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Niger : l’uranium de la discorde
Publié le mardi 29 avril 2014   |  Jeune Afrique


Mine
© Autre presse par DR
Mine d’exploitation de l’uranium


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Des mois de négociation sur des concessions minières... et toujours pas d'accord. Les pourparlers à rallonge entre Areva et Niamey placent la filière sous les feux de l'actualité. Une industrie opaque, dont l'ONG Open Society pointe les dysfonctionnements dans un rapport que J.A. révèle en exclusivité.

La pression monte sur le gouvernement nigérien et le minier français Areva qui, depuis plusieurs mois, renégocient les contrats d'exploitation des gisements d'uranium de la région d'Arlit, à 1 200 km au nord-est de Niamey. Manifestations étudiantes prenant à partie le président Mahamadou Issoufou - ancien cadre du groupe français - début avril, rapports d'ONG dénonçant les passe-droits obtenus par la compagnie : la colère gronde au Niger. Quant à Areva, déjà sur la sellette après l'ouverture d'une enquête visant son ancienne dirigeante Anne Lauvergeon et portant sur les conditions du rachat en 2007 d'Uramin (présent en Namibie et en Centrafrique), il se serait bien passé de cette publicité.

Le 7 mars, Luc Oursel, le successeur d'Anne Lauvergeon, assurait lors d'une visite à Niamey être "proche de la conclusion d'un accord". Pourtant, un mois plus tard, les tractations se poursuivaient, alors que les concessions des filiales d'Areva au Niger, la Société des mines de l'Aïr (Somaïr) et la Compagnie minière d'Akouta (Cominak) ont expiré le 31 décembre 2013.

Loi minière

"Tout semblait prêt pour un renouvellement en douceur, mais sous la pression de la rue, le gouvernement a repoussé l'échéance et tenté à la dernière minute de durcir ses positions pour obtenir un accord plus acceptable par la population", analyse Ibrahima Aidara, responsable du pôle Transparence économique de la branche ouest-africaine d'Open Society, l'ONG spécialisée dans les questions de gouvernance créée par le milliardaire George Soros.

Niamey veut que l'entreprise se plie à la loi minière adoptée en 2006, qui réduirait les avantages fiscaux dont elle bénéficie. Ce texte prévoit notamment un taux de redevance progressif entre 5,5 % et 12 % selon les bénéfices.

Légitimes

Du côté de l'Hexagone, le soutien inconditionnel des autorités à Areva ne semble plus acquis. "Les demandes du Niger sont considérées par ce gouvernement - et pas par le précédent gouvernement - comme légitimes", a ainsi déclaré le 5 février Pascal Canfin, alors ministre délégué chargé du Développement, devant l'Assemblée nationale. Reste à savoir si la nouvelle équipe dirigée par Manuel Valls adoptera la même position.

C'est un fait : la filière d'extraction de l'uranium au Niger fonctionne dans l'opacité. Les parties prenantes ont beau s'en défendre, faute de transparence sur les prix de vente et les coûts de production - qu'Areva refuse de communiquer -, leurs arguments sonnent creux, alimentant les fantasmes.

Pour y voir un peu plus clair, Open Society a recruté une équipe de consultants indépendants qui a travaillé à partir des chiffres publiés dans le cadre de l'Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE, à laquelle le Niger a été certifié conforme en mars 2011) mais aussi d'informations collectées sur le terrain, à Niamey et dans les zones extractives de la région d'Agadez (au sud d'Arlit). L'ONG s'apprête à publier un rapport intitulé "Les revenus des industries extractives au Niger. Le cas de l'uranium : qui en profite ?", dont Jeune Afrique a obtenu en exclusivité une copie. De ce document de 67 pages, se dégagent quatre constats majeurs. Contacté par J.A., Areva n'a pas souhaité s'exprimer.

Un État en position de faiblesse

Malgré la hausse de la production d'uranium, passée d'environ 3 000 tonnes en 2008 à 4 100 t en 2010, les revenus perçus par l'État ont chuté de 64,8 à 54,1 millions d'euros sur la même période. "Ce déphasage incohérent reste inexpliqué. L'État ne connaît ni le prix de vente du minerai, ni les coûts de production. Il est donc en position de faiblesse, incapable de contredire les bénéfices déclarés [qui servent de base au calcul de la redevance]", estime Ibrahima Aidara.

Areva invoque la baisse des cours consécutive à la catastrophe nucléaire de Fukushima, en 2011, qui mettrait en péril sa rentabilité. Un argument rejeté par Anne-Sophie Simpere, d'Oxfam France : "Le groupe revend son uranium à des prix contractualisés fixés sur le long terme et qui, pour cette raison, sont au-dessus des cours", fait-elle valoir.

"Areva maîtrise toute la chaîne de valeur : il est son propre client. Il achète l'uranium à ses filiales pour l'enrichir avant de le vendre aux centrales nucléaires, dont il est lui-même l'opérateur pour une partie d'entre elles", ajoute Ali Idrissa, du Réseau des organisations pour la transparence et l'analyse budgétaire (Rotab), principale association nigérienne dans ce domaine.

Autre illustration de la faiblesse des autorités, selon Open Society : les exonérations fiscales obtenues par l'entreprise. Elles étaient de 7,6 millions d'euros pour l'année 2005 et de... 30,5 millions d'euros pour 2010. Un important manque à gagner pour l'État nigérien, qui pourrait être réduit si la loi minière de 2006 était appliquée au groupe français.

Une gouvernance défaillante

Les enquêteurs de l'ONG ont également mis en avant un certain nombre d'irrégularités dans les relations entre Niamey et Areva. Un exemple emblématique : l'attribution en 2009 des permis miniers d'Imouraren, le gisement dont la multinationale doit commencer l'exploitation vers 2018, a été négociée directement par la présidence du Niger. Or, d'après la loi, cette mission revenait au ministère des Mines. Suite à l'attribution de ces gisements, le gouvernement nigérien a obtenu un "appui financier" de 35 millions d'euros de la part d'Areva. Plus troublant encore, selon Open Society, sur cette enveloppe négociée en 2009, environ 15 millions d'euros auraient initialement été affectés à l'achat d'un nouvel avion présidentiel, même si ce dernier n'a finalement jamais été acheté.

La gestion des deniers miniers laisse en effet à désirer, d'après le rapport, qui cite notamment le cas de la "route de l'uranium" reliant Niamey aux gisements de la région d'Agadez. Selon la convention signée en 1980, Areva reverse 1 % de son chiffre d'affaires à l'État spécifiquement pour financer l'entretien de cet axe, crucial pour son approvisionnement. Des sommes qui ne sont clairement pas utilisées à cette fin, vu l'état déplorable de la route.

Une redistribution insuffisante

Selon la loi minière, 15 % des revenus publics générés par la filière doivent revenir aux communes avoisinant les exploitations. Mais les consultants d'Open Society, qui ont enquêté dans la région d'Agadez, ont "constaté des irrégularités et des incohérences substantielles dans la gestion des fonds versés par l'État à tous les niveaux du processus". Les subsides sont déterminés unilatéralement par Niamey, sans participation des élus locaux. Et leur montant est inférieur à ce qu'il devrait être d'après les chiffres déclarés au titre de l'ITIE. Selon le président du conseil régional d'Agadez, cité par l'ONG, l'État a 11,6 millions d'euros d'arriérés de paiement envers les communes.

Une faible intégration locale

Areva recrute peu au Niger. En 2011, dans ce pays de 17 millions d'habitants, la filière uranium (dont le groupe français est le principal acteur) ne totalisait que 3 231 emplois, alors qu'elle représentait 71 % des exportations. Open Society dénonce l'absence de plan de formation conséquent et d'investissement à long terme sur le personnel local, ainsi que le recours systématique à des expatriés pour les postes d'encadrement ou les métiers techniques.

Le rapport déplore également que l'industrie minière recoure presque exclusivement à des produits et services importés - en dehors du transport et d'une usine d'acide récemment implantée à Arlit par Areva - et ne transforme rien au Niger. La faute, notamment, à l'absence de cadre légal imposant un pourcentage d'intégration locale, comme il en existe au Nigeria ou en Angola dans la filière pétrolière.
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