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Le Sahel N° 8865 du 26/1/2015

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Invité : Pr Tidjani Alou, chercheur au LASDEL et à l’UAM: ‘’Le secteur privé fait face à une diversité d’agents publics opérant dans des secteurs très variés. Chaque secteur induit des formes particulières de corruption’’
Publié le samedi 4 juillet 2015   |  Le Sahel


Pr
© Autre presse par DR
Pr Tidjani Alou, chercheur au LASDEL et à l’UAM


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La Haute Autorité de Lutte Contre la Corruption et les Infractions Assimilées ‘HALCIA a organisé, du 15 au 17 juin dernier, un forum national sur la validation du document de la stratégie nationale de lutte contre la corruption. A cette occasion, Mme Issoufou Zeinabou Maidah Mamoudou (HALCIA) et le professeur Mahaman Tidjani Alou (UAM, LASDEL) ont présenté une communication sur le secteur privé et la corruption au Niger.


Professeur, pouvez-vous expliciter à nos lecteurs les tenants et aboutissants de la corruption dans le secteur privé au Niger ?

Il faut d’abord préciser que deux notions doivent être définies ou délimitées, dès lors qu’on réfléchit sur le secteur privé et la corruption. Il faut identifier le secteur privé et identifier les services publics concernés par les relations avec le secteur privées. Dans le langage courant, à propos du secteur privé, on parle d’opérateurs économiques. Dans tous les cas, il importe de distinguer le secteur formel et le secteur informel. Le secteur formel, ce sont les entreprises officiellement déclarées au registre du commerce et qui se caractérisent par leur forte diversité. Ainsi, le secteur formel va de l’entreprise individuelle aux grandes compagnies. Quant au secteur informel, il concerne les commerçants et les milieux marchands dont les activités ne sont pas toujours déclarées, des activités diversifiées, de l’import-export, et même de l’exécution de marchés publics fortement dépendant du politique et de la haute administration. Il faut enfin souligner qu’il y a une imbrication de ces deux secteurs : le formel qui a des pratiques informelles, notamment dans le respect des règles de la concurrence, et l’informel a des pratiques formelles, notamment le prête-nom, la surfacturation, la corruption active. Finalement il faut aussi identifier les services publics concernés par les relations avec le secteur privé. Il s’agit de l’administration des marchés publics, de l’administration des douanes, de l’administration des impôts, de l’administration du commerce, de l’administration du contrôle routier et enfin de l’administration des transports.

Professeur, après avoir identifié les notions de base, quelles formes de corruption se dégagent du secteur privé ?
Le secteur privé fait face à une diversité d’agents publics opérant dans des secteurs très variés. Chaque secteur induit des formes particulières de corruption. Quand il s’agit des marchés publics, on constate dans les passations de ces marchés des irrégularités comme la dimension transversale, l’entente directe, les faux semblants dans les appels d’offres, les détournements des règles de concurrence, la commission, les pratiques de collusion avec les agents publics concernés. C’est l’espace privilégié de la grande corruption. Dans l’administration des douanes, c’est le royaume de la fraude, du contournement et de l’évitement de l’Etat, du dédouanement forfaitaire, de l’intermédiation et des pratiques collusives avec les douaniers. Les formes de corruption qu’on trouve dans l’administration des impôts sont aussi la fraude fiscale, la minoration de l’impôt, et aussi les pratiques collusives avec les agents du fisc. Notons que la pratique collusive c’est quand l’agent de l’Etat se transforme en expert ou conseiller. Par exemple, certains agents du fisc sont en même temps conseillers fiscaux et experts comptables indépendants, chacun avec un lot de clients à conseiller au détriment de l’Etat. Dans l’administration du commerce, on constate un refus de promotion des produits nationaux en complicité avec les importateurs, exemple du riz du Niger, la rétention de l’information privilégiée au bénéfice de quelques uns comme par exemple les régimes fiscaux privilégiés, les prélèvements fiscaux en violation de la loi de finances, et enfin le trafic des cartes grises et de plaques d’immatriculation.

Selon vous, quels constats se dégagent de ces différentes formes de corruption ?
Le constat principal que ressort cette étude est le contournement de l’Etat avec la complicité de ses agents dont le comportement est ici déterminant sur l’issue des transactions corruptives. Il y a aussi les textes qui organisent les secteurs d’activité concernés, qui sont marqués par une grande complexité et sont parfois inaccessibles. La pratique des cadeaux qui est ancré dans notre tradition et le secteur privé est un espace privilégié de la grande corruption. Donc, on se pose les questions de savoir : ‘’Comment rendre l’Etat incontournable, sentir son effectivité et avoir confiance en sa figure, avoir besoin de l’Etat?’’ ; ‘’Comment produire des fonctionnaires qui soient au service exclusif de l’intérêt général?’’ ‘’D’où se posent les questions liées à l’éthique et à la déontologie des fonctionnaires, et celles liées à leurs conditions de travail?

Après cette analyse approfondie du thème ‘’Corruption et secteur privé’’, selon vous quelles sont les causes dont découle cette corruption ?
A notre point de vue, deux principales causes sont à la base de la corruption en lien avec le secteur privé. Il s’agit du comportement des agents publics et de celui des opérateurs économiques. Au niveau des agents publics, on note la lenteur dans le traitement des dossiers, ce qui crée des files d’attente monstrueuses qui découragent les demandeurs de service et les incitent à passer outre. Il y a la faiblesse des capacités institutionnelles de l’Etat, notamment l’impuissance de l’Etat, et les faiblesses des institutions qui engendrent une culture de l’impunité. On note aussi la manipulation des registres normatifs et la privatisation informelle des services publics. Enfin, la perception du poste administratif, par l’agent public, comme un lieu d’enrichissement rapide, d’où un déficit de l’éthique professionnelle généralisé.


Il y a ensuite les causes liées aux comportements des opérateurs économiques, qui sont les principaux demandeurs de service de l’Etat pour le secteur privé. On constate que les opérateurs économiques ne sont pas confiants dans leurs relations avec l’Etat, c’est une zone d’incertitude pour eux ; ils ne savent pas très bien comment se comporter. C’est pourquoi on assiste à la personnalisation des relations professionnelles, et à la perception des démarches administratives comme complexes, donc à une faible appréciation (confiance, méconnaissance) des normes en matière étatique, et à la méconnaissance des règles qui organisent leurs activités commerciales. Les opérateurs économiques utilisent parfois la ruse comme mode d’action opératoire, notamment la stratégie de minoration des ‘’faux-frais’’ et beaucoup d’autres stratagèmes. Ils interviennent aussi dans le processus de mobilisation des ressources financières internes par l’Etat en jouant le rôle d’intermédiaire qui est un cadre favorable à l’exercice des activités commerciales appelé ‘’doing business’’. Finalement, il se pose la problématique de l’Etat et de l’application des règles qu’il produit. L’Etat est ainsi capturé ou pris en otage.


Professeur, quel est votre mot de la fin ?
Pour nous, il y a deux démarches possibles. La première est classique, elle est orientée vers la production de décisions à divers niveaux des administrations concernées. Il s’agit de l’application stricte des textes en vigueur et de leur vulgarisation, la dépolisatisation de l’administration et la promotion de l’éthique et de la déontologie au sein des administrations et des entreprises, et aussi la promotion d’une culture du bien public, la modernisation des administrations à travers leur informatisation, et enfin l’indépendance des agences chargées de lutter contre la corruption.

La deuxième démarche se veut plus novatrice. Elle est fondée sur l’idée qu’il n’est pas possible de changer les administrations publiques sans les agents publics qui concourent à l’exécution des décisions administratives. Ce sont les administrations publiques qui doivent engager en leur sein la réflexion pour identifier les actions qu’elles sont prêtes à engager afin d’éradiquer la corruption. Elles impliquent un autre mode de gouvernance à inventer et qui serait propre à notre contexte socio-économique.

Wata Nana Fassouma(onep)

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