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Brèves réflexions sur la question très discutée de la récusation de la Cour constitutionnelle par l’opposition politique nigérienne
Publié le mercredi 26 aout 2015   |  ActuNiger


Le
© Autre presse par DR
Le Siège de la cour constitutionnelle du niger


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Dans une communication orale présentée aux doctorales de l’université de Toulon le 17 octobre 2014, nous nous étions attachés à mettre en lumière les relations croisées qui se sont établies au fil du temps entre deux acteurs majeurs de la vie démocratique nigérienne : le juge constitutionnel et le pouvoir politique. Nous rappelions dans cette communication que, de l’histoire du constitutionnalisme en Afrique francophone, la justice constitutionnelle au Niger a été la plus marquée par les vicissitudes de l’événement politique[2].


La promulgation, le 25 novembre 2010, de la nouvelle Constitution actuellement en vigueur et les élections générales de 2011, marquent le début de la VIIème République. Le constitutionnalisme a connu « des fortunes diverses[4]». Se pose ainsi le problème de la séparation des pouvoirs et l’épineuse question de l’impartialité du juge.

C’est en effet l’article 60 de la loi organique 2012-35 du 19 juin 2012, déterminant l’organisation, le fonctionnement de la Cour constitutionnelle et la procédure suivie devant elle, qui pose le principe du respect de l’impartialité de la Cour en ces termes : « Les membres de la Cour constitutionnelle doivent s’abstenir de tout ce qui pourrait compromettre leur indépendance, leur impartialité et la dignité de leurs fonctions.» Ce principe d’impartialité, on le retrouve dans plusieurs textes internationaux auxquels le Niger est partie et qui constituent le bloc de constitutionnalité visé dans le préambule de la Constitution. Sans être exhaustif, on peut citer l'article 14 § 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de New York, l’article 10 §1 de la Déclaration Universelle des droits de l’homme et l’article 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des Peuples. L’impartialité du juge, est en effet, un principe incontournable, non seulement pour les juridictions ordinaires, auxquelles il est traditionnellement rattaché, mais aussi pour les juridictions de la constitutionnalité de la loi. Les éléments permettant de suspecter la partialité du juge peuvent avoir une origine subjective, tenant à ses relations personnelles avec l'une des parties, ou encore une origine objective ou fonctionnelle, tenant au fait que le juge a déjà été amené à intervenir dans l'affaire, de telle sorte qu'il a pu se faire une opinion sur celle-ci. C’est le sens de l’arrêt de la Cour européenne de droit de l’homme, Le Stum c/ France, du 4 oct. 2007 sur les cumuls de fonction d’un juge. La Cour européenne a estimé que par ses fonctions, le juge commissaire est placé dans une situation telle qu'il a pu se faire une opinion sur les fautes de gestion du dirigeant, ce qui lui interdit de siéger ultérieurement dans la procédure en sanction.

La garantie de l’équilibre constitutionnel d’une société pluraliste, au travers de la « résolution judiciaire des plus importants conflits politiques par des normes juridiques constitutionnelles positives[6] ». Tel est le principe exprimé par la doctrine majoritaire.

Au Niger, l’inquiétude devient grandissante, lorsque, courant mois de janvier 2015, la même opposition, rendit publique un document intitulé « livre blanc sur les institutions de la République[8]. Nous ne nous y intéresserons pas au bien fondé de ces allégations qui n’intéressent en rien notre démarche.

Dans ce document atypique, l’opposition regroupée au sein de l’ARDR, récuse la Cour constitutionnelle comme juge du Contentieux électoral en lui déniant les pouvoirs qu’elle détient des alinéas 1 et 3 de l’article 120 de la Constitution qui dispose « La Cour constitutionnelle est la juridiction compétente en matière constitutionnelle et électorale. Elle interprète les dispositions de la Constitution. Elle contrôle la régularité, la transparence et la sincérité du référendum, des élections présidentielles et législatives. Elle est juge du contentieux électoral et proclame les résultats définitifs des élections ». La Cour est ainsi perçue par ses détracteurs comme une chambre d’enregistrement et de validation de la volonté du président de la République.

Cette situation atypique, suscite de notre point de vue, plusieurs interrogations nécessaires à la compréhension de cette situation. Peut-on, au regard des dispositions de l’alinéa 3 de l’article 121 de la Constitution en vertu duquel « les membres de la Cour sont nommés pour six (6) ans…non renouvelables » et l’alinéa 1er de l’article 122 de la Constitution qui dispose : « les membres de la Cour constitutionnelle sont inamovibles pendant la durée de mandat », récuser la Cour constitutionnelle, sans enfreindre les dispositions susvisées ? Dans le cas où, une telle possibilité s’offre à l’opposition, quel est le juge qualifié pour connaître du bien-fondé de la demande de récusation ? Dans le cas où la même Cour devra continuer son fonctionnement, les partis politiques, signataires de cette récusation, se seraient-ils disqualifiés des compétitions électorales de 2016, sinon devant quelle juridiction entendent-ils enregistrés leurs candidats ? Existe-t-il une limite admissible dans les rapports privés que pourraient entretenir les juges et les politiques? A l’état actuel du droit positif nigérien, les membres de la Cour constitutionnelle offrent-t-ils une garantie suffisante d’impartialité ? Les différentes réponses que nous tenterons d’apporter, le long de notre développement, permettront, je l’espère, de mieux comprendre la problématique de la récusation du juge notamment le juge constitutionnel par ailleurs juge du contentieux électoral et l’épineuse question de l’organisation des élections crédibles en 2016.

Notons que depuis l’arrêt Piersack c/ Belgique de 1982, la jurisprudence européenne a opéré une distinction nette entre l’impartialité subjective, qui tient « au juge en tant qu’homme », et l’impartialité objective, qui est liée à l’organe ou à la fonction. Les notions d’indépendance et d’impartialité sont liées par un rapport de causalité : « l’indépendance est un préalable à l’impartialité ; on ne peut être impartial, si, déjà, on n’est pas indépendant ; mais à l’inverse, un juge indépendant de tout pouvoir peut devenir partial dans un dossier particulier [10]. Cette exigence se trouve en bonne place dans le bloc de constitutionnalité et à l’article 60 de la loi organique 2012-35 du 19 juin 2012, déterminant l’organisation, le fonctionnement de la Cour constitutionnelle et la procédure suivie devant elle.

Mais force est de reconnaitre qu’aucune procédure de récusation n’est déterminée. Ni la loi organique du 19 juin 2012 ni le règlement intérieur de la Cour, ne font cas de procédure de récusation des membres de la Cour constitutionnelle. Pourtant, la garantie d’impartialité, dont la récusation constitue un des moyens de défense, est une garantie fondamentale permettant de légitimer et d’accepter la décision rendue par une juridiction.

L’analyse des différents points évoqués ci-haut, permet de démontrer que l’exigence d’impartialité est un gage de stabilité politique (A) qui pourrait être renforcé à travers des décisions dénuées de toute ambigüité (B) dans l’optique de la création d’un véritable Etat de droit.

L’exigence d’impartialité du juge, gage d’une stabilité politique

Dans un arrêt Micallef contre Malte du 15 janvier 2008, la Cour européenne des droits de l'homme a décidé que la frontière entre l'impartialité subjective et l'impartialité objective « n'est

pas hermétique car non seulement la conduite même d'un juge peut, du point de vue d'un observateur extérieur, entraîner des doutes objectivement justifiés quant à son impartialité mais elle peut également toucher à la question de sa conviction personnelle». L’appréciation de l’impartialité du juge constitutionnel semble mieux s’encadrer dans le cas de figure d’un juge qui exerce successivement et cumulativement des fonctions législatives et des fonctions juridictionnelles, comme dans l’affaire McGonnell C/ Royaume-Uni du 8 février 2000. Cet arrêt concerne un cas de partialité d’un juge dans l’exercice successif et cumulatif de fonctions législatives et de fonctions juridictionnelles. L’affaire est relative au bailli, le premier citoyen et premier représentant de l’île de Guernesey, qui préside les States of Deliberation, organe législatif, et il est le premier magistrat de la Royal Court, organe judiciaire. Dans le cas d’espèce, le bailli avait présidé les States of Deliberation lors de l’adoption de l’acte en cause dans l’affaire postérieure du requérant. Sur cette affaire avait ensuite statué la Royal Court, dans laquelle siégeait également le bailli en tant que juge. Le bailli s’est donc trouvé à appliquer, et par conséquent à interpréter, des dispositions tout en ayant participé à leur élaboration.

La Cour constitutionnelle nigérienne, étant composée essentiellement de membres élus, la plus haute juridiction ne pourrait pas connaître de cette situation d’impartialité objective. C’est donc sur le terrain de l’impartialité subjective qu’il convient de rechercher l’impartialité soulevée par la coalition des partis politiques d’opposition.

Un comportement impartial est celui qu'adopte une personne ou une organisation « qui agit sans entrer elle-même en considération dans l'action [12]. Or, en l’espèce, la demande de récusation de la présidente de la Cour constitutionnelle par l’opposition, semble se fonder sur deux points ; d’abord, parce qu’elle est l’un des deux membres non élus de la Cour, désigné par le président de la République ; l’autre membre étant désigné par le bureau de l’assemblée nationale. Ensuite, la manifestation de partialité fondée sur les relations privées entre la présidente de la cour et le président de la République. Or, selon la doctrine, il y a manifestation de partialité « S'il y a amitié ou inimitié notoire entre le juge ou son conjoint et l'une des parties ». c’est sans doute ce principe doctrinal qui conforte la requête de l’opposition lorsqu’elle souligne au soutien de sa demande, « l’immixtion de la Présidente de la Cour Mme ABDOULAYE DIORI NÉE KADIDIATOU LY dans les affaires politiques. »Celle-ci apparait comme une requête pour cause de suspicion légitime et dans ce cas de figure, elle doit démontrer que des éléments objectifs sont de nature à faire naître un doute sur l’impartialité de la Cour dans son ensemble. C’est à ce titre que l’ARDR a invoqué, un entretien accordé par le président du Parti de la majorité, à l’époque ministre des affaires étrangères, à une télévision locale au cours de laquelle celui-ci, « en relatant les faits ayant conduit à la rupture de son parti avec son ancien allié principal, a fait cas de l’implication personnelle de la Présidente de la Cour …à la demande du Président de la République dans les négociations politiques avec M. HAMA AMADOU. ». Bien entendu, il n’entre pas dans le rôle des membres de la Cour, de mener une médiation politique, à quelque degré que ce soit, au risque d’enfreindre aux dispositions constitutionnelles d’impartialité et de neutralité de l’article 124 de la constitution.

A l’évidence, il existe là, un réel vide juridique. Pourtant, la mise en œuvre de l'impartialité s'impose à la Cour constitutionnelle, dès lors qu’elle est dotée de prérogatives qui l'amènent à abroger erga omnes une disposition légale qu'elle juge non conforme à la Constitution, laissant croire, sans le moindre doute, qu’elle dispose des mêmes caractéristiques d’un tribunal tel que défini par la jurisprudence internationale. A ce titre, elle est soumise à l’obligation d’impartialité et l’article 60 de la loi organique 2012-35 du 19 juin 2012, l’a bien rappelé. Même si, on a pu regretter, que cette loi n’ait pas organisée les procédures de récusation et d’abstention des membres de la Cour. Car, la justice constitutionnelle, pour être effective et efficace, ne peut s’accommoder d’un système marqué par l’existence d’un pouvoir fort et surtout d’un chef omnipotent, or comme le notait le professeur Gérard Conac, « En Afrique, c’est le Chef de l’Etat qui est dans les faits le juge suprême de la constitutionnalité. Le respect de la constitution dépend plus de son vouloir que des juges, si courageux soient-ils.[14]. Il a fait parfois preuve d’audace en s’affirmant en véritable gardien de la Constitution. L’arrêt n° 04/CC/ME du 12 juin 2009 en est la parfaite illustration. Dans cet arrêt, le juge constitutionnel, a déclaré non-conforme à la Constitution le décret du président de la République, convoquant le collège électoral. Pour ne pas se heurter à une résistance de la part de l’exécutif, la Cour a en outre annulé le décret du président de la République.

L’exigence de clarté des décisions rendues, garantie d’une décision acceptable.

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L’adage anglais, fondateur de la théorie de l’apparence, « Justice must not only be done, it must be seen to be done» conduit à réfléchir sur la compatibilité de la garantie de l’impartialité avec la préservation du bon fonctionnement de la Cour constitutionnelle. La jurisprudence européenne désormais bien établie, est assez claire, en matière d’impartialité du juge, « mêmes les apparences peuvent revêtir de l’importance ».

Au Niger, du fait du mode de désignation des membres de la Cour constitutionnelle[16]. Une justice indépendante est avant tout une justice compétente au service de la loi et des citoyens.

Dans le point IV de son livre blanc, intitulé « Des ambigüités, incohérences, contradictions et déni de justice des décisions rendues par la Cour », l’ARDR argue quatre principaux points au soutien de sa déclaration à savoir : les différents arrêts contradictoires de la Cour, les arrêts où la Cour a statué « ultra petita », les arrêts dans lesquels la cour a outrepassé ses compétences et le déni de justice à l’égard de l’opposition.

Dans un souci de cohérence, nous allons nous en tenir à trois points étant donné que les deux points visent l’excès de pouvoir du juge constitutionnel, nous les regrouperons en un point.

L’opposition invoque le revirement jurisprudentiel de la Cour constitutionnelle en dépit de l’arrêt de principe n°007/11/CCT/MC du Conseil Constitutionnel de Transition du 04 mai 2011 rendu à l’occasion de l’élection du premier Bureau de l’Assemblée Nationale de la 7eme République. Voici sommairement les faits d’espèce. Au cours de l’élection du bureau de l’assemblée nationale de 2011, le poste de deuxième questeur était pourvu par un député de la majorité parlementaire. C’est ainsi qu’un groupe de députés de l’opposition a introduit une requête aux fins d’annulation du Bureau de l’Assemblée nationale pour violation de l’article 89 de la Constitution qui dispose « L’Assemblée nationale est dirigée par un président assisté d’un Bureau. La composition du Bureau doit refléter la configuration politique de l’Assemblée nationale. Le président est élu pour la durée de la législature et les autres membres du Bureau le sont chaque année, conformément au règlement intérieur de l’Assemblée nationale ». Dans son arrêt, la Cour a, dans un considérant, explicitement fait remarquer que « la composition du Bureau de l’Assemblée nationale ne reflète pas la configuration politique de celle-ci ; qu’en effet en s’octroyant le poste de deuxième questeur la majorité viole les dispositions constitutionnelles sus rapportées ». Ce qui a amené l’assemblée nationale à reprendre l’élection des membres du bureau. En 2014, soit un an après l’installation de la nouvelle cour constitutionnelle, le même problème s’est posé au cours de l’élection du bureau de l’assemblée nationale. Cette fois-ci, des éléments nouveaux sont apparus. En l’espèce, à la suite d’une rupture d’alliance entre les principaux partis de la majorité, des dissidences se sont créées dans les différentes formations politiques de l’opposition, certains parlementaires de l’opposition ont exprimé leurs vœux de soutenir les actions de la majorité. C’est ainsi qu’au cours du renouvellement annuel du bureau de l’assemblée nationale, certains dissidents ont émis le vœu de présenter leur candidature à leurs différents groupes parlementaires d’origine conformément à l’article 13 du règlement intérieur de l’assemblée nationale qui prévoit le dépôt de candidature par les présidents des différents groupes parlementaires. Ces derniers avaient refusé de recevoir les candidatures, arguant que les députés dissidents ne faisaient plus parti de leurs groupes parlementaires puisqu’étant déjà de la majorité. Mais les résultats des élections n’ont pas permis de satisfaire à l’alinéa 1 de l’article 89 de la Constitution qui dispose «… La composition du Bureau doit refléter la configuration politique de l'Assemblée nationale ». En effet, la majorité parlementaire avait refusé de voter les deux (2) candidats de l’opposition autres que les dissidents dont les candidatures ont été refusées par leurs groupes aux postes de 2e et 3e vice-président. Ce qui a créé une situation d’impasse, puisque le bureau de l’assemblée était incomplet et ne reflétait guerre la configuration politique de l’assemblée nationale. Saisie d’une requête, la cour, dans un arrêt n°004/14/CC du 2 mai 2014 a rappelé sa jurisprudence constante de 2011 en affirmant qu’ « en application de l’article 89 alinéa 1 de la constitution, le Bureau composé de onze (11) membres élus sur treize (13) prévus ne reflète pas la configuration politique de l’Assemblée.» enjoignant en même temps à l’assemblée nationale de pourvoir impérativement aux postes vacants. Sur le deuxième point soulevé, c'est-à-dire le refus de recevoir les candidatures des députés dissidents par leurs groupes parlementaires, la cour, se fondant sur le pacte international relatif aux droits civils et politiques(PIDCP) visé au préambule de la constitution et qui fait partie intégrante de la celle-ci, reconnait au député, même dissident, la liberté de candidature à un poste affecté à son groupe parlementaire, en vertu de l’article 25 du PIDCP qui reconnait à tout citoyen « le droit à la direction des affaires publiques…, » « le droit et la possibilité… de voter et d’être élu ». Devant le blocage persistant de l’élection effective du bureau de l’assemblée, la cour a été saisie d’une requête en interprétation de son arrêt du 004/14/CC du 2 mai 2014. A la suite de cette interprétation, la Cour a affirmé que le refus des présidents des différents groupes parlementaires de déposer des candidatures autres que ceux des candidats non élus, pourrait s’interpréter comme une renonciation à leur droit d’occuper les postes qui leur reviennent conformément à l’article 89 de la constitution.

En effet, même si par une interprétation large des article 120 et 126 de la Constitution, la Cour semblait s’octroyer des pouvoirs qu’elle ne tire pas de la constitution, en l’espèce le rôle de régulation du fonctionnement des institutions et des services publics, il n’en demeure pas moins que cette décision a permis de créer un précédent jurisprudentiel tiré de l’expérience étrangère comparée, notamment la Cour constitutionnelle béninoise dans sa décision DCC 03-078 du 12 mai 2003. A l’évidence cet arrêt de la Cour est tout à fait discutable et instaure une sorte de « gouvernement de juges » puisqu’à la différence de la Cour constitutionnelle du Bénin qui tire la légitimité de sa décision de l’article 114 de la constitution du 11 décembre 1990 qui dispose « la Cour constitutionnelle…….l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics.», au Niger, l’article 46 de la constitution du 25 novembre 2010 qui attribue cette prérogative au Président de la République dispose « Le Président de la République……assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l'Etat.». Par son interprétation large, la Cour semble « voler la vedette » au Président de la République. C’est d’ailleurs ce que semble lui reprocher l’opposition politique, qui estime que toute cette « élasticité interprétative » procède d’une démarche de la Cour pour faire allégeance à la majorité. Or, il est tout à fait courant, dans sa mission d’interprète de la constitution, que le juge constitutionnel s’octroie une certaine liberté, parfois créatrice de normes jurisprudentielles, comme c’est fut le cas récemment au Bénin où la Cour constitutionnelle, malgré les dispositions de l’article 44 de la Constitution qui fixait l’âge minimum à l’élection présidentielle à quarante (40) ans, est passée outre pour validée la candidature d’un citoyen Béninois âgé de moins de quarante (40) ans.

Même si on peut regretter parfois le caractère libérale du juge constitutionnel, on ne saurait refuser de reconnaitre ses décisions puisque celles-ci sont réputées définitives, non susceptibles de recours et s’imposer à tous. Cela fait désormais partie de la pratique juridictionnelle des juridictions constitutionnelles, dans leur mission d’interprétation de la Constitution, même si certains n’admettent pas cette démarche. Il appartient donc à tous les citoyens de respecter la Constitution pour ne pas permettre à la Cour une large marge d’interprétation, car chaque fois que la Constitution est mise à mal, il y va du devoir du juge constitutionnel, d’en rétablir l’ordre, au risque parfois de se dédire, c'est-à-dire parfois au prix d’un revirement jurisprudentiel. Et l’une des taches essentielles d’une Cour constitutionnelle est de trancher en termes juridiques des conflits d’ordre politique qui peuvent opposer les diverses branches du pouvoir[18].

Cette crise de confiance entre acteurs politiques et juge constitutionnel, met en lumière la nature des rapports entre ces deux acteurs clés de la démocratie. Cette situation, suscite de notre point de vue quelques interrogations : S’achemine-t-on vers une remise en cause de l’exception nigérienne du mode de désignation du juge constitutionnel ? L’institution d’une procédure de récusation du juge constitutionnel au Niger, ne risquerait-elle pas d’être source d’instabilité politique ?

La procédure de récusation du juge constitutionnel, source d’instabilité politique

L'impartialité subjective ou objective du juge est toujours présumée, et il appartient à la partie intéressée de rapporter la preuve des éléments objectifs qui lui permettent de suspecter légitimement le juge.

Les caractéristiques de la récusation se présentent comme un mécanisme « à double tranchant ». Si d’une part il semble garantir l’impartialité de la juridiction constitutionnelle, d’autre part il menace sa légitimité. Une utilisation répétée et abusive de cet instrument pourrait en effet conduire à un certain discrédit de l’institution. Cette crainte doit toutefois être nuancée. En effet, les causes de récusation doivent toujours être prouvées par les parties, puisque l’impartialité du juge est présumée. De ce fait, une utilisation abusive de la récusation portera atteinte aussi bien à la crédibilité des parties (généralement la majorité ou l’opposition) qu’à la légitimité de la Cour constitutionnelle. En conclusion, un organe juridictionnel qui est capable d’admettre la partialité de l’un de ses juges dans une affaire donnée ne ressort pas affaibli de cette procédure, mais renforcé. Aux yeux des citoyens, il garantit en effet l’impartialité de l’exercice de la fonction juridictionnelle, au-delà de tout intérêt de protection corporative[20]. Les crises institutionnelles et politiques prospèrent lorsque le juge en charge de leur régulation et de leur résolution est soit absent soit faiblement présent. Or, la plupart des démocraties contemporaines ont fait le choix de la résolution juridictionnelle des conflits politiques[22]. Mais celui-ci, doit pour la réussite de sa mission, faire preuve d’ingéniosité et de courage. C’est pourquoi, connaissant l’état d’esprit qui caractérise la plupart des hommes politiques nigériens, il n’est pas dans l’intérêt de la démocratie, qu’une procédure de récusation du juge constitutionnel soit instituée, car l’utilisation abusive de celle-ci conduirait à une décrédibilisassions de cette institution jusque-là noble et dont les décisions sont imposables à tous. Lorsqu’elle est instituée, la récusation peut non seulement viser un membre de la formation de jugement, titulaire ou remplaçant, mais aussi son président.

Personne ne conteste en effet la complexité des rapports entre juges et politiques, partout dans le monde. Mais la situation de la justice notamment de la justice politique apparaît paradoxale au Niger, tant sur le plan des institutions que des symboles. Comment expliquez en effet, une telle crise de confiance ? « Ne pouvant trouver le juste, écrit Pascal, on a trouvé le fort [24]. Ensuite ce sont les liens de cette justice avec la subjectivité, l’appréciation individuelle, la diversité sociale qui s’imposent à l’esprit : « Plaisante justice qu’une rivière borne [26] » C’est pourquoi, explique le doyen, « ils sont plus exposés aux représailles et pressions possibles de ceux qu’ils contrôlent

[2]J.D.B de Gaudusson, « Défense et illustration du constitutionnalisme en Afrique après quinze ans de pratique du pouvoir », in Renouveau du droit constitutionnel, Mélanges en l’honneur à Louis Favoreu, Dalloz.2007, p.609

[4] Cette thématique a fait l’objet d’une communication orale (dont la version écrite paraitra dans l’annuaire internationale e justice constitutionnelle) de notre part le 17 octobre 2014, à l’occasion des doctoriades de l’Université de Toulon, sous la présidence du Professeur Max Gounelle.

[6] Voir à ce sujet, Nicoletta PERLO, les premières récusations au Conseil constitutionnel : réponses et questionnement sur un instrument à double tranchant,

[8] CISSE, « Livre blanc sur les institutions de la République de l’ARDR. Ne touche pas à ma famille », réponse publiée par le journal « L’actualité » le 28 janvier 2015.

[10] Natalie FRICERO, « Récusation et abstention des juges : analyse comparative de l'exigence commune d'impartialité » in Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n°40, juin 2013.

[12] WACHSMANN (P.), « Sur la composition du Conseil constitutionnel », Jus Politicum, n°5, 2010, pp. 14-16.

[14]Gérard.Conac, op.cit

[16] Charles DEBBASCH, l’indépendance de la justice, « au carrefour des droits » in Mélanges en l’honneur de Louis Dubouis, Dalloz, 2002, 27-33

[18] Natalie FRICERO, « Récusation et abstention des juges : analyse comparative de l'exigence commune d'impartialité » in Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n°40, juin 2013.

[20] V AMADOU HASSANE Boubacar, « justice constitutionnelle et démocratie dans les Etats d’Afrique noire francophone: cas du Bénin, du Mali et du Niger » thèse soutenue en 2014, UCAD.

[22] AMADOU HASSANE Boubacar opt cit

[24] Père Antoine KHALIFE, opt cit

[26] L.Favoreu, opt cit

[27] idem

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