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Interview d’un intellectuel nigérien sur la situation sociopolitique au niger
Publié le vendredi 13 septembre 2013   |  nigerdiaspora.info




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Face aux derniers développements de la situation sociopolitique qui est de plus en plus polluée de rumeurs folles, d’invectives et de manipulation de consciences, un intellectuel nigérien qui a préféré garder l’anonymat sur son identité, nous a fait une analyse froide et pertinente du Niger sous Issoufou Mahamadou. Sans passion et sans fard. Lisez plutôt !

Notre environnement politique est en ébullition. Depuis prés d’un mois, chaque jour apporte son lot de déclarations de soutien à x ou à y. Mais dans ce débat qui intéresse au plus haut point notre nation, nous avons voulu également connaître un point de vue libre de toute allégeance politique.

Bonjour et merci. De prime abord, je tiens à dire que je suis un intellectuel nigérien. Je ne suis ni de gauche ni de droite comme on aime le dire. Je donne mon point de vue librement et c’est bien pourquoi, j’ai choisi de garder l’anonymat. Ainsi, je n’influencerai l’opinion de personne et laisserait chacun fonder sa propre analyse sur les problèmes de la marche tumultueuse de notre pays que j’aborde dans mon propos. Je pense que vous avez bien fait de rechercher d’autres sources que celles auxquelles vous avez recours à chaque fois que quelque chose arrive dans notre pays. D’ailleurs, depuis 10 et même 20 ans, ce sont les mêmes qui monopolisent l’audimat sur toutes les chaînes et dans tous les journaux. Ils ne sont même pas une centaine, toute obédience confondue. Mais le grand problème, c’est que nombre d’entre eux ne sont pas sincères. Qu’ils soient politiciens, acteurs de la société civile et même journalistes, c’est dommage, mais chacun vient faire allégeance aux intérêts d’un homme ou d’un groupe sans se soucier aucunement de la pertinence de la cause défendue par rapport aux intérêts de notre pays. Souvent, même les quelques personnes que vous sollicitez au nom de leur présumée autorité scientifique, montrent un parti pris béant.

Vous voulez dire que tous ceux qui interviennent dans les médias ont des partis-pris politiciens ?

Je ne dis pas tous, mais avouez tout de même que les Nigériens ont rarement vu ou écouté des gens sincères et sérieux dans les débats, la plupart du temps stériles, que l’on organise un peu partout sur toutes les chaînes de télévision et en toutes langues. Pour ceux qui représentent clairement des partis politiques, hormis le fait que leurs argumentaires ne reposent sur aucune base crédible et sont dans le genre « soutien inconditionnel et indéfectible », on peut accepter que leurs prestations soient comme on le dit, de « bonne guerre ». Mais lorsqu’un journaliste ou un acteur de la société civile vient en plateau défendre un homme politique manifestement « à la commande », on comprend aisément que l’expression politique dans notre pays ait des problèmes. Souvent, c’est même l’impartialité du journaliste, maître du débat qui est en cause. Dans ce jeu dangereux, même la présentation du journal qui relève exclusivement des faits devient elle aussi une tribune d’opinion traduisant le parti pris du journaliste.

Mais, à votre avis, qu’est ce qui explique cette situation qui ne semble pas grandir notre démocratie ?

Non, ce n’est pas que cet état de fait ne semble pas grandir notre démocratie, mais il la tue, il l’assassine. Vous croyez sincèrement que nous allons quelque part avec ce genre de comportement. La raison de toute cette effervescence nocive tient du déficit de valeurs perceptibles dans notre société et dans notre démocratie. On peut à peu près tout acheter au Niger avec de l’argent (ou avec des sentiments), car dès les premiers instants de notre balbutiement démocratique, notre classe politique a privilégié l’achat de conscience au détriment des arguments de développement. Aujourd’hui, personne n’a réellement expliqué à nos concitoyens souvent très éloignés de la culture démocratique tous les enjeux qui y sont attachés. De facto, les enjeux nationaux sont sacrifiés sous l’autel de considérations personnelles, familiales ou au maximum ethno-régionalistes. Notre « démocratie » ne choisit pas les hommes à même de construire notre pays. Les questions importantes restent : « c’est le fils de qui ? » « Il est de quelle famille ? De quelle région ?». Puis lorsque les populations ont également compris que l’ascension à des responsabilités politiques permet, en partant de rien, de construire rapidement des fortunes souvent colossales, les affinités socio régionales et familiales font désormais place à ce que l’on serait tenté d’appeler la « commercialisation des adhésions ».

Commercialisation des adhésions, c’est-à-dire ?

C'est-à-dire que de plus en plus, on ne « perd plus son temps » à convaincre qui que ce soit, que l’on a les meilleurs arguments pour le progrès, de même les populations, pour une grande partie, exigent une distribution d’une partie des fortunes subtilisées. Les allégeances politiciennes, l’impartialité de la société civile, les instabilités parlementaires…, tout cela a le même dénominateur commun : l’argent est au cœur de notre démocratie et le Nigérien n’a d’yeux que pour l’argent. Qu’importe comment il a été obtenu. Le détournement des deniers publics procède de la même logique : aussitôt à un poste de responsabilité, on multiplie les possibilités de fructification de la mission régalienne car le résultat visé et attendu se mesure plus par sa capacité à investir de l’argent pour garantir le succès du parti et le succès personnel aux prochaines élections. Par ailleurs, notre Etat ferme les yeux sur ceux-là, pourvu qu’ils investissent dans le parti et contribue à la conquête du pouvoir. C’est ainsi que les choses semblent malheureusement se passer majoritairement dans nos partis, notamment lorsqu’ils sont au pouvoir. Et c’est aussi pourquoi, personne n’a envie d’être tenu à l’opposition, c'est-à-dire hors du champ de fructification de la mission publique et de la concussion.

Mais dans ce cas, vos semblez dire que nos problèmes sont loin d’être finis au Niger.

Bien entendu, hélas. Vous constaterez que c’est un cercle vicieux qui existe depuis le début du retour de la démocratie multipartiste et qui s’aggrave malgré la profession de foi clairement promulguée par la constitution. Le problème est que, beaucoup d’hommes politiques savent que cet état de fait est préjudiciable à la bonne marche de la démocratie dans notre pays, donc à son développement, mais personne n’a non plus envie de s’y attaquer en pensant que cela desservirait son parti aux prochaines élections. Au Niger, vous constaterez également qu’à peine les élections terminées, tout le monde pense déjà aux prochaines que certains n’hésitent pas à accélérer. Car ceux qui gagnent n’utilisent l’exercice du pouvoir que pour garantir le scrutin à venir, ceux qui perdent redoutent la « sécheresse financière et matérielle liée à l’opposition », et la nombreuse industrie humaine organisée autour de la conquête du pouvoir n’est heureuse que pendant les périodes de crise ou de campagne électorale où il est loisible de monnayer qui sa plume, qui son verbe, qui son adhésion. C’est au demeurant la même motivation qui pousse beaucoup de personnes à se faire valoir dans un statut « monnayable » : société civile, organisation non gouvernementale, organisation de défense des citoyens, syndicat y compris ceux des scolaires, chefferie coutumière…. Hélas, la propension de l’Etat ces dernières années, à ouvrir le gouvernement et nombre de situations publiques importantes à des gens sans compétence professionnelle notoire, juste du fait de leur disponibilité à faire des déclarations de soutien tonitruantes à la télé ou à la radio, a amené nombre de concitoyens à se trouver une raison d’espérer et de croire. Le travail de développement ne sert plus à rien, on préfère prendre des raccourcis dans la course à la fortune publique. Mais où irons nous comme çà ?

Alors, si je comprends, toute l’agitation politicienne de ces derniers jours peut être mise au compte de cette industrie au sein du pouvoir et dans sa périphérie.

Ça, tout le monde l’a compris, mais le problème réside dans le fait que nombre de manipulations politiciennes (corruption, achat de conscience, etc.) qui auraient pu passer pour des tares scandaleuses pour une démocratie normale, sont monnaie courante au Niger sans pour autant que personne ne s’émeuve. Il ne gêne personne que des groupes vendent leur voix, leur positions politiques, administratives et sociales au profit d’hommes et /ou de partis. La démocratie est finalement un cadre dont tout le monde s’accorde à respecter les règles, seule condition pour qu’elle génère le progrès dans un pays. Mais si les règles de base ne sont pas respectées, ce n’est pas la peine de simuler, nous n’irons pas de l’avant. La constitution est claire mais presque personne ne la lit que pour chercher des arguments de débat, non ! Une constitution se vit dans tous nos comportements quotidiens. Par ailleurs, il n’y a pas de petite et grande violation de la constitution, elle doit être ABSOLUMENT respectée. Et tout le monde le sait. Et en premier le président de la République, le président de l’Assemblée nationale et le Premier ministre dont la sincérité ne souffre d’aucune faiblesse : ils ont juré de la respecter sur le Saint Coran ! Dans le contexte nigérien, ce fait est riche de sens. Mais quelle est la capacité de nos grands dirigeants à se soustraire de la dictature de leurs partis et surtout de l’emprise des lobbys, clubs d’apprentis sorciers et d’incendiaires qui les poussent à l’extrême.

Je ne connais pas personnellement le Président Issoufou, mais je pense sincèrement qu’il doit être démocrate au fond de lui et adepte de la paix. Pourtant, force est de constater que les conséquences actuelles, générées par sa volonté sans doute bien intentionnée au départ, de composer un gouvernement d’union nationale, s’accordent peu avec les valeurs républicaines qu’il inspire : Comment l’amant de la paix et de l’unité qu’il est s’accorde-t-il avec l’atmosphère délétère qui a envahi notre communauté sur tous les plans ? Comment le fervent défenseur de la démocratie qu’il est, accepterait-il l’instrumentalisation par exemple des médias ? Comment lui, le combattant de la remise des Nigériens au travail, garant de la dépolitisation de l’Administration pourrait-il accepter les fluctuations des postes techniques au gré des déclarations d’adhésion, souvent même au détriment de la compétence et de l’efficacité qui lui sont si chères ? Autant de questions dont les réponses vont au-delà de la logique simple et qui indiquent aussi l’intoxication et les pressions diverses auxquelles peuvent être exposés nos dirigeants.

Le moins que l’on puisse dire est que le climat est vraiment tendu dans notre pays. Mais comment analysez-vous les prochains développements ?

Notre société est des plus insaisissables. Les choses s’y passent différemment que partout ailleurs. Notre situation échappe à toute logique et de ce fait, les analyses sont vaines pour déterminer de quoi demain sera fait. Cependant, il est évident que si notre tendance à faire de la politique politicienne n’est pas rapidement inversée, il ne faut s’attendre à aucun véritable développement, ni à aucune amélioration de la condition précaire de nos populations. Il faudra forcément que nos habitudes politiques s’accordent avec les « standards » internationaux. Que l’on cesse de banaliser nos institutions dans le choix peu scrupuleux des hommes appelés à les animer. Un pays est comme une entreprise, son succès dépend plus de la compétence des hommes qui l’animent que de leur capacité à piloter des combines politiciennes et des machinations. L’assainissement que nous appelons de nous nos vœux doit commencer par le toilettage de notre démocratie et de notre façon de faire de la politique.

Merci beaucoup pour votre analyse de la situation politique.

Merci beaucoup. Je vous encourage à diversifier vos sources d’analyse et me tiens à votre disposition pour toute intervention qui pourrait avoir une valeur ajoutée pour le progrès de notre pays.

Propos recueillis par Ibrahim Yéro

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