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Décision du 7 décembre 2023 de la Cour de justice de la CEDEAO dans l’Affaire Etat du Niger et 7 autres contre CEDEAO : entre décision politique et déni de justice - Par Abdourahamane Oumarou Ly

Publié le mardi 12 decembre 2023  |  Nigerdiaspora
64e
© Présidence de CI par DR
64e Sommet ordinaire de la CEDEAO à Abuja
Dimanche 10 décembre 2023. Le 64e Sommet ordinaire des Chefs d`Etat et de Gouvernement de la CEDEAOs`est tenu à Abuja
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Un consensus existe aujourd’hui relativement à la personnalité juridique de l’Etat quoiqu’elle ait mis du temps à être admise. Aussi, de nos jours, l’Etat dispose-t-il incontestablement de la personnalité juridique internationale.

L’arrêt du 7 décembre 2023 de la Cour de justice de la CEDEAO, saisie aux fins de constater l’illégalité entachant les mesures prises le 30 juillet 2023 par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO ainsi que de prendre des mesures provisoires, va au-delà de ces seules demandes et aborde la question de la personnalité juridique de l’Etat.

De quoi s’agit-il ? Suite au coup d’Etat survenu au Niger le 26 juillet 2023 et l’avènement au pouvoir du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP), l’Etat du Niger et 7 autres requérants ont saisi la Cour de justice de la CEDEAO, aux fins d’annulation de cette batterie de sanctions y compris la décision de recourir à l’intervention armée contre la République du Niger.

Les parties ont fait valoir leurs moyens et prétentions à l’audience du 21 novembre 2023 par devant la Cour qui a mis l’affaire en délibéré.

Le 7 décembre 2023, la Cour de justice de la CEDEAO a déclaré irrecevable la requête principale ainsi que la requête aux fins de mesures provisoires. Et sur la base du dispositif lu par le vice-président de la Cour, on peut retenir les motifs suivants : "ceux qui représentent l’Etat du Niger sont des militaires qui ont pris le pouvoir par la force et donc ne sont pas reconnus par la CEDEAO et par tous les protocoles que le Niger a signés ;donc ils n’ont pas qualité pour saisir notre Cour, alors ils sont irrecevables ; les autres parties qui ont également introduit des requêtes aux côtés de l’Etat du Niger, la Cour a constaté que les intérêts sont convergents, ils ne poursuivent pas un intérêt différent que celui que l’Etat du Niger poursuit, mal représenté par les militaires, eux aussi, ils sont irrecevables. » (Sic).

La question qui se pose à la Cour est de savoir dans quelles mesures, la non reconnaissance par la CEDEAO des autorités militaires d’un Etat membre, arrivées au pouvoir suite à un coup d’Etat, peut-elle entraîner l’irrecevabilité de leur requête auprès de la Cour de justice de l’organisation ? Par voie de conséquence, si la recevabilité de la demande des autres requérants est liée à celle de la plainte des autorités militaires ?

La position de la Cour a consisté à répondre par l’affirmative :
L’Etat du Niger représenté par des militaires arrivés au pouvoir par la force, non reconnus par la CEDEAO, ne peut pas ester devant la Cour de justice de la CEDEAO ;
La convergence d’intérêts entre l’Etat du Niger représenté par des militaires et les 7 autres requérants (personnes physiques et morales) fait aussi obstacle à la recevabilité de leurs demandes.
Aussi, est-il permis de retenir deux nouveaux principes dégagés à travers la décision de la Cour : d’abord la recevabilité de la requête de l’Etat du Niger est conditionnée à la reconnaissance de ses autorités par la CEDEAO ; ensuite, la constatation de la convergence d’intérêts entre l’Etat et les 7 autres requérants fait subir au recours de ces derniers le même sort que celui du premier.
A l’analyse, la non reconnaissance et la convergence d’intérêts qui ne peuvent constituer une cause d’irrecevabilité (I) dénotent d’une jurisprudence inconstante et capricieuse de la Cour (II), toutes choses qui finissent de convaincre, du moins dans la crise au Niger, sur l’incapacité de l’institution judiciaire communautaire à se défaire des interférences politiques (III).

La non reconnaissance des autorités du Niger par la CEDEAO et la convergence d’intérêts n’entrainent pas le défaut de qualité pour agir.
L’Etat est un sujet de droit, titulaire autonome de droits et d’obligations, détaché par un jeu de fiction juridique de ses dirigeants (A) ; sa prise en charge de l’intérêt général n’empêche pas les personnes morales et physiques qui la composent de défendre chacune la sienne (B).

L’Etat du Niger n’est pas assimilable aux nouvelles autorités.
L’Etat, distinct de ceux qui la dirigent est un principe consacré par le droit international et la jurisprudence.

Il est reconnu que l’État « le plus froid de tous les monstres froids », selon l’expression du philosophe Nietzsche, est doté d’un régime juridique qui lui est propre. Sa personnalité juridique internationale voudrait qu’une distinction claire et nette soit établie entre cette entité et ses dirigeants alors même que les actes des dirigeants lui sont imputables et que l’Etat est personnifié à travers ses premiers responsables, en l’espèce le chef de l’Etat. Cette entité, " titulaire abstrait et permanent du pouvoir, dont les gouvernants ne sont que des agents d’exercice passagers”, selon les termes de Georges Burdeau, est donc représenté et incarné par les dirigeants sans qu’il ait assimilation entre eux.

L’amalgame, qui transparaît dans les propos du vice-président se situe entre la reconnaissance de l’Etat et la reconnaissance du gouvernement ; c’est donc l’Etat qui a la qualité pour ester en justice au nom de sa personnalité juridique propre et non les dirigeants, dont la personne importe peu.

A propos de la reconnaissance du gouvernement, en l’espèce les nouvelles autorités, qui n’est pas déterminante dans le cadre du litige, mais dont il y a lieu de dire un mot, elle-même ne fait pas de doute. En effet, elle peut être tacite, c’est-à-dire se déduire de la conduite de la CEDEAO. Il est de notoriété publique que l’institution négocie avec les autorités en place pour obtenir la libération et le départ du président déchu vers un pays de destination. N’est-ce pas là une reconnaissance tacite ? Dans le même ordre d’idées, elle vient d’annoncer une contribution à la lutte contre le terrorisme aux trois Etats du sahel dont le Niger. L’opinion s’interroge, si jamais cette aide était acceptée, à quelles autorités serait-elle destinée, si ce n’est les autorités en place, soi-disant non reconnues.

La Cour fait fausse route en déniant la qualité à agir à l’Etat du Niger du fait de dirigeants arrivés au pouvoir par la force en ne s’appuyant sur aucune disposition de ses procédures, donc par simple convenance.

Si, scruter le mode d’accession des dirigeants d’un Etat membre pour faire de leur reconnaissance par la CEDEAO, une condition préalable de recevabilité des recours de leur Etat, les activités de la Cour se réduiraient comme peau de chagrin.

Sur tout un autre plan, il y a lieu de faire remarquer que l’Etat du Niger était représenté par le Directeur général de l’Agence judiciaire de l’Etat, bien habilité à assurer cette représentation.

La convergence n’est pas un caractère de l’intérêt qui sous-tend le défaut de qualité pour agir.
Le vieux brocard nous apprend : "pas d’intérêt pas d’action", ceci est particulièrement vrai dans le cas d’espèce. L’intérêt est la condition première pour pouvoir saisir la justice. La doctrine et la jurisprudence la circonscrivent bien cette notion. L’intérêt doit être positif et concret, juridique ou légitime, né et actuel. Dès lors où l’intérêt présente ces caractères, il est justifié. Nul n’est besoin de consacrer de développements pour démontrer que les caractères ci-dessus énumérés sont réunis par les 7 autres requérants. Les intérêts ont beau avoir un point de convergence, il n’en demeure pas moins qu’il n’y a pas concordance ni identité parfaite. Pour mieux illustrer les choses, on prendra l’exemple de l’Etat du Niger et de la NIGELEC. L’Etat poursuit la levée des sanctions dans leur ensemble ; la NIGELEC est intéressée par le rétablissement de la fourniture de l’électricité, contrat privé, dont la rupture lui occasionne des lourdes pertes qui se chiffrent à des milliards de FCFA. Nulle part dans les caractères de l’intérêt sus-énumérés n’y figure la convergence ; sans doute une stratégie ou une volonté affichée de faire retourner les autres plaideurs, et plus généralement le peuple, contre les nouvelles autorités. Le but visé à travers les sanctions de la CEDEAO consiste à affamer, clochardiser le peuple afin de le faire se soulever contre les dirigeants. Comme ceci : « vous voyez les responsables de vos malheurs, ce sont eux, révoltez-vous ! »

En rendant une décision "politique ", la Cour de justice de la CEDEAO n’ignore pas les conséquences qui y sont attachées.

Les (in) conséquences de la décision
La décision n’est pas dans la droite ligne de la jurisprudence de la Cour ; les exemples ne manquent pas. Une plainte du Président déchu aux fins d’obtenir sa libération est pendante devant elle. Il est vrai que ses conseils ont eu au moins la décence de reconnaitre les nouvelles autorités comme étant des autorités de fait, en se gardant bien de soutenir qu’elles ne peuvent pas représenter l’Etat du Niger. Quelle serait alors la position de la Cour ? En application du revirement jurisprudentiel né de la décision examinée, qui assimile l’Etat du Niger aux dirigeants militaires, en toute logique, la plainte contre l’Etat du Niger serait irrecevable, puisque mal représenté. A considérer que ce ne soit pas le cas, c’est-à-dire que le plaignant ait gain de cause, l’exécution de la décision poserait problème ; qui pour l’assurer ?

La décision de la Cour de la CEDEAO va à l’encontre de sa constante jurisprudence qui a toujours accepté les plaintes des Etats (ou contre eux) avec à leur tête des dirigeants issus de régime d’exception. Rien qu’au Niger, on peut citer l’arrêt Tanja Mamadou contre S.E. GEN. Salou DJIBO & L'ETAT DU NIGER _Défendeurs, du 08/11/2010, où la question de l’irrecevabilité ne s’était pas invitée. De même, plus récemment, dans l’Affaire Ibrahim Kassory Fofana et 2 autres contre Etat de Guinée (arrêt du 16 octobre 2023), l’irrecevabilité tirée du défaut de qualité des dirigeants Guinéens, des militaires issus de coup d’Etat, n’a pas été soulevée.

En définitive, la Cour s’est empêtrée dans des écheveaux juridiques qui questionnent sur ses capacités à résister aux pressions politiques dans le traitement des mesures prises par les chefs d’Etat et de Gouvernement.

L’alignement de la décision de la Cour sur les mesures de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement
Si cet alignement résulte d’une simple coïncidence dictée par l’application saine du droit, rien à commenter ; cependant, il se trouve que la décision du 7 décembre 2023 est fondée sur des arguties juridiques, la crainte de ne pas dédire les Chefs d’Etat et de Gouvernement. L’attitude questionne véritablement sur l’indépendance de la Cour, qui semble servir de caisse de résonnance aux mesures de fermeté des princes qui gouvernent. Après le délibéré, des curieux se sont empressés de jeter un coup d’œil sur la composition du jour de la Cour , et en découvrant des noms de ressortissants de pays de la CEDEAO ayant défendu à cor et à cri les sanctions contre le Niger, ont vite conclu que la marge de manœuvre de la Cour était nulle. Tout semble croire que la Cour, très sensible à la position des dirigeants de l’institution, a choisi le conformisme.

C’est peu dire que de manière générale, les décisions des juridictions communautaires (CEDEAO, UEMOA), qui impliquent les institutions politiques ont du mal à se démarquer des mesures politiques imposées. Déjà, au niveau de l’UEMOA, en rendant l’Ordonnance N¨°47/2023/CJ du 16 novembre, le juge a complètement botté en touche en ne se prononçant pas sur la question à lui soumise. Son seul mérité était d’avoir déclaré la requête recevable.

A l’allure où les choses évoluent, il ne faut rien attendre de la bataille judiciaire. Seules les inquiétudes grandissantes suscitées par l’envol irrésistible pris par l’Alliance des Etats du Sahel, pouvaient faire infléchir les dirigeants de la CEDEAO. Après le maintien des sanctions, la transition doit véritablement démarrer à travers la mise en place effective de tous ses organes et leur animation. A l’évidence, le combat entamé est plus politique que judiciaire.

Référence
Emmanuel Tawil, Relations internationales, 3ème édition, Vuibert, 2014.

Abdourahamane Oumarou Ly
Juriste
Arusha





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