissance pétrolière…. inch’Allah et aussi de devenir une plaque tournante pour les hydrocarbures, la pétrochimie et les produits associés en Afrique de l’Ouest.

Les projets de gazoduc transsaharien et du pipeline export Niger-Bénin (qui a bien besoin d’une réévaluation pour une meilleure rentabilité) ne font que renforcer cette tendance. Les infrastructures énergétiques prévues stimuleront la croissance du Niger et le positionneront comme un carrefour énergétique entre l’Afrique subsaharienne riche en ressources extractives et énergétiques et les marchés européens en panne de ressources. Ce sont là de très bonnes opportunités d’investissements dans le secteur extractif et énergétique à la recherche de rendements attractifs dans un Niger qui constituera une des zones les plus prometteuses d’Afrique.

Assurément, avec des réserves de gaz naturel récupérables estimées à 24 milliards m3 et des probables découvertes, le gazoduc permettra au Niger d’évacuer l’excédent de sa production future vers les marchés européens.

Comment entrevoyez-vous l’évolution de la situation, à la lecture des sanctions économiques prises à l’encontre de la Russie ?

Citant le révolutionnaire russe, Leon Trotski qui disait que ‘’la guerre, c’est la locomotive de l’histoire‘’, Jocelyn Chan Low, historien et ‘’Associate Professor‘’ à l’Université de l’Ile Maurice, assure que la guerre actuelle est révélatrice du nouvel ordre mondial qui se dessine. Depuis l’arrivée de Poutine au Kremlin, les russes se sont discrètement et minutieusement préparés, élaborés toutes sortes de stratégies et selon des analystes, l’objectif du Kremlin étant non seulement de reconquérir les anciens territoires soviétiques (internes comme externes perdus), mais au-delà faire voler en éclats l’alliance de l’OTAN.

Sur le plan militaire, il est indéniable que la Russie de Poutine a laissé les occidentaux s’endormir depuis la chute du Mur de Berlin pour très sérieusement se doter d’indéniables capacités militaires et militaro-industrielles, d’armements ultra sophistiqués en très grande quantité et procédé à des recrutements massifs dans l’armée. Aucun pays ou regroupement, pas même les Etats-Unis et l’OTAN ne peuvent en ce moment-ci tenir tête à l’abondant et ultra moderne arsenal militaro nucléaire de la Russie.

Sur le plan énergétique, Moscou n’est pas en reste, et de façon préventive, Vladimir Poutine a pris soin d’accroître la vulnérabilité de l’Europe de l’Ouest en matière énergétique avant même de franchir les frontières ukrainiennes. Il a fait de l’énergie une arme redoutable et a pour se faire, il a élaboré avec son équipe de stratèges du Kremlin des dispositifs extrêmement stratégiques difficilement démontables. Avec les seuls gazoducs Turk-Stream et North-Stream 1, Moscou dispose d’une arme redoutable pour aisément faire plier directement l’Allemagne, l’Ukraine et la Turquie et indirectement le reste de l’Europe ; le Président turc Recep Tayyip Erdogan étant d’ailleurs prêt à accompagner Vladimir Poutine dans cette aventure. Depuis le début de cette crise, les 2/3 des exportations du pétrole russe (qui va en Europe) via la Mer Noire et la Mer Baltique ont commencé à déserter le marché. Aujourd’hui, ce sont donc 3 à 4 millions de barils par jour de pétrole russe qui sont bloqués et au fur et à mesure que le conflit perdure, ce seraient les pipelines en provenance des gisements de pétrole de Russie qui seront bloqués.

A l’heure actuelle, aucun pays du monde ne peut compenser le déficit en pétrole brut sur le marché international, et selon certains analystes, il faut s’attendre à voir le baril frôler les 150, voire 200 US$ d’ici la fin du conflit. Et si cette situation arrivait, les Etats-Unis n’auront d’autres choix que d’arrêter systématiquement l’exportation de leurs hydrocarbures (pétrole brut, gaz et produits pétroliers). Avec une telle hypothèse, le monde n’aura plus accès aux pétroles russes et américains et la répercussion sur tous les secteurs inévitables.

Sur le plan financier et des relations financières internationales, les experts prétendent qu’actuellement, les réserves financières du Kremlin peuvent tenir au moins deux (2) ans d’embargo occidental. Aux dernières nouvelles, la part du Yuan dans les réserves de change russes est désormais cinq (5) fois supérieure à la moyenne internationale.

Depuis la crise des subprimes de 2008 (l’année où la FED s’est mise à faire tourner la planche à billets), Moscou a accumulé suffisamment d’or qui lui a permis de liquider quelques 100 milliards de US$ de dettes en 2018. Par ailleurs, tout laisse penser que le dollar américain va perdre inévitablement et très prochainement son rôle de référence pour les transactions et les règlements internationaux. La Chine exige déjà le règlement de ses factures extérieures en Yuan (monnaie chinoise). De nombreux autres pays rejoignent cette fronde monétaire et démantèlent discrètement leur arrimage au dollar ; c’est le cas de l’Iran, de la Biélorussie, de la Corée du Sud, du Bangladesh, du Pakistan, des Philippines, de l’Indonésie, du Vietnam, du Venezuela, de la Turquie qui ont déjà sauté le pas.

Autre signe qui ne trompe pas, l’Arabie Saoudite vient d’inviter le président Xi Jinping à visiter le Royaume, et Ryad (principal allié de Washington) serait prête à accepter toute monnaie (le Yuan) autre que le dollar pour le paiement de son pétrole. La déconnexion des banques russes du système de transfert et messagerie SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication) à partir du 12 mars dernier décrite comme ‘’l’un des outils les plus puissants dont disposent les autorités occidentales pour punir la Russie‘’, a été une mesure des plus ridicules ; l’impact économique de cette seule mesure a été un fiasco. Il est clair et évident que la Russie d’une part les Etats-Unis, et l’Union Européenne d’autre part, se vouent une haine implacable et Vladimir Poutine est plus que déterminé à se venger et laver définitivement l’humiliation subie par l’Union Soviétique et ses alliés de l’Europe de l’Est depuis la chute du mur de Berlin.

Par Ali Mamane(onep)
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