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Le Sahel N° 8846 du 18/12/2014

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L’audience est ouverte : Tel est bien pris qui croyait prendre...
Publié le vendredi 26 decembre 2014   |  Le Sahel


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Le 26 novembre 2014, le sieur Y. K. passait à la barre devant la cour d'assises de Niamey. Il avait à répondre des faits de détournement de deniers publics portant sur une somme de 27 millions 224 mille 215 FCFA qui lui ont été reprochés par la Mairie du 4ème arrondissement communal de Niamey, son employeur.
Y. K., agent de recouvrement de son état, avait été inculpé formellement le 1er novembre 2012 et placé sous mandat 5 jours plus tard, pour avoir soutiré cette somme de la caisse de la Mairie, afin de l'utiliser dans le cadre d'une affaire qu'il a jugée très lucrative, et portant sur l'achat de graines de coton avec des partenaires étrangers. En réalité, c'était des escrocs bien organisés qui ont tout bonnement trouvé en lui la victime idéale! Une affaire qui l'a amené en ce 26 novembre 2014 à la barre de la cour d'Assises de Niamey.
Dans la salle d'audience de la Cour d'Appel de Niamey, à l'ouverture de l'audience, le président appelle le sieur Y. K.. Habillé en costume ''jeune cadre'', l'homme se présente à la barre, face aux juges et jurés pour écouter les faits qui lui sont reprochés. Il apprendra qu'il est accusé, par la mairie du 4ème arrondissement de Niamey, d'avoir détourné une somme de 27 millions 224 mille 215 FCFA. Le procès commence et le président s'adresse l'accusé :
• M. Y. K., vous venez de suivre avec nous les charges retenues contre vous. Vous êtes accusé de détournement de la somme de 27 millions 224 mille 215 FCFA de la mairie de 4ème arrondissement, ce qui constitue en clair un crime de détournement de deniers publics. Reconnaissez-vous les faits qui vous sont reprochés?
• Oui, M. le président, je reconnais avoir pris de l'argent dans les caisses de la commune. Mais il ne s'agit pas de 27 millions qu'on me reproche. Je reconnais avoir pris une somme de 25 millions.
• Bon on verra cela après, puisque tu auras le temps de nous en dire davantage. Pour le moment, dis-nous alors ce qui s'est passé.
• J'ai un ami d'enfance basé en Londres en Grande Bretagne depuis plusieurs années. Un jour, il m'a appelé pour me proposer une affaire, un business lucratif qui peut me permettre de me réaliser. Il m'a dit qu'il travaille dans une société spécialisée dans le domaine du coton, et que l'entreprise souhaite acquérir des graines de coton de qualité qu'on trouve spécialement au Burkina et au Bénin. Il m'a dit que je vais avoir beaucoup d'argent, 5 millions exactement à l'issue de l'affaire. Le connaissant bien et ne me doutant de rien, j'ai aussitôt accepté. Il a dit qu'il va me mettre en contact un intermédiaire malien. Un certain Sangaré, qui lui-même me mettra en contact avec un Européen qui s'avère être leur directeur commercial. Tout commence bien. Sangaré m'appelle et me donne le contact du Blanc. Une première rencontre a eu lieu entre le Blanc et moi ici à Niamey. Il m'a fait savoir qu'il souhaite acheter 500 sachets de graines de coton de 1 kg chacun, à raison de 400 000 FCFA l'unité. Le contact avec les fournisseurs de mon ''ami'' est établi parallèlement. Je ne soupçonnais rien, puisque tout ce qui est prévu est en train de réaliser. Et tout a bien marché. Le fournisseur du Burkina m'a amené un échantillon que j'ai présenté à l'Européen logé dans un hôtel à Niamey. Nous avons discuté et il a même voulu refuser, prétextant que ce n'est pas la qualité qu'il veut. J'ai fini par le convaincre. J'ai rencontré à nouveau le fournisseur burkinabé à qui j'ai remis une avance de 2 millions pour qu'il me livre la moitié de la marchandise. Au total je lui ai donné 10 millions, mais je n'ai pas eu la marchandise. Quant à celui venu de Mallanville au Bénin, j'ai réglé tout avec lui. D'ailleurs, je lui ai amené moi-même la somme de 15 millions à Dosso pour récupérer une cargaison de grains. Par la suite, j'ai réalisé qu'il s'agit de graines d'oseille, en lieu et place de graines de coton. Voilà succinctement comment tout s'est passé, M. le Président.
• M. Y., votre prétendu ami basé à Londres savait-il que tu assurais l'intérim du responsable financier de la mairie ?
• Non. Vraiment je n'en sais rien.
• As-tu l'habitude de t'exercer dans le commerce avant cette date ?
• Non, j'ai toujours été agent employé de la mairie, mais j'espérais tout simplement avoir le bénéfice promis dans cette affaire afin d'améliorer mes conditions de vie et celles de ma famille.
• Pourquoi alors accepter un tel deal alors que tu n'es pas commerçant ?
• C'est vrai que je ne suis pas commerçant. Mais bon, (il hoche les épaules), c'est arrivé comme ça. Moi-même, je ne comprends pas bien ce qui m'a pris de faire ça.
• Comment as-tu pris l'argent ?
• Il y a de l'argent pour plusieurs rubriques et j'ai pris séparément pour éviter qu'on constate que l'argent a disparu. En tout, il y avait plus de 70 millions dans la caisse de la mairie. Je me rappelle avoir soutiré 11 millions dans la rubrique de l'OPVN, et pour le reste, j'ai pris certaines sommes d'argent dans d'autres rubriques, de sorte qu'on ne puisse pas vite et facilement détecter le déficit, le temps que je remette l'argent à sa place. Au total, c'est 25 millions que j'ai pris et non 27 millions. Pour les deux millions, une partie a servi à payer des services de la NIGELEC et certains mandats n'ont pas été pris en compte par la mairie. C'est pourquoi on m'a accusé d'avoir détourné ça, franchement je ne les ai pas pris. Malheureusement, étant aux arrêts depuis lors, je n'ai pas pu apporter les preuves.
• Tu as pris l'argent public, juste pour faire du profit?
• Oui, M. le Président. Je n'ai pas pris par plaisir de le faire, j'ai pris en espérant vraiment faire des bénéfices et remettre l'argent à sa place avant qu'on ne le remarque.
• Es-tu sûr que c'est ton ami qui t'a appelé de Londres ?
• (Hésitation) Je ne suis pas très sûr, mais j'ai sincèrement cru que c'est lui.
• Comment alors acceptes-tu une telle affaire où on te propose un intermédiaire malien, des fournisseurs burkinabé et béninois et un acquéreur européen, et le tout en passant par un ami d'enfance avec qui tu n'as pas de contact? N'as-tu pas pensé à une arnaque?
• (Evasif) Bon ... pas vraiment. Moi je ne sais pas qu'il y a des escrocs qui agissent comme ça.
• Que fais votre ami à Londres ?
• Je ne sais pas, mais il m'a dit qu'il est dans l'entreprise où le Blanc travaille
• Est-ce qu'il a l'habitude de t'appeler ?
• Non, mais nous nous sommes vus une fois lors de son passage à Niamey. Il m'a trouvé à la mairie et pris mon numéro.
• Mais comment peut-il venir à Niamey et attendre le retour pour t'appeler ?
• Je ne comprends rien moi aussi.
• Sais-tu qu'il est interdit de prendre de l'argent public de cette manière-là, et que le faire constitue un détournement de deniers publics?
• Oui, M. le président, mais je n'en ai pris avec l'intention de le détourner.
• On t'a proposé le prix du sachet de 1 kg à 400 000F FCA. Comment peux expliquer que le kg de grain de coton puisse se vendre à ce prix ?
• Je croyais que c'est le prix réel de la marchandise, et je tablais sur la bonne foi de mon ami. Pour moi, il voulait m'aider. C'est tout.
• Mais si les 25 millions t'appartiennent, est-ce tu vas procéder de la sorte ?
• Oui. Puisque moi j'ai pensé que ça allait marcher et que je vais rembourser aussitôt l'affaire conclue.
• As-tu dit à ton ami que tu allais utiliser l'argent public, celui de la mairie?
• Non.
• Le Blanc qui est venu à Niamey, pourquoi il n'est pas allé lui-même voir les fournisseurs au lieu de passer par toi?
• Ça je ne peux pas le savoir, mais pour moi, le Blanc allait venir avec l'argent cash, et me le remettre en main propre.
• Est-ce que c'est ce qui s'est réellement passé ?
• Oui, M. le président
• Tu as engagé une opération hasardeuse parce que ce n'est pas ton argent, n'est-ce pas?
• Non, même si c'était mon argent, j'allais m'engager.
• Comment le maire a-t-il su que tu as pris l'argent ?
• C'est moi-même qui l'ai informé quand j'ai compris que j'ai été arnaqué et que je ne pouvais pas rembourser l'argent soustrait de la caisse.
• M. le procureur, est-ce que le Ministère Public a une question à poser à l'accusé?
• Non M. le président. L'accusé a reconnu son activité et il est conscient de sa gravité.
• La défense a-t-elle des questions à poser à son client?
• Non M. le président.
• Alors M. le procureur vous avez la parole pour votre réquisition.

• Merci M. le président. M. le président, le sieur Y. K. ici présent a fait disparaitre des fonds appartenant à une collectivité. Je vous rappelle que les biens publics sont sacrés et qu'il n'appartient pas à ceux qui les gardent d'en faire ce qu'ils veulent. Si tous les agents se comportent comme l'a fait le sieur Y. K., il n'y aurait plus d'Etat. Il a commis un acte grave, un crime de détournement de deniers publics, et cela peu importe ce qu'il en a fait. Le crime de détournement de deniers publics supérieurs à 20 millions est puni d'une peine d'emprisonnement de 20 à 30 ans fermes, et d'une amende de 5 à 100 millions de FCFA. L'auteur pourrait bénéficier d'un sursis s'il commence à payer avant le jugement, ou de circonstances atténuantes s'il paye la moitié. Dans le cas d'espèce, le sieur Y. K. n'est ni dans l'un ou l'autre des cas. Je requiers qu'il plaise à cour de le déclarer coupable de détournement de deniers publics et le condamner à 20 ans d'emprisonnement ferme et à une amende de 5 millions FCFA. J'en ai fini.
• Merci Monsieur le Procureur, la parole est à la défense.
•M. le président, mesdames et messieurs les membres de la cour, je vous fais relever que mon client, le sieur Y. K., n'a jamais nié les faits qui lui sont reprochés. Il a reconnu avoir dissipé la somme de 25 millions et est resté constant dans ses propos. L'enquête de moralité le décrit comme un père de famille exemplaire, un agent sérieux, mais le sort a voulu autrement. Il est victime d'une bande bien organisée d'escrocs avec des méthodes bien rodées que même les hommes les plus avertis ne peuvent déceler. Que Dieu nous en garde. Certes, mon client a fait preuve de légèreté dans cette affaire qu'il a eue avec les faux partenaires. Il a détourné et l'a reconnu et il est resté constant, je le répète. C'est lui-même qui a saisi sa hiérarchie, en l'occurrence le maire, pour l'informer de ce qui lui est arrivé. Donc, ce faisant, il a fait preuve de courage. Tout ceci démontre qu'il est un agent consciencieux. Il pouvait tenter de fuir et échapper à un procès. Mais il a préféré le courage à la lâcheté. C'est extrêmement important. Il a été faible devant la tentation de l'argent. Mais s'il est réellement malhonnête, on l'aurait su et dit. Il est de toute évidence victime d'escroquerie minutieusement orchestrée par des professionnels. Je fais remarquer que le but de la loi pénale, c'est de punir certes, mais c'est aussi de protéger l'accusé et les siens. Condamner Y., c'est condamner sa famille de 5 enfants à aller dans la rue. La loi peut être sévère, mais ceux qui sont chargés de l'appliquer peuvent aussi être indulgents. Je pense que mon message a été entendu par les honorables membres de la cour. Je demande donc à la cour de retenir des circonstances atténuantes en faveur de mon client pour lui permettre de retrouver sa famille le plus tôt possible.
Le verdict
A l'issue de la délibération, la cour a condamné l'accusé à une peine ferme de 20 ans de prison et une amende de 5 millions de FCFA.




Zabeirou Moussa

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