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Niger : Persistance des pratiques esclavagistes malgré l’opposition de la loi

Publié le samedi 11 novembre 2023  |  Agence Nigerienne de Presse
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© AFP par FADEL SENNA
Des migrants subsahariens manifestent devant l`ambassade de Libye à Rabat, au Maroc pour dénoncer l`esclavage, le 23 novembre 2017.
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Au Niger, l’esclavage persiste sous plusieurs formes dans diverses localités du pays, malgré les multiples instruments juridiques mis en place pour l’éradiquer. On distingue généralement trois (3) grandes formes de l’esclavage, à savoir : l’esclavage traditionnel, l’esclavage idéologique et la pratique de la Wahaya.

A ce 21ème siècle encore, l’esclavage traditionnel, caractérisé par des épreuves physiques, est toujours en cours dans certaines contrées, notamment les communautés nomades ayant une organisation sociale de type traditionnel et où l’autorité de l’Etat est peu présente, selon des témoignages concordants des spécialistes de droit et des organisations anti-esclavagistes.

L’une des formes persistantes de cette exploitation d’Homme par l’Homme est celle que les spécialistes appellent l’esclavage traditionnel.

L’esclavage traditionnel se caractérise par l’effectivité des attributs des droits de propriété sur la victime et son exploitation permanente et totale par le maître, du fait de sa présence domestique au sein du foyer de ce dernier. Ici, l’esclave est une chose, c’est le maitre qui décide à sa place, il dispose de l’esclave comme il veut avec le droit de vie et de mort sur ce dernier. Même son intimité est à la merci de son maitre. Le soumis est l’égal du bétail qui ne connait ni repos ni loisir.

Ces pratiques prospèrent sur le terreau de l’ignorance, de la pauvreté, d’un certain délitement de l’Etat et de l’archaïsme de la société, note Dr Laouali Mahaman DAN-Da, juriste.

L’esclavage procure de ressources par l’exploitation d’une main-d’œuvre corvéable et de surcroit confère de prestige lié au statut social, fait remarquer Moustapha Kadi, président de RDM/Tanafili.

Le Secrétaire Général de l’association Islamique, Youssou Mounkeila ôte tout fondement islamique à cette pratique : « nous sommes tous issus d’Adam et Eve et créés à partir de l’argile » et « nous avons la même origine donc personne n’est venue au monde pour être esclave ».

L’esclavage idéologique



Dans des nombreuses localités, l’esclavage se pratique par ascendance, à travers un système de castes, métiers considérés comme étant dégradants. Les victimes de ce type d’esclavage vivent rarement avec leurs maîtres sous le même toit comme dans l’esclavage actif.

Les manifestations de cette pratique sont nuancées suivant les zones et les communautés.

Chez les Haoussa (ethnie majoritaire) de Tahoua (Nord-Est) par exemple, les métiers sont des activités économiques, de ce fait les griots, les bouchers ou les tisserands ne sont pas considérés comme d’origine servile, selon Moustapha Kadi, membre de la lignée régnante à Illela et Président d’une association anti-esclavagiste.

En revanche, dans l’Ouest du pays, chez les Zarma-Songhai, certaines professions sont castées. Si dans certaines communautés, une personne d’origine servile peut accéder au statut de noble par affranchissement volontaire du fait du maitre, dans les milieux Zarma Songha, Ouest, cette faveur de recouvrement de la dignité n’existe pas. Sous ces latitudes, on nait esclave et on le demeure à vie, l’idéologie étant la reproduction par naissance, comme l’écrit Dr Galy Abdelkader dans son étude ‘’l’Esclavage au Niger’’.

La stigmatisation est non seulement sociale, économique, politique mais elle peut aussi être spatiale dans certaines contrées. Dans la vie comme devant la mort, les personnes sont inégales selon leur ascendance.



La pratique de Wahaya



Cette pratique renvoie à une forme détournée de l’esclavage féminin où la wahaya s’occupe de tous les travaux domestiques quel que soit le nombre d’épouses légales du maître, un nombre ne devant pas dépasser 4 conformément aux prescriptions de la religion musulmane dominante au Niger. Car, tout se passe en milieu musulman ou animiste.

Cette pratique concerne de jeunes filles esclaves ou d’origine servile que leur maître vend à d’autres personnes généralement inconnues des parents directs de la victime. Chez le nouveau maître, elle est aussi l’objet de satisfaction occasionnelle de ses désirs sexuels, mais de manière clandestine.

La demande pourrait être parfois interne lorsqu’il s’agit d’une opération sollicitée par un résident à l’intérieur du Niger mais surtout externe à partir de certains Etats du Nord Nigéria. (DR Zangao Moussa), dans une étude sur l’état de lieux de lutte contre l’esclavage au Niger, 2018).

Le phénomène était développé dans la région de Tahoua au niveau de 3 départements (Madaoua, Konni, Illela), appelé ‘’triangle de la honte’’ par les organisations anti-esclavagistes.

Ici aussi, de plus en plus, de peur des ennuis judiciaires, les pratiques tendent à se revêtir de vernis de légalité. Elles sont en général le domaine réservé des fortunés, des membres de l’aristocratie politique et religieuse, selon les témoignages des organisations de la Société civile.

Si à l’Ouest du pays, le descendant d’une wahaya reste de conditions serviles, de ce fait il n’a droit à aucun héritage, par contre dans certaines localités de l’Est du pays (Tahoua, Agadez, Maradi) l’enfant né de cette liaison jouit de la plénitude des droits y compris la succession au trône de la chefferie, selon des témoignages concordants. L’esclavage, une faute grave au regard du Droit nigérien.

Pour lutter contre l’esclavage et toutes les pratiques analogues, le Niger a adhéré à l’essentiel des instruments juridiques internationaux qui l’interdisent.

Au plan national, la Constitution du Niger réaffirme le droit du citoyen d’être libre de toute forme d’esclavage et consacre le principe d’égalité devant la loi, sans discrimination de sexe, d’origine sociale, raciale, ethnique ou religieuse.

En 2003, la loi n° 61-27 du 15 juillet 1961 portant institution du Code Pénal a été modifiée afin de criminaliser l’esclavage. Le Niger a aussi adopté la loi no 2012-45 du 25 septembre 2012 portant modification du Code de travail afin d’offrir une meilleure protection juridique contre les formes contemporaines d’esclavage.

Sur le plan institutionnel, le Gouvernement a mis en place une Commission nationale de coordination de la lutte contre la traite des personnes et le trafic Illicite des Migrants (CNCLTP/TIM) et une Agence nationale de lutte contre la traite des personnes et le trafic Illicite des Migrants (ANLTP/TIM). La CNCLTP/TIM est l’organe d’impulsion, de conception et d’élaboration des politiques et programmes relatifs à la prévention de la traite des personnes. Elle est investie de la mission d’élaborer et de proposer au Gouvernement, les politiques et programmes nationaux de lutte contre la traite des personnes et l’esclavage sous toutes ses formes (esclavage par ascendance, servitude pour dette, servage, traite de personnes aux fins d’exploitation, etc) et d’en assurer leur mise en œuvre, à travers l’ANLTP/TIM qui en est l’outil opérationnel.

Aux côtés d’institutions gouvernementales, plusieurs OSC (Association Timidria, RDM-Tanafili, ANDDH, CNDH, etc) interviennent également dans la lutte contre l’esclavage à travers notamment des actions d’information et de sensibilisation, d’appui à la promotion et à la défense des droits des victimes, de réinsertion socioéconomique des victimes.Cependant, malgré toutes ces avancées et la reconnaissance quasi-unanime du caractère intolérable de l’esclavage en tant qu’atteinte grave aux droits fondamentaux de la personne humaine, ce phénomène social, profondément ancré dans les mœurs de certaines communautés, continue de se pratiquer sous diverses formes.

Dans la synthèse de son rapport annuel 2021 sur l’état des droits humains, la CNDH écrit que « l’un des défis est de rendre les juridictions nationales sensibles au phénomène des pratiques esclavagistes », relevant que « les efforts de l’Etat sont encore très faibles pour assister les victimes et les libérer de cette pauvreté généralisée ».



MSB/AS/ANP 057 Novembre 2023



ASSANE Saley

Journaliste à l'Agence Nigérienne de Presse (ANP)
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