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Rapport de la mission d’observation de la situation humanitaire et des droits de l’homme à Diffa et N’guigmi Mai 2015 (alternative espaces citoyens)
Publié le dimanche 10 mai 2015   |  actuniger.com


Rapport
© Autre presse par DR
Rapport de la mission d’observation de la situation humanitaire et des droits de l’homme à Diffa et N’guigmi Mai 2015 (alternative espaces citoyens)


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Ce rapport a été produit par Alternative Espaces Citoyens dans le cadre de son mécanisme de veille citoyenne en période de conflits dans la région de Diffa, dont l’objectif général est de contribuer à la préservation de la démocratie et de la paix au Niger, à travers une meilleure défense et protection des droits fondamentaux des populations en période de conflit armé. Les informations contenues dans ce rapport ont été collectées par l’équipe d’Alternative Espaces Citoyens de Diffa et de N’guigmi.

Informations générales

Situation des déplacés dans le département de N’guigmi

Nombre total des déplacés : plus de 100.000 selon les leaders des groupes des déplacés dont 60% des ressortissants des pays africains (Nigeria, Tchad, Mali, Cameroun, Centrafrique, Sénégal, Ghana…)
Nombre des femmes : 15 % femmes
Nombres d’enfants : 55 %
Nombre d’hommes : 30 %
Nombre d’îles concernées : Soixante dix sept iles (77)
Groupes Ethniques : Buduma, Kanuri, Peul, Hausa, Arabe, Tubu, Zarma et des ethnies étrangères.
Lieux d’affluence des déplacés : deux sites officiels (Aérodrome et Kimegana), les villages du nord se trouvant à l’Est de N’guigmi sur la route de Blabrine, (Blabrine, Djakimé, Faya, Malyari, Wouye, Meleram, Kouloukoura, Mandara Gana, Mandara Toukoui, Baram Daouye, Lari, Koutou, Boulakoura, etc.), et à l’Ouest principalement dans les villages de Ngalewa, Arikoukouri, Mourtchati, Bori, Tchougoundi, Barwa gana, et dans plusieurs familles d’accueil dans la ville de N’guigmi (notamment dans les quartiers de Kanembouri, Cameroun et Djoulari)

Situation des déplacés dans le département de Bosso

Nombre total des déplacés : plus de 30.000 selon les responsables des déplacés
Nombre d’iles concernées : Quarante deux iles (42)
Lieux d’affluence des déplacés : les villages riverains du lac (Barwa, Tchoukoudjani, Fieboulwa, Borgouyari, Touboram, Yebi).

$1I. Description de la situation humanitaire et des droits de l’Homme

1.1. Évacuation des habitants des îles du lac Tchad


Suite au communiqué officiel du Gouverneur de la région de Diffa, demandant aux habitants des iles du lac de regagner la terre ferme avant le lundi 4 mai 2015 à 18h, un mouvement général de populations a été observé dans les départements de N’guigmi et Bosso. Prises de panique, les populations n’ont pas attendu l’expiration du délai officiel pour rejoindre la zone indiquée, laissant derrière elles, tous leurs biens (cheptel, marchandises et d’autres biens matériels).

Le déplacement s’est effectué, pour la plupart des personnes fuyant les îles du lac Tchad, en deux étapes : une première, à bord des pirogues pour regagner quelques localités, notamment Doro-Lelewa et Liberia ; et une seconde, à pied, pour atteindre d’autres localités situées sur la terre ferme, notamment N’guigmi, Bosso, Barwa, etc. Les habitants des iles ont été contraints de parcourir à pied des longues distances ; et ce, en raison de l’interdiction faite, par les forces de défense et de sécurité, aux transporteurs locaux, d’assurer leur acheminement vers N’guigmi.

Selon plusieurs témoignages recueillis auprès des déplacés par l’équipe d’Alternative, les conditions de ces déplacements ont été particulièrement pénibles ; car, beaucoup de personnes ont dû marcher pendant trois (3) à quatre (4) jours, avec des enfants, des femmes enceintes, des vieillards. Parmi les personnes déplacées, l’équipe a relevé plusieurs victimes des attaques de Karamgoua. A l’hôpital de N’guigmi, deux jeunes brulés, rescapés de Karamgoua, ont témoigné avoir été transportés, de Doro-Lélewa à N’guigmi, dans des pousse-pousse, qui sont des sortes de brouettes utilisées généralement pour le transport des marchandises.

Au cours de cette longue marche, plusieurs cas de décès ont été enregistrés parmi les populations fuyant les iles du lac Tchad, en raison notamment de la faim, de la soif et de la chaleur. A N’guigmi, des témoins interrogés par l’équipe d’Alternative ont affirmé que quatorze (14) personnes, en majorité des enfants, ont trouvé la mort au cours de leur déplacement. Les mêmes témoins ont également rapporté qu’une jeune femme a perdu la vie en donnant naissance à des jumeaux, eux-aussi décédés aussitôt après.
Sur la route de Diffa, des témoins ont affirmé qu’une dizaine de personnes ont perdu la vie dans les camions les transportant de N’guigmi à Diffa, des suites d’étouffement consécutif à la forte concentration et à la haute chaleur de cette période du mois de mai. Le transport en véhicules a été autorisé seulement sur l’axe N’guigmi-Diffa ; il a été assuré principalement par des gros camions mis gracieusement à la disposition des déplacés par deux opérateurs économiques locaux : le député Hamet Hameda et Elhadji Didi Gawan. Les camions de ces deux opérateurs économiques ont effectué, à la date du 6 mai 2015, 27 voyages à partir de N’guigmi, pour transporter près de 9000 personnes vers la localité de Diffa. D’autres ont effectué le déplacement à leur frais dans des véhicules du marché.
D’après plusieurs témoignages, les militaires nigériens ont eux-mêmes quitté la localité de Doro-Lélewa, où ils étaient stationnés, dès le vendredi 1er mai 2015, c’est-à-dire moins de 24h après le communiqué du Gouverneur.

1.2. Accueil et installation des déplacés
Contrairement au communiqué du Gouverneur de la région de Diffa, annonçant que des dispositions nécessaires ont été prises pour l’accueil et la réinstallation des personnes déplacées, l’équipe d’Alternative a constaté qu’aucun dispositif de cette nature n’a été effectivement installé à N’guigmi. Ce qui a donné lieu à un désordre indescriptible. Cette situation est née surtout de la non création du comité local d’accueil pourtant annoncé par les autorités régionales, qui ne se sont rendues sur les sites que 48h après l’arrivée de la première vague des déplacés.


Aussi, convient-il de noter que les déplacés n’ont bénéficié que de la solidarité des populations locales, qui ont réagi spontanément avec les moyens de bord pour les accueillir, qui avec des sachets d’eau, qui avec de la nourriture et quelques articles non alimentaires (habits, récipients d’eau, marmites…). Les déplacés qui ont des connaissances dans la ville ont choisi de s’installer dans des familles d’accueil, dont certaines sont débordées par le nombre important de personnes et se trouvent aujourd’hui confrontées à un problème de promiscuité susceptible d’avoir des conséquences sanitaires sérieuses.

Au niveau des sites et des familles d’accueil de N’guigmi, l’équipe d’Alternative a pu se rendre compte que les déplacés des îles du lac Tchad manquent cruellement d’eau et de nourriture. Sur le site de l’aérodrome de cette localité, où ont campé plusieurs milliers des personnes, il n’y a par exemple ni forage, ni citerne d’eau. Pendant 48h, les déplacés arrivés à N’guigmi n’ont bénéficié d’aucune assistance alimentaire ; il a fallu attendre le troisième jour pour que le Comité sous-régional de prévention et de gestion des catastrophes et crises alimentaires (CSR/PGCCA) commence à distribuer des vivres (55tonnes) et quelques articles non alimentaires. Cette distribution a concerné au premier jour que 1000 personnes.

L’équipe d’Alternative a constaté que les déplacés n’ayant pas bénéficié de cette distribution sont contraints d’errer dans toutes les rues de N’guigmi en quête d’eau et de nourriture. La grande majorité de ces déplacés sont sans abris acceptables et vivent dans des conditions horribles, sous la forte chaleur. La plupart d’entre eux, vivent sous des arbres à faible ombrage ; tandis que d’autres ont dressé des abris de fortune avec leurs couvertures, leurs nattes ou leurs pagnes. L’équipe a constaté que l’UNHCR, en collaboration avec l’ONG Care, a commencé à distribuer des articles non alimentaires.

1.3. Protection des personnes et de leurs biens


Au cours de leur déplacement, les habitants des îles du lac Tchad n’ont bénéficié d’aucune de protection de la part des forces de défense et de sécurité ; car, les militaires basés dans le lit du lac ont quitté dès le lendemain du communiqué pour venir camper derrière le site maraicher situé à 7 km de N’guigmi. Sommés d’évacuer leurs iles et villages, beaucoup de déplacés ont abandonné leurs biens sur place, pour regagner des zones prétendument plus sécurisées, mais où aucune disposition n’a été prise pour préserver leur dignitaire.

Selon certains témoignages recueillis par l’équipe d’Alternative, rien que dans la localité de Doro Lelewa, d’importantes quantités de poissons et de maïs, estimées à des milliards de francs CFA, ont été abandonnées ; et ce, sans compter d’autres produits vivriers, le bétail et les marchandises stockés dans des boutiques. Les autorités régionales ne semblent pas pour l’instant avoir envisagé un quelconque plan pour la récupération des biens abandonnés par les habitants des iles ; tout comme elles n’ont pas de plan pour l’évacuation des personnes qui, selon certains témoins, se trouvent toujours bloquées dans les îles, notamment pour des raisons de santé.

Par ailleurs, il faut noter qu’il règne un véritable climat de peur des populations déplacées, en raison notamment des interpellations opérées en leur sein par les forces de défense et de sécurité. Le mardi 5 mai 2015, au moment où le Premier Ministre rendait visite aux déplacés arrivés à N’guigmi, l’équipe d’Alternative a été témoin de certaines aberrations dans la façon dont des éléments des forces de défense et de sécurité procèdent à des contrôles sur les déplacés. Beaucoup de témoins ont été choqués de voir que c’est un pêcheur d’origine malienne, lui-même déplacé d’une des îles du lac Tchad, qui sert de guide aux militaires pour identifier des personnes suspectes, sous prétexte qu’il connait tout le monde.

Sur la base de la dénonciation, plusieurs personnes, notamment des jeunes de l’ethnie Buduma, ont été gardés au soleil pendant des heures, avant d’être libérés suite à l’intervention du chef de canton de N’guigmi. L’humiliation infligée à ces personnes a renforcé la peur chez beaucoup des déplacés accueillis dans des familles ; en même temps qu’elle a provoqué des profonds ressentiments chez d’autres qui, comparant l’accueil qui leur est réservé à celui réservé aux déplacés au Tchad, disent regretter d’être Nigériens. Les autorités régionales et les responsables des forces de défense et de sécurité doivent avoir l’esprit les frustrations ressenties par les habitants des iles du lac Tchad qui ont des bonnes raisons de croire qu’ils sont victimes d’un déplacement forcé.
Par ailleurs, plusieurs personnes déplacées ont exprimé des vives préoccupations sur les risques de pillage des biens qu’elles ont abandonnés sur les îles du lac Tchad ; elles estiment que ces biens pourraient être emportés, soit par des éléments de Boko-Haram, soit par des éléments de la coalition armée.

1.4. Situation sanitaire et accès à l’éducation

Sur le plan sanitaire, les populations déplacées n’ont bénéficié d’une prise en charge qu’au deuxième jour de leur arrivée à N’guigmi ; et ce, grâce à l’ONG Save The Children qui, en collaboration avec le district sanitaire de N’guigmi, a mis en place une équipe d’urgence. Cette équipe prend en charge quelques cas de maladies parmi les déplacés ; mais, la situation sanitaire des déplacés reste globalement très catastrophique. Les îles nigériennes du lac Tchad sont, en général, dépourvues de toute structure sanitaire ; les centres les plus proches sont situés à des dizaines de kilomètres.
La situation est également préoccupante en ce qui concerne l’éducation des enfants des déplacés ; car, bien avant les attaques du 6 février dernier perpétrées par Boko-Haram à Bosso, les rares écoles des îles du lac sont fermées. C’est le lieu de rappeler qu’il n’y a que trois (3) écoles pour l’ensemble de ces îles qui abritent pourtant des milliers d’enfants en âge d’aller à l’école. La grande majorité des enfants vivant dans ces endroits n’ont eu la chance d’aller à l’école ; et si aucune disposition n’est prise, les quelques rares qui fréquentent des écoles risquent d’y être soustraits.

II. Réponses du gouvernement et de ses partenaires

Le mardi 5 mai 2015, soit cinq (5) jours après le début de l’évacuation des îles du lac Tchad, le Premier ministre nigérien, M. Birgi Rafini, a effectué une visite sur les sites d’accueil des déplacés à N’guigmi. La délégation du Premier ministre était composée notamment de trois (3) membres du gouvernement, du Premier Vice-président de l’Assemblée Nationale, des représentants des Partenaires techniques et financiers (Système des Nations Unies, organismes humanitaires) et des autorités régionales.

A sa descente d’avion, le Premier Ministre s’est adressé aux déplacés désespérés, en leur disant qu’il est venu pour leur apporter les salutations du Président de la République qui est au courant de leur situation. Dans son allocution, il a encouragé les déplacés à supporter cette épreuve, tout en leur demandant de faire confiance aux autorités pour que cette situation ne perdure. Le Premier ministre a également justifié la mesure d’évacuation prise par les autorités régionales en soutenant qu’elle est « le moindre mal » pour assurer la sécurité dans cette zone.

Enfin, il a promis que les partenaires qui l’ont accompagné sont disposés à apporter toute l’assistance nécessaire.

Après la visite du Premier ministre, les partenaires techniques et financiers ont commencé à affluer dans la région, afin d’apprécier la situation et apporter leur assistance d’urgence. L’équipe d’Alternative note notamment la présence sur le terrain des missions issues du système des Nations Unies (OCHA, PAM, UNHCR, UNICEF) et des ONG Internationales comme IRC, qui sont venues effectuer une évaluation d’urgence des besoins.

Recommandations

Alternative Espaces Citoyens invite les autorités locales et nationales, ainsi que l’ensemble des forces sociales et politiques, locales et nationales, à prendre conscience de la gravité de la situation qui prévaut dans la région de Diffa en raison d’une mauvaise gestion de la situation sécuritaire et humanitaire ;

Alternative Espaces Citoyens invite les autorités régionales et nationales, ainsi que les responsables des forces de défense et de sécurité, à respecter scrupuleusement les dispositions des instruments nationaux et internationaux relatifs aux droits humains et au droit international humanitaire signés et ratifiés par l’État du Niger ;

Alternative Espaces Citoyens rappelle qu’il est du devoir des autorités locales et nationales de prendre toutes les mesures idoines afin de faire face à la situation humanitaire dramatique que connait la région de Diffa, ainsi que d’assurer une bonne coordination des interventions humanitaires ;

Alternative Espaces Citoyens invite donc le gouvernement à mettre en place immédiatement des sites d’accueil viabilisés, de fournir l’eau et la nourriture, ainsi que des bien non alimentaires aux populations déplacés et aux familles d’accueil des déplacés ;

Alternative Espaces Citoyens invite le gouvernement à prendre toutes les dispositions utiles afin de protéger les personnes restées bloquées sur les îles, et de permettre aux déplacés de récupérer leurs biens abandonnés, y compris leur bétail pour lequel des stocks d’aliments sont requis ;

Alternative Espaces Citoyens invite le gouvernement à entamer une procédure visant à évaluer les dégâts subis et à indemniser les pauvres populations qui ont laissé derrière elles leurs terres et leurs biens estimés à plusieurs milliards de FCFA.

Rapport soumis par Albert Chaibou

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