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A qui profitent les contrats secrets d’Areva avec le Niger ?
Publié le samedi 1 aout 2015   |  ActuNiger


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© Autre presse par DR
La mine de Somaïr, exploitée par le groupe Areva


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Depuis 2006 le Niger cherche à reprendre le contrôle de ses ressources naturelles et à obtenir des retombées financières plus importantes de l’exploitation du minerai nigérien par Areva. L’entreprise française exploite l’uranium nigérien depuis près de 45 ans et ne versait au Niger qu’une redevance de 5,5 % jusqu’en 2014, tout en bénéficiant d’importantes exonérations de taxes. Pourtant au Canada et au Kazakhstan où Areva exploite la majorité de son uranium, le groupe s’acquittait d’une redevance de 10 à 12 % au Canada jusqu’en 2013, alors que la redevance monte à 18,5 % au Kazakhstan. Environ 10 à 15 % du combustible utilisé dans les centrales nucléaires françaises est actuellement fabriqué à partir de l’uranium nigérien. En 2014, Areva a extrait au Niger 32 % de la totalité de l’uranium qu’elle a produit dans le monde.

« L’accord entre Areva et le Niger de mai 2014 n’a pas de valeur juridique »

Le contrat d’exploitation entre le 4ème producteur mondial d’uranium et ce pays parmi les plus pauvres au monde[1] s’est achevé le 31 décembre 2013. Depuis, les négociations pour les nouvelles conventions minières se poursuivent dans la plus grande opacité, ce que dénoncent régulièrement plusieurs associations nigériennes issues de la société civile, en particulier le ROTAB (Réseau des organisations pour la transparence et l’analyse budgétaire). Pourtant, un « accord de partenariat stratégique » a bien été signé en mai 2014, qui devait précéder le renouvellement des conventions. Mais pour le ROTAB, l’accord n’a pas de valeur juridique, seule la publication des conventions minières compte sur ce plan.

Un avis qui n’est pas partagé par Areva : « L’accord de partenariat stratégique a force juridique et a fait l’objet d’une publication au Journal Officiel du Niger en juin 2014. Selon cet accord, nous appliquons désormais la loi minière nigérienne de 2006, ce qui se traduit par une augmentation de la fiscalité des sociétés et donc des retombées pour le Niger.», a déclaré au Journal de l’énergie un porte-parole de l’entreprise. Concernant les conventions minières, elles ont été approuvées en Conseil des ministres. Areva et l’Etat du Niger sont donc en accord sur ce point. »

Le porte-parole du ROTAB, Ali Idrissa rétorque : « l’accord de partenariat stratégique a certes été publié au Journal Officiel mais ce document politique ne peut remplacer la publication des détails fiscaux du renouvellement des conventions minières, conformément à la loi nigérienne. L’article 150 de la Constitution nigérienne stipule que « Les contrats de prospection et d’exploitation des ressources naturelles et du sous-sol ainsi que les revenus versés à l’Etat, désagrégés, société par société, sont intégralement publiés au Journal Officiel de la République du Niger. » Or, ce n’est toujours pas le cas. »

Areva a réussi à faire prolonger des exonérations existantes d’impôts et de taxes et à en obtenir d’autres

Quel est alors l’enjeu qui se dissimule derrière ces nouvelles conventions minières ? Obtenir d’Areva une contribution plus élevée pour le Niger. Elle s’élevait à 106 millions d’euros en 2012, selon une note publiée en juillet par l’association de solidarité internationale Oxfam France et le ROTAB[2]. Mais le détail de l’accord de partenariat stratégique révèle qu’Areva a réussi à faire prolonger des exonérations existantes et à en obtenir d’autres. Ainsi une partie des bénéfices de l’industriel est toujours exemptée de l’impôt sur les sociétés. De plus, Areva ne verse toujours pas de droits de douane et est dispensé de taxes sur les carburants.

La société française a même convaincu le gouvernement nigérien de l’exonérer de TVA. Une dispense qui a le don d’irriter le représentant du ROTAB Ali Idrissa, qui dirige par ailleurs le média indépendant Labari : « La TVA qu’Areva refuse de payer au Niger se chiffre « seulement » entre 10 et 15 millions d’euros par an, un montant minime pour l’entreprise mais un revenu budgétaire supplémentaire qui représente près de 6 % du budget de l’éducation nationale au Niger et permettrait de scolariser 200.000 enfants de plus. »

Selon Oxfam, Areva continuerait à payer la même redevance qu’avant l’accord

Et qu’en est-il de la redevance sur les bénéfices de l’industriel français ? Les nouvelles conventions doivent permettre l’application de la loi minière de 2006, qui prévoit une taxe sur le chiffre d’affaires proportionnelle aux bénéfices (5,5 %, 9 % et 12 %)[3]. Un jeu de dupes pour Martin Willaume, chargé des industries extractives à Oxfam France : « Si Areva respecte désormais les clauses prévues dans la loi de 2006, les taux supérieurs de la redevance progressive (9 et 12 %) ne s’appliqueront jamais avec le niveau des prix actuels de l’uranium et la redevance restera donc limitée à 5,5 % au cours des prochains mois. »

« Vous trouveriez ça normal en France qu’un industriel paye les routes qu’il emprunte ? »

S’il n’a pas permis de faire la lumière sur les nouveaux contrats d’exploitation ni sur les taxes exigées par le gouvernement nigérien, cet accord décrié a permis d’augmenter la contribution d’Areva au développement du Niger : financement d’un tronçon de la « route de l’uranium » (90 millions d’euros), programme de développement agricole (17 millions d’euros), embauche de cadres nigériens et construction d’un immeuble pour abriter les sociétés minières (10 millions d’euros). Mais selon le représentant du ROTAB, le financement de la route, qui permet à Areva d’acheminer par camion l’uranium extrait des mines du Niger au Bénin[4], ne couvre pas le tiers du budget nécessaire à sa réfection. Interrogé à ce sujet, un représentant d’Areva s’exclame : « Vous trouveriez ça normal en France qu’un industriel paye les routes qu’il emprunte ? ». En échange de cette participation au développement du Niger, Areva a obtenu le gel de l’ouverture de la mine nigérienne d’Imouraren où 80 % des salariés ont été licenciés en 2015. Cette mine qui constitue pour Areva « un des gisements les plus importants au niveau mondial » n’est actuellement pas rentable à cause de la faiblesse du marché mondial de l’uranium.

Areva va licencier plus d’une centaine de salariés de sa filiale Somaïr

En attendant, l’exploitation des deux principaux gisements d’uranium se poursuit dans le nord-ouest du pays, à Arlit par deux sociétés majoritairement contrôlées par Areva (la Somaïr et la Cominak). Mais Areva y entretient un climat social délétère depuis la signature de l’accord avec le Niger. Selon le syndicat majoritaire de la Somaïr (Synamin), le groupe nucléaire français y a congédié à tour de bras les sous-traitants à la fin 2014. Pour Moussa Sallah, représentant syndical : « Plus de 400 salariés ont été licenciés sans droits.[5] » En avril 2015 une grève des salariés a éclaté à la Somaïr. « La Somaïr ne veut pas verser des primes liées aux objectifs financiers atteints en 2014. » a commenté un représentant de la Synamin[6]. La situation continue à se dégrader. Areva s’apprête le 31 juillet à licencier plus d’une centaine de salariés de sa filiale Somaïr pour « raisons économiques », selon nos informations.

Les travailleurs nigériens d’Areva payent au prix fort l’accord avec le Niger

S’agit-il pour Areva de répercuter sur ses travailleurs nigériens les modestes exigences financières du Niger ? Areva a déprécié en 2014 sa filiale Somaïr d’un montant de 25 millions d’euros et donne comme explication « une hausse des coûts de production, en lien entre autres avec l’application en 2014 de la loi minière de 2006 au Niger[7]. »

« Les choses ont empiré depuis la signature de l’accord entre Areva et le Niger » a confié au Journal de l’énergie Almoustapha Alhacen, le représentant d’Aghirin’man, une ONG nigérienne de défense de l’environnement et de développement économique basée à Arlit. Pour M. Alhacen qui a travaillé 37 ans chez Areva à la Somaïr, la compagnie française fait des économies en remplaçant les salariés par des sous-traitants. Un salarié des mines exploitées par Areva au Niger bénéficie de nombreux avantages par rapport à un travailleur nigérien moyen. Ainsi un conducteur d’engin ou un soudeur salarié par Areva gagne 700.000 francs CFA par mois (plus de 1.000 euros par mois), est logé, bénéficie gratuitement de l’eau et de l’électricité et de soins médicaux pour sa famille et lui-même. A compétences égales, un sous-traitant gagne 50.000 francs CFA par mois (76 euros) et ne dispose d’aucun des avantages du salarié Areva. Selon la Banque mondiale, le revenu national brut par habitant au Niger s’élevait à 430 dollars par an en 2014.

« Les écoles n’ont pas d’eau, les dispensaires n’ont pas d’eau, des robinets de la ville restent plusieurs mois sans une goutte d’eau pendant qu’Areva pompe gratuitement des millions de mètres cubes d’eau puisés dans une nappe fossile.»

Le porte-parole d’Aghirin’man estime que « les habitants d’Arlit sont toujours privés des retombées de l’exploitation de l’uranium nigérien. » Son association sonne l’alarme sur l’approvisionnement en eau et en électricité des 140.000 habitants de la ville d’Arlit, créée ex-nihilo au début des années 1970 du fait de l’activité minière du groupe français. Les salariés d’Areva et leurs familles résident dans des cités minières (environ 10.000 personnes) et les plus démunis (près de 130.000) vivent dans la ville « induite ». Or l’eau et l’électricité sont réservées en priorité aux activités d’Areva et aux cités des salariés, les populations locales doivent se contenter de la portion congrue[8]. Selon Aghirin’man, Areva utilise environ 27.000 mètres cubes d’eau par jour pour ses activités minières et la ville de 130.000 habitants en reçoit un peu plus de 2.000 mètres cubes. « Les écoles n’ont pas d’eau, les dispensaires n’ont pas d’eau, des robinets de la ville restent plusieurs mois sans une goutte d’eau pendant qu’Areva pompe gratuitement des millions de mètres cubes d’eau puisés dans une nappe fossile.», proteste Almoustapha Alhacen.

L’accès à l’électricité est tout aussi inéquitable. C’est une centrale à charbon d’une entreprise d’Etat nigérienne qui produit l’électricité nécessaire au fonctionnement des mines exploitées par Areva. La SONICHAR fournit 20 mégawatts (MW) aux filiales d’Areva et seulement 0,5 MW à 90 % des habitants d’Arlit. Résultat, l’électricité est coupée la plupart du temps dans la ville. Les filiales d’Areva possèdent pourtant à Arlit des groupes électrogènes qui ne servent pas mais refusent de les utiliser pour alimenter les populations en électricité, selon le président de l’ONG Aghirin’man.

« Les habitants d’Arlit sont exposés à la radioactivité par la boisson, les matériaux de construction, les poussières radioactives et le radon. »

Si les populations d’Arlit bénéficient très peu des ressources dont dispose Areva, en revanche elles subissent pleinement les risques et les impacts des pollutions des gisements d’uranium. Les limites de la ville se situent à moins de trois kilomètresdes installations minières où plusieurs dizaines de millions de tonnes de déchets radioactifs[9] s’accumulent à l’air libre. « Les travailleurs et les populations locales sont exposées de manière chronique à des doses non négligeables de radioactivité, il est donc logique de craindre des effets sur la santé des personnes exposées », juge le directeur du laboratoire de la CRIIRAD (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité), Bruno Chareyron, qui a publiéplusieurs rapports sur l’exploitation de l’uranium par des filiales d’Areva au Niger. L’ingénieur en physique nucléaire note aussi que « les habitants d’Arlit sont exposés à la radioactivité par la boisson, les matériaux de construction, les poussières radioactives et le radon. » Mais la plupart des habitants d’Arlit sont dans l’ignorance complète des risques de la radioactivité, invisible et impalpable. « La radioactivité, ca ne leur dit rien du tout aux populations. », souligne Almoustapha Alhacen[10]. Une campagne de mesures pour estimer le nombre d’habitations construites à Arlit avec des matériaux radioactifs, issus des installations minières voisines, a permis d’identifier en quatre ans une dizaine de bâtiments contaminés (dont une école et une mosquée). Mais selon la CRIIRAD et Aghirin’man, la campagne de mesures s’est essoufflée à cause des difficultés à financer l’assainissement des bâtiments contaminés.

« La santé des travailleurs et des populations locales est, au Niger comme partout où Areva est présent, une priorité absolue. ».

Areva n’a pas répondu aux questions du Journal de l’énergie sur l’impact sanitaire de ses exploitations au Niger. L’entreprise nous a renvoyé vers un document en ligne où on peut lire : « La santé des travailleurs et des populations locales est, au Niger comme partout où Areva est présent, une priorité absolue. ». Plus loin, Areva y affirme que « les contrôles médicaux effectués sur les anciens salariés nigériens n’ont pas révélé de maladie professionnelle liée à l’exposition à l’uranium. ». Mais la CRIIRAD a démontré dans un rapport publié en novembre 2014 que le risque sanitaire à Arlit n’était pas anodin, en évaluant le risque de décès par cancer lié à la radioactivité des travailleurs et des populations, à partir des estimations d’exposition faites par les filiales d’Areva[11].

« Le Niger ne doit pas s’agenouiller devant Areva ! »

« Depuis 1971, Areva profite de nos ressources dans une région laissée à l’abandon, celle d’Arlit où se trouvent les deux plus grandes mines, explique au Journal de l’énergie Ali Idrissa, le coordinateur du ROTAB. Les sols sont contaminés, l’air est pollué. Les infrastructures de santé manquent cruellement et on continue à consommer de l’eau contaminée. Pourtant, la solution est simple : il suffit d’appliquer la loi, poursuit M. Idrissa. Le gouvernement n’arrive pas à défendre les intérêts du pays, qui manque cruellement d’énergie et de ressources pour son développement. Ces revenus doivent servir aux secteurs prioritaires que sont la santé, l’éducation et l’agriculture. Le Niger ne doit pas s’agenouiller devant Areva ! »

Areva souhaitera-t-il ouvrir les cordons de sa bourse au Niger au moment où le groupe dit avoir besoin d’une rentrée d’environ sept milliards d’euros d’ici à 2017 pour ne pas couler à pic ? Martin Willaume d’Oxfam France rappelle que « Areva a profité pendant des décennies de conditions très avantageuses pour l’exploitation de l’uranium au Niger, une ressource stratégique dont la France ne peut se passer. La baisse récente des prix de l’uranium et les difficultés que rencontre Areva au niveau mondial ne doivent pas être des prétextes pour maintenir un partenariat déséquilibré avec le Niger. »

Le gouvernement nigérien n’a répondu à aucune des multiples sollicitations par téléphone et par courriel du Journal de l’énergie. Un interlocuteur nous avait avertis : « les membres du gouvernement observent le silence sur la question. » Areva n’a pas souhaité répondre aux questions concernant les résultats financiers et les impôts de ses filiales au Niger.

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