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Il était une fois… la pré-campagne de la présidentielle de 2016
Publié le dimanche 7 fevrier 2016   |  ActuNiger


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© Autre presse par DR
Dr Elisabeth Sherif


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La pré-campagne, c’est l’étape de la compétition électorale qui précède le début officiel de la campagne électorale. C’est une période propice à l’élaboration et /ou à la finalisation des programmes électoraux, qui est aussi assez souvent utilisée pour tester la réceptivité et la compétitivité des idées et propositions que les partis politiques entendent soumettre à l’appréciation de l’électorat.
Elle peut durer plusieurs semaines, voire même de nombreux mois, avec l’organisation des primaires observée de plus en plus dans certaines démocraties. Au Niger, le lancement officiel de la campagne électorale, le 30 janvier dernier, marqua la fin de la phase de pré-campagne de la présidentielle de 2016. Le pays, aura ainsi connu, pour la 2ème fois dans l'histoire du processus de démocratisation entamé au début des années 1990, une pré-campagne, impliquant un président sortant, candidat à la réélection. La première fois, c’était en 2004, avec la majorité qui porta le Président Tandja Mamadou au pouvoir en 1999. Il serait ainsi intéressant, d’examiner la pré-campagne 2016, en la mettant en parallèle avec celle de 2004. Comment les deux majorités sortantes ont géré la fin de leurs mandats et la question électorale, et quel impact cela a pu avoir sur les débats et le climat des pré-campagnes concernées ? Ces questions permettraient de relever des points de similitude et de différence entre les 2 pré-campagnes, mais aussi d’examiner l’évolution des moeurs politiques nigériennes, dans le but de souligner les attentes que les électeurs nigériens pourraient se sentir en droit de formuler à l’endroit de la classe politique au cours de cette campagne électorale.

Les points de différence entre les pré-campagnes de 2016 et 2004

D’une manière générale, la pré-campagne de 2016 se distingue de celle de 2004, du point de vue de la durée, de la qualité des débats, du climat politique et même de la cohésion des partis politiques membres de la mouvance présidentielle.

1- En effet, l’élection présidentielle de novembre-décembre 2004 avait été précédée par les élections locales. Ces dernières, organisées en juillet 2004, ont permis aux partis politiques de s'exprimer, de se jauger, mais surtout, de donner une tendance assez claire aussi bien du ton que du contenu des débats de la présidentielle de 2004.

2- En juillet 2004 déjà, la mouvance présidentielle de l’époque mettait effectivement en avant son bilan, et notamment la construction d’écoles et des cases de santé, effectuée dans le cadre du Programme Spécial du Président de la République. Un bilan qui a été vivement critiqué par l’opposition. «Ce n’est pas parce que le coq a chanté quand le soleil s’est levé que c’est le coq qui fait lever le soleil» (voir L’Opinion, n° 049 du 14 juillet 2004, p 2), dira par exemple à ce propos le chef de file de l'opposition de l'époque, dans la subtile campagne de sensibilisation qu'il initia pour expliquer la provenance des fonds ayant servi au Programme spécial.

3-La question de la concrétisation des promesses électorales de 1999 ainsi que les méthodes de gestion des autorités de la 5ème République, ont été également soumises aux débats. Les journaux proches de l’opposition, et en particulier « Le Républicain », avaient été mis à contribution dans la dénonciation des affaires ou des scandales politico-financiers, révélés à l'aide des fuites des documents administratifs, érigés en preuves.

4- La phase de pré-campagne de la présidentielle de 2004, avait été de ce fait non seulement plus longue, mais aussi particulièrement riche, du point de vue des débats et échanges entre les principaux acteurs de la scène politique nigérienne. Acteurs qui, par ailleurs et c’est important de le souligner, jouissaient pleinement et dans leur intégralité, de la liberté de mouvement et d’expression, dans un espace politique clairement délimité entre l’opposition et le gouvernement. Une situation donc, qui tranche beaucoup avec ce que l’on a pu observer lors de la pré-campagne qui vient de s’achever.

5- En effet, la pré-campagne de 2016 s’est plutôt illustrée par des incertitudes notoires. Incertitudes concernant la disponibilité et la fiabilité du fichier électoral, mais aussi autour des potentiels candidats à l’élection présidentielle, eu égard à l’incarcération de l’un des principaux opposants du régime, sans compter les potentiels candidats qui ne jouissaient que de la liberté provisoire. Une situation inédite dans l’histoire politique du pays.

6- Ainsi, contrairement aux échanges structurés et de fond observés dans la pré-campagne de 2004, les débats de la pré-campagne de 2016 ont essentiellement tourné autour de l’audit du fichier électoral, les épisodes d’interpellation et d’arrestation de certains opposants, la véracité ou non de la tentative du coup d’Etat annoncé par le régime en place, etc.. Et tout ceci, dans un climat particulièrement tendu, caractérisé par la détérioration des rapports entre les partis d’opposition et ceux de la mouvance présidentielle ainsi que l’exposition publique des frictions existant au sein des partis politiques membres de la coalition qui porta le Président Mahamadou Issoufou au pouvoir en 2011.

7- On peut à cet égard rappeler que la coalition qui porta le Président Tandja Mamadou au pouvoir en 1999, était arrivée au terme de son mandat plutôt intacte. Le CDS, principal allié du MNSD, avait certes contracté des alliances avec les partis de l’opposition dans certaines localités du pays lors des élections locales de juillet 2004, mais les rapports entre les principaux leaders de ces deux grands partis de la mouvance présidentielle de l’époque, étaient restés, tout de même, quasiment normaux.

8- Aussi, lorsque le CDS fit publiquement part de sa décision de suspendre son alliance avec le MNSD, à l’approche de la campagne de la présidentielle de 2004, l’annonce avait été faite avec des termes plutôt cordiaux, qui n’excluaient aucunement pas une collaboration ultérieure entre les deux alliés. Et sans grande surprise, ces deux partis se sont retrouvés dans une alliance plus large que prévue, qui remporta le second tour de la présidentielle de 2004.

9- Ainsi, contrairement à la mouvance présidentielle de 2004, la majorité de 2016 a atteint le terme de son mandat plutôt émiettée. Le MODEN-FA Lumana, principal allié du parti du président sortant, quitta la coalition gouvernementale en Août 2013. Le leader de l’UDR-Tabbat, Amadou Boubacar Cissé, finit également par rejoindre le camp des opposants avant la fin du mandat de la coalition, après de longs mois de bras de fer et de désaccords, parfois médiatisés, avec une partie de l’entourage du Président sortant.

10- Mais les frictions de la majorité sortante, n’ont pas uniquement une dimension inter-partisane. Elles revêtent également des aspects intra-partisans, illustrés par la création du Mouvement Patriotique Nigérien (MPN-Kiishin Kassa) de Ibrahim Yacouba des rangs du PNDS et du Congrès Pour la République (CPR-Inganci) de Kassoum Moctar de ceux du RSD, tous les deux candidats à la présidentielle. A ces scissions, s’ajoutent les remous observés au sein du RDP et de l’ANDP, autour de la décision de leurs états majors de ne pas présenter de candidats à la présidentielle, afin de soutenir le président sortant dès le premier tour.

11- Les dissensions du RDP, ont opposé la direction du parti à Djibril Baré Mainassara, jeune frère du Président de la 4ème République, Ibrahim Baré Mainassara, fondateur du RDP Jama’a. Une donne qui serait susceptible d’affecter de façon non négligeable les scores du président sortant dans l’Arewa, et en particulier dans le département de Doutchi, qui a offert au PNDS lors du 1er tour de la présidentielle de 2011, près de 61% des 117.259 voix qui lui ont permis de s’imposer dans la région de Dosso devant l’ANDP (95.938 voix), le MODEN-FA (92.656 voix) et le MNSD (81.423 voix).

12- Ceci d’autant que, en plus des désaccords enregistrés au RDP, on peut noter la candidature de Ibrahim Yacouba, qui compte piocher une bonne partie de son électorat dans l’Arewa. Plus important encore, l’incompréhension sévissant dans les rangs de l’ANDP, concernant le retrait du parti de la compétition présidentielle, pour la première fois de son histoire, risquerait fort probablement de provoquer un vote de défiance des militants de ce parti, en faveur du MODEN-FA et du MNSD. Et ce basculement, très fort probable, de la région de Dosso dans l’escarcelle de l’opposition, compliquerait davantage la concrétisation des prétentions d’une victoire du président sortant dès le 1er tour. Les prétentions d’un passage au 1er tour, qui constituent par ailleurs un des points de similitude entre la précampagne de 2016 et celle de 2004.



Les points de similitude

13 - En effet, la précampagne de 2016 partage des points communs avec celle de 2004. Des points de similitude, qui sont liés à la participation du président sortant à la compétition électorale. Une participation, qui soulève principalement, et en particulier dans les rangs de l’opposition, la question de la disposition du président candidat à créer les conditions favorables à l’organisation des élections libres, transparentes et équitables. Et cette préoccupation suscita, aussi bien en 2004 qu’en 2016, des allégations de concurrence déloyale et des soupçons de fraude, surtout face aux prédictions insistantes de la victoire des présidents sortants dès le premier tour.

14- Les allégations de concurrence déloyale portèrent essentiellement sur l’entrée du président sortant en campagne avant le coup d’envoi officiel de celle-ci, ainsi que l’utilisation de la fonction présidentielle et des moyens de l’Etat à des fins partisanes et électoralistes. On peut à cet égard, rappeler la déclaration du 21 octobre 2004, des responsables du PNDS, de l’ANDP, du RDP et du RSD, dans laquelle ils dénonçaient :

« - L’usage abusif des locaux de la Présidence de la République pour tenir des réunions politiques comme ce fut le cas le 8 octobre 2004.

- Chaque jour depuis une semaine, un magazine spécial retraçant son action à la tête de l’Ėtat est diffusé par la Télévision Nationale au journal de 20H en français et dans les langues nationales.

-Des tournées présidentielles à vocation essentiellement propagandiste sont effectuées et exagérément rapportées par les médiats publics nationaux

-Les épouses du chef de l’ Ėtat, arguant du prétexte de la lutte contre le sida et le paludisme, sillonnent le pays avec les fonds des partenaires au développement pour la propagande du Président de la République» (voir La griffe n° 78 du 25 octobre 2004, p 4).

15- Quelques jours plus tard, le 8 novembre 2004, les directeurs de campagne des principaux partis politiques d’opposition de l’époque, accordèrent un point de presse, pour exprimer leurs vives inquiétudes, en indexant le pouvoir qui, selon eux, essayait de créer « délibérément toutes les conditions pour favoriser la victoire de son candidat, le Président sortant» (Voir le Républicain n° 642 du 11 au 17 novembre 2004) . Les organisations de la société civile nigérienne s’étaient également réunies quelques jours auparavant et notamment le 5 novembre 2004 à Niamey, pour faire aussi part de leurs inquiétudes et surtout mettre en garde contre toute tentative d’influencer ou d’empêcher le bon déroulement des élections.

16- Le rappel de ces faits, ne vise aucunement pas à dédouaner l’actuel Président candidat des actes similaires qui lui ont été récemment reprochés. L’enjeu étant surtout de souligner la continuité de ces pratiques, en dépit des critiques dont elles avaient fait l’objet, de la part de ceux qui sont aujourd’hui accusés de les perpétrer. Tout se passe dès lors, sur ces questions et bien d’autres travers du jeu politique nigérien, comme si, on dénonçait des choses ou des actes, moins pour ce qu’ils ont de répréhensible et de dysfonctionnel, que pour la possibilité que leur dénonciation offre d’accéder à la position de leurs auteurs, dans le but de reproduire les mêmes actes, et en pire. Il en est de même d’ailleurs, pour les prétentions du passage au 1er tour.

17- En effet, les prédictions d’une victoire dès le 1er tour, faisaient partie des arguments favoris des partisans du Président Tandja Mamadou en 2004. Illustrées par le slogan « tazarce », une expression hausa renvoyant à la notion de continuité, ces prétentions d’un passage du Président Tandja dès le premier tour ont suscité des soupçons au sein d’une bonne partie de la société civile, mais surtout dans les rangs de l’opposition, qui commença à attribuer des intentions de fraude au MNSD, le parti du président sortant. Constituée principalement des partis politiques de la mouvance présidentielle actuelle, l’opposition de l’époque rejeta donc, catégoriquement, l’éventualité de la victoire d’un candidat dès le premier tour, en s’appuyant sur la structure du jeu politique nigérien, qui rendrait la tenue d’un second tour inéluctable.

18- Aussi, le candidat du PNDS, principal opposant de l’époque et actuel président sortant, déclara sans ambiguïtés, lors de la conférence de presse d’inauguration de sa campagne, qu’il serait prêt à accepter, comme lors des présidentielles précédentes, le verdict des urnes si les élections étaient organisées de façon libre et transparente, mais qu’il rendrait le pays ingouvernable au cas où on refuserait de reconnaître un verdict qui lui serait favorable (Voir la Griffe n° 80 du 8 novembre 2004). Dans la même détermination, le leader du RDP souligna, lors d’un meeting à Konni, qu’« en cas de tazarce, le Niger aura six Présidents de la République en même temps » (Voir la Griffe n° 80 du 8 novembre 2004).

19- Les prétentions d’une victoire dès le premier tour en faveur du président sortant, ont donc eu un effet remarquable sur les débats de la phase inaugurale de la campagne présidentielle de 2004, au regard des vives réactions qu’elles ont suscitées. Mais les élections de 2004 ayant été globalement organisées de façon libre, transparente, équitable et inclusive, l’incontournable 2nd tour finit par avoir lieu. Pour l’élection présidentielle en cours, tout ce qu’on peut s’autoriser à avancer à ce stade de la compétition, c’est que l’obsession d’une victoire du président sortant dès le premier tour, a beaucoup contribué à priver la phase inaugurale de la campagne des débats à la fois riches et sereins, susceptibles d’aider les électeurs à affiner les questions qu’ils se posent et auxquelles ils aimeraient trouver des réponses au cours de la campagne.

20- Enfin, la reproduction des pratiques vivement critiquées en 2004, doit interpeller toute la classe politique et l’opinion publique nigérienne dans sa globalité, sur la nécessité d’interroger les méthodes et mécanismes qui les perpétuent. Les acteurs politiques, la société civile et les observateurs de la scène politique nigérienne, ne peuvent pas à cet égard, faire l’économie de la quête des voies et moyens permettant de venir à bout d’une lecture circonstanciée et circonstancielle des réalités politiques du pays. Un état de fait, qui donne l’impression que les convictions démocratiques et les acteurs qui les défendent ou les analysent, changent au gré des alternances politiques. Un engagement permanent, sincère et désintéressé de tous serait donc indispensable, afin que ceux qui ont eu à déplorer des pratiques défavorables aussi bien à la bonne marche qu’à la maturation du processus démocratique nigérien, ne fassent pas partie de ceux qui seraient indexés à l’avenir pour des faits similaires. Il serait par ailleurs indispensable, de questionner également la tendance plutôt creuse des débats que l’on a pu observer au cours de cette précampagne de 2016, afin que la campagne électorale en cours soit beaucoup plus fructueuse. Tout comme en 2004, le bilan du président sortant sera l’un des thèmes majeurs des débats de la présidentielle de 2016. Les électeurs nigériens ont à cet égard besoin de connaître, tout comme en 2004, la provenance et les montants exacts des fonds ayant servi aux réalisations effectuées par le président sortant. Des éclairages pointus, sur l’évolution budgétaire et la courbe d’endettement du pays, seront, à cet effet, indispensables. Ce qui permettrait d’aller au-delà de la simple question du nombre de réalisations, pour examiner non seulement leur qualité, mais aussi l’intégrité des personnes qui les ont pilotées. Les électeurs nigériens ont également besoin de savoir pourquoi les populations nigériennes demeurent toujours parmi les plus déshéritées de la planète, celles qui ont le moins accès aux soins médicaux, à l’éducation, à l’emploi, etc. Bref, le pays a besoin, peut être plus que jamais, des débats qui soient à la hauteur de la situation socio-économique du pays, tenus dans un cadre serein, équitable, transparent et suffisamment sincères pour motiver des actions transformatrices et salvatrices pour toute la nation.

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