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Conférence-débat à l’occasion de la célébration du ’’Mois du Livre’’ : Boubou Hama, son humanisme et sa vision de l’inter culturalité
Publié le mardi 4 fevrier 2014   |  Le Sahel




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Dans le cadre de la célébration du ’’Mois du Livre’’, événement qui donne cette année l’occasion au ministère de la Culture de rendre hommage à Boubou Hama éminent homme de culture et politique nigérien, deux enseignants chercheurs, Dr Talibi Moussa Hamidou et Dr Farmo Moumouni, ont co-animé le 29 janvier dernier, une conférence à la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université Abdou Moumouni de Niamey. Dr Farmo Moumouni, enseignant la philosophie dans une université canadienne et petit fils de Boubou Hama a entretenu l’assistance sur la vie et l’œuvre de ce grand homme. Quant à Dr Talibi Moussa Hamidou, enseignant chercheur au département de philosophie à l’Université Abdou Moumouni de Niamey, il a lui, partagé avec le public quelques aspects de la philosophie de Boubou Hama. Dr Talibi, revendique également, et, légitimement, une filiation «spirituelle» avec Boubou Hama, puisqu’il vient de soutenir une thèse d’habilitation en philosophie dont une bonne partie porte sur les travaux de Boubou Hama. Ainsi Dr Talibi était à l’aise pour parler de la philosophie de Boubou Hama sous l’angle de l’humanisme et l’inter culturalité.

«Boubou Hama par son petit fils »
«Qu’est ce qu’un petit fils peut bien dire de son grand père, lorsque, celui-ci a pour nom Boubou Hama, et que sa dimension nationale et son rayonnement international font qu’il n’appartient plus exclusivement au cercle familial ?», s’est interrogé Dr Farmo Moumouni, en abordant la conférence qu’il devrait animer et dont le thème est précisément «Boubou Hama, par son petit fils». Estimant ne pas pouvoir apprendre beaucoup au public sur Boubou Hama, qu’il n’en sait déjà, et ne voulant pas verser dans son apologie, Dr Farmo Moumouni, s’est contenté d’exposer juste sa manière de le voir. Il a ainsi évoqué la vie de l’homme, son œuvre et sa pensée.

S’agissant de l’homme, Dr Farmo Moumouni, a parlé de ce qu’il sait de Boubou Hama par «ouï dire » et de l’homme dont il a partagé le « vécu ». Le conférencier a rappelé la naissance de Boubou Hama, vers 1909 au village de Fonéko actuellement dans le département de Téra, son inscription forcée à l’école élémentaire de Téra en 1917, la poursuite de ses études pendant l’adolescence à l’école régionale de Diori, de 1918 à 1924, puis, à l’école primaire supérieure de Ouagadougou de 1924 à 1926, l’entrée à l’école normale William Ponty de Gorée, le début de sa carrière en 1929 à l’école régionale de Niamey en tant que premier instituteur nigérien.
Les aspects de la vie du fonctionnaire français, le militant-défenseur des droits de l’homme, l’entrée en politique, les activités en tant que député, président de l’Assemblée nationale, fonction qu’il occupa jusqu’au coup d’Etat de 1974 ont été également évoqués. L’homme, a-t-il rappelé, parlait plusieurs langues nationales et africaines. C’était un éducateur, un pédagogue, qui se donnait le temps de surveiller les devoirs d’école des enfants. Il entretenait les enfants sur les sujets de culture, de l’histoire...« Vous êtes des fils de l’occident », disait-il aux enfants et petits enfants, a rappelé le conférencier. Boubou Hama, dit-il s’adonnait beaucoup à ses activités au point où, il s’oubliait.

L’œuvre de Boubou Hama, a souligné le conférencier, est monumentale. Elle comporte environ 60 titres publiés individuellement, en collaboration avec d’autres partenaires. Il y a aussi des travaux inédits. Boubou Hama a exploré tous les genres littéraires, la philosophie, l’histoire, la sociologie. Il était romancier, essayiste, conteur, dramaturge, écrivain pour enfants, poète. Cette œuvre littéraire a commencé très tôt et s’est poursuivie jusqu’à la veille de sa mort. Il a joué un rôle déterminant dans la création du musée national qui porte aujourd’hui son nom, la création du département d’arabe et adjami, et a occupé des responsabilités à l’IFAN, etc.
Pour ce qui est de la pensée, de Boubou Hama, Dr Farmo Moumouni relève qu’elle s’est alimentée dans plusieurs sources. Elle s’est formée avec le contact des auteurs de l’antiquité, les philosophes grecs, les auteurs arabes du moyen âge, du siècle des Lumières, de l’époque moderne, ses contemporains, mais aussi et surtout de la tradition africaine, des penseurs anonymes, des griots, des traditionnalistes. Selon Dr Farmo Moumouni, trois thèmes majeurs dominent la pensée de Boubou Hama : l’indépendance de l’Afrique, l’Unité africaine, l’apport de la culture africaine à la civilisation de l’universel. Pour Boubou Hama, l’indépendance de l’Afrique est la condition sine qua non de son développement général. Ainsi envisage-t-il ce développement sous l’angle de l’indépendance politique, et économique. Mais l’aspect économique est plus déterminant.

Et l’unité des peuples africains repose sur l’histoire, la culture, la parenté entre les langues. La culture africaine est la même fondamentalement. «Si on prenait conscience, la parenté entre les langues africaines pourrait permettre de surmonter le sectarisme, l’ethnocentrisme et le régionalisme rétrogrades», estime Dr Farmo Moumouni. Le premier et grand apport de l’Afrique à la civilisation de l’universel est l’homme, car le premier homme «l’homo sapiens » est négroïde. Expliquant, la position de Boubou Hama, par rapport à la contribution de l’Afrique dans l’Histoire, le conférencier rapporte ces propos : «Le plus grand bien que l’Afrique peut amener à notre commune humanité dans l’angoisse est son grand retard, celui-là même qui manque à l’occident industriel pour devenir humain », disait Boubou Hama. Comme l’explique Dr Farmo Moumouni, « le retard » de l’Afrique n’est pas un handicap, mais plutôt un avantage, face à ce que vivent les sociétés industrielles, basées sur l’individualisme, en termes de problèmes, de déshumanisation, de perte de valeurs, de déficit de solidarité.

La philosophie de Boubou Hama
Le deuxième conférencier, Dr Talibi Moussa Hamidou se présente aussi comme un petit fils de Boubou Hama, du moins spirituellement parlant. «Si Dr Farmo est le petit fils biologique de Boubou Hama, moi je me considère comme son petit fils spirituel» dit-il en introduisant son sujet. En effet, Dr Talibi peut légitimement revendiquer une filiation spirituelle avec l’éminent homme de culture nigérien. Le 20 novembre 2013, il a soutenu à Ougadougou une thèse d’habilitation en philosophie dont une bonne partie porte sur les travaux de Boubou Hama. « De toutes les façons, l’héritage de Boubou Hama, est inépuisable », a souligné le conférencier. Parlant de Boubou Hama, il dira que l’homme est certes parti, et, qu’on peut, peut être, oublier ce qu’il fut sur le plan politique, mais on ne peut pas oublier ce qu’il a été en tant que penseur, écrivain. Aussi, le conférencier a voulu parler de Boubou Hama, sous le thème « Humanisme et dialogue interculturel ». Selon Dr Talibi Moussa Hamidou, «Boubou Hama était porteur d’une philosophie sans être philosophe ».

L’instituteur que fut Boubou Hama a en effet produit une œuvre à teneur philosophique. Il a cherché à faire connaître à la jeunesse africaine la philosophie africaine de la vie et de l’homme à travers l’animisme songhay-zarma, exemplaire d’une Afrique plurielle et métisse. Parlant d’un autre aspect de la pensée de Boubou Hama, le conférencier, a relevé que ce penseur cherchait « à proposer au monde, l’humanisme africain dans le cadre d’un dialogue interculturel, comme complément au modernisme occidental et au spiritualisme asiatique qui n’ont développé, chacun qu’une seule dimension existentielle de l’humain, sans parvenir à l’homme intégral ». Dans ces écrits, fait observer le conférencier, Boubou Hama ne s’embarrasse pas de la finesse du style. Il emprunte volontairement le style de la tradition orale, son souci étant de donner le maximum d’information. Il prévient d’ailleurs les lecteurs dans cet extrait que rapporte Dr Talibi Moussa Hamidou. « L’auteur s’excuse auprès du lecteur de la forme de ces textes, qui gardent plus d’une fois la liberté d’allure et du même coup l’imperfection de la communication orale. La richesse de l’information rachètera, nous l’espérons, ces défaillances ».

La vision de l’humanisme de Boubou Hama, se base sur « un univers mythico-religieux ». Dans cette vision, qu’explique le conférencier, Boubou Hama pense que « tout l’univers est un champ de forces bénéfiques et maléfiques, positives ou négatives ». Boubou Hama distingue trois parties dans le monde, notamment l’Orient, l’Occident industriel et l’Afrique, toutes différentes l’une de l’autre dans leurs visions, philosophies de la vie et dans les valeurs ou principes qui régissent sa présence. Pour Boubou Hama, chacune de ces parties aurait effectué un parcours singulier sans être arrivée à couvrir la totalité de l’Etre. Elles doivent dialoguer pour cheminer ensemble, explique le conférencier. Ainsi, fait-il remarquer, dans cette perspective, Boubou Hama, propose une voie dans le cadre d’un dialogue interculturel.
C’est ainsi que le conférencier expose cette pensée. « Contrairement à l’Occident qui a développé la maitrise de la matière par les sciences et techniques, et à l’Orient qui a développé des arts de vie spirituels jusqu’à une maitrise de la corporéité, l’Afrique n’a pas encore livré son humanisme au monde. Nonobstant, le génie de l’Egypte antique qui a servi d’abreuvoir aux savants grecs, et l’art africain qui a inspiré le talent des artistes occidentaux comme Picasso, l’humanisme africain reste en attente d’intégrer le rendez-vous du donner et du recevoir que Léopold S. Senghor a appelé de tous ses vœux.» Dans un extrait de son essai philosophique Le retard de l’Afrique, Boubou Hama présente la situation de l’Afrique vis-à-vis des autres parties du monde comme un avantage : « Sur l’arbre de la vie, le retard africain est symbolique. Il est une position de l’homme. Il peut à la fois s’animer de l’esprit de l’Inde ancienne et de la merveilleuse technique de l’Occident industriel, car il a en lui, potentielle, toute la puissance de l’esprit et de la matière».

Cette pensée de Boubou Hama ne conçoit pas l’homme africain, dans un cadre isolé. Cet homme doit s’approprier les traditions africaines et les intégrer dans le monde actuel, où il a un rôle historique à jouer. « L’Afrique noire, si elle est aidée, dans un développement libre, doit produire l’humain qui manque à la civilisation industrielle de notre époque», écrivait Boubou Hama dans Le retard de l’Afrique. La conclusion de l’essai philosophique de Boubou Hama, telle que rapportée par le conférencier présente l’Afrique comme une source d’espoir pour notre monde. «La tâche essentielle de l’Afrique fut de créer l’homme. Son devoir ne consiste-il pas à le remodeler pour qu’il coïncide avec la mutation qui secoue notre globe en ce moment?», disait-il dans le même ouvrage.

A travers cette conférence, le public a pu apprécier la philosophie de Boubou Hama que Dr Talibi a abordé à travers les thèmes de l’humanisme et de l’inter culturalité. Comme l’a souligné, le conférencier, cet humanisme, a été développé par Boubou Hama à partir de la culture zarma-sonraï. C’est à partir de ce substrat qu’il a développé une philosophie de la vie, et une philosophie de l’homme, qui montrent la nécessité de cultiver un humanisme dans le cadre d’un respect de l’autre, de chercher la reconnaissance réciproque avec l’autre et partager ce qu’on a avec lui. Le public a pu découvrir ou redécouvrir que l’Afrique a une philosophie, et, cette philosophie est vécue par les africains, par ceux qui sont attachés aux valeurs de l’Afrique profonde, des valeurs d’humanité à partager avec le monde. Les interventions lors des débats laissent croire que la polémique sur l’existence ou non d’une philosophie africaine, n’a plus sa raison d’être. L’intérêt réside plutôt comme le dit, le conférencier, dans la prise en compte de « cette philosophie qui permet de nous découvrir, et pouvoir en tant qu’africain discuter avec le reste du monde et proposer quelque chose, plutôt que d’être dans le cadre de cette mondialisation, consommateur de valeurs, être producteur de valeurs ».


Souley Moutari

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