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Le Sahel N° du 11/2/2016

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Entretien avec M. Kalla Karimou, historien, Enseignant-chercheur à l`Université Abdou Moumouni de Niamey : « Si la démocratie contribue à nous diviser au lieu de nous rassembler (...), alors nous devons recadrer notre réflexion dans le sens de voir
Publié le jeudi 11 fevrier 2016   |  Le Sahel


M.
© Autre presse par DR
M. Kalla Karimou, historien, Enseignant-chercheur à l`Université Abdou Moumouni de Niamey


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Quinze candidats se présentent cette année au premier tour de l’élection présidentielle du 21 février 2016 au Niger. M. Kalla Karimou, quels commentaires vous inspire ce nombre relativement élevé de candidatures ?
Cela m’inspire trois réflexions. La première c’est que cela témoigne de la vitalité de notre démocratie. Une deuxième considération qui est moins flatteuse, dénote quelque part la non-satisfaction des projets de société proposés par la classe politique nigérienne aux populations nigériennes. Troisième considération, c’est qu’à travers cette multitude de candidatures, je vois l’incapacité de la classe politique nigérienne à se mobiliser, à se regrouper et à proposer des projets de société à même de sortir le pays des difficultés dans lesquelles il est plongées.
Si vous prenez ces trois aspects, naturellement vous vous rendez compte qu’à partir du moment où le souverain primaire, c’est-à-dire le peuple, qui détient la légitimité du pouvoir, n’est pas satisfait de ce qui lui est proposé, il cherchera toujours à trouver ailleurs ce qu’il lui faut. Si nos partis avaient réussi à se fédérer et à faire en sorte que toutes les synergies soient regroupées à travers de grands axes politiques qui permettent d’avoir une plus grande visibilité de leurs actions, je suis convaincu qu’on n’aurait pas eu autant de candidats.
Deuxièmement, certaines personnes considèrent, à tort ou à raison, que la politique étant devenue le meilleur moyen d’accéder aux ressources de l’Etat, et donc de s’enrichir, évidemment, chacun veut trouver sa place au soleil. Il ne faut pas oublier que la démocratie, c’est l’art de permettre à chacun, à chaque citoyen de s’épanouir tout en participant à l’épanouissement des autres. Par conséquent, si cette multiplicité de candidatures à la présidentielle résulte d’une volonté sincère d’améliorer le sort des populations nigériennes, je ne vois pas d’inconvénient. Mais s’il s’agit uniquement, comme cela semble être le cas dans beaucoup d’exemples, de faire valoir des ambitions personnelles, de considérations bassement matérielles, je crois qu’il va falloir repenser notre démocratie. Parce que, si la démocratie contribue à nous diviser au lieu de nous rassembler, de nous décevoir au lieu de nous combler, alors nous devons recadrer notre réflexion dans le sens de voir ce que notre démocratie doit apporter au peuple nigérien.
Un autre constat, concernant ces élections c’est l’entrée dans la compétition de candidats de plus en plus jeunes. Faut-il voir en cela une volonté ces jeunes de s’émanciper vis-à-vis de ce qu’on peut appeler la vieille classe politique ?
Je crois que là aussi, je vais peut-être heurter certaines susceptibilités, cela procède du renouvellement naturel des générations. Il y a une succession de générations. Les premiers nigériens entrés en politique, à la veille de l’indépendance, il y en a combien qui sont actifs dans la politique aujourd’hui ? Ceux qui sont entrés en politique avec Seyni Kountché, aujourd’hui il y en a combien qui sont en activité ? Et même s’ils le sont, il y en a combien qui sont actifs parmi les leaders actuels ? C’est un renouvellement naturel : la mort, la vieillesse, la maladie, et puis les pressions de certaines familles. À un certain âge vos enfants vous disent, «vraiment papa, ce n’est pas la peine d’aller à ce débat-là, vous allez vous faire insulter par des petits enfants de notre âge, etc.».
C’est un phénomène social, mais l’arrivée des jeunes de ce nombre, résulte de trois considérations, que je vais m’efforcer de définir. Toutes ces questions sont intimement liées. Elles procèdent du même processus. Lorsqu’il y a eu la démocratisation du système politique nigérien, la plupart des partis politiques, à quelques exceptions près, se sont constitués sur la base de références ethniques, régionales, ou autres. Mais à l’épreuve des différents régimes, les Nigériens se sont rendus compte l’appartenance à une même région, à une même ethnie, être cousin ou être parent ne suffit pas à construire une nation. Au contraire, les gens se sont rendu compte que tous ces paradigmes qui ont présidé à la création de ces partis politiques là sont obsolètes et ne peuvent réunir l’ensemble des Nigériens.
Pire, au lieu d’unir ça divise, au lieu de promouvoir, ça retarde. Progressivement, les militants qui au départ pouvaient être pris en charge par les différents partis politiques, ont été pratiquement abandonnés à eux-mêmes parce que les partis politiques n’ont eu ni le temps, ni les moyens, ni la volonté du fait de l’instabilité politique qui a entrainé une multiplication des élections. Et, donc les gens n’ont pas pu prendre dans les petits moyens qu’ils avaient pour assurer la formation politique et l’éducation civique de leurs militants. Abandonnés à eux-mêmes, ces militants se sont progressivement formés sur le tas, soit à l’écoute des médias nationaux ou internationaux, soit à travers des débats qui n’ont pas toujours été des modèles du genre.
Plus nous avançons, plus les Nigériens se rendent compte que leur développement est tributaire du développement des autres régions. La perception de la globalité de l’action politique qui devait conduire au développement d’un pays a fait que les gens se posent de plus en plus des questions en se demandant s’il ne fallait pas changer la classe politique accusée à tort ou à raison de ne plus pouvoir assurer les attentes légitimes des Nigériens.
Mais nous devons nous replacer dans notre contexte. Nous sommes dans un contexte de génération. Chaque génération fait ce qu’elle peut faire ou ce qu’elle doit faire. La première génération d’après la Conférence nationale avait essentiellement pour objectif de préserver l’unité nationale et la survie de l’Etat, de mettre en place des institutions démocratiques, d’assurer la démocratisation des institutions et de promouvoir de jeunes Nigériens capables de continuer l’œuvre de construction nationale. Il faut que les gens soient très clairs, cette classe politique ne pourra jamais, à elle seule, atteindre tous ces objectifs.
Mais pour parler des jeunes, disons qu’ils ne sont pas tombés du ciel. Ils ont été certainement formés dans les partis politiques. Et, aujourd’hui, ils estiment que ces anciens leaders ont joué leur rôle. Ils ont mis en place la démocratie, ils ont démocratisé les institutions, ils ont fait en sorte maintenant que les Nigériens intègrent progressivement la démocratie dans leur culture. C’est déjà énorme ! Et, donc ils disent que ces anciens sont devenus conservateurs de l’ordre qu’ils ont établi. Et, donc, on ne peut plus attendre d’eux le progrès que le peuple attend d’eux.
À partir de ce moment les partis politiques s’assignent d’autres missions dans lesquelles le citoyen lambda a besoin de jouer un rôle d’acteur. Pour le citoyen lambda, la classe politique actuelle ne peut plus répondre aux aspirations des populations nigériennes. D’où cette volonté de changer le cap, d’apporter un sang neuf, qui est tout à fait naturel. Ce qui l’est moins, si c’est simplement pour accéder aux ressources de l’Etat, pour s’enrichir, pour avoir une représentativité sociale, à ce moment ce serait dommage pour le Niger. Mais si c’est bâtir quelque chose de neuf, de solide, je ne vois pas d’inconvénient.
Maintenant le problème, c’est que la classe politique actuelle a une responsabilité vis-à-vis de ces jeunes. C’est de les encadrer pour qu’ils ne tombent pas dans les mêmes errements, pour qu’ils ne commettent pas encore des fautes plus graves. Je me rappelle bien, un certain Halidou a dit à la conférence nationale, « nul ne se connait honnête, tant qu’il n’a pas eu l’occasion d’être malhonnête ». Notre rôle en tant qu’ancien, c’est de leur indiquer quelques principes qui leur permettraient d’éviter les écueils.
Comment appréciez-vous le niveau du débat, au cours de cette campagne électorale ?
Mon appréciation sur le déroulement de la campagne électorale actuelle découle de trois facteurs. Le premier, c’est que je constate une redistribution des électeurs. Le deuxième, est que je constate un durcissement des électeurs. Et le troisième facteur c’est qu’il y a une lueur d’espoir. Parce que jusqu’au jour d’aujourd’hui, nous avons su éviter l’irréparable. En ce qui concerne le durcissement de la campagne, il y a plusieurs raisons. Il y ale fait que les partis politiques n’ont pas réussi à assurer la formation et l’éducation civique de leurs militants. Donc, ce sont des militants qui se sont formés eux-mêmes. Par conséquent ces militants n’ont pas été encadrés systématiquement, on ne leur a pas inculqué les valeurs des partis, les principes qui régissent notre société, et les obligations de réserve que nécessite la vie ensemble.
Lorsque vous prenez quelqu’un qui n’a pas une formation politique suffisamment avancée, qui n’a pas une éducation civique avancée, vous le mettez dans une telle situation où il a l’impression à tort ou à raison qu’il est victime d’une injustice, évidemment vous allez assister à de telles violences. Mais c’est le même peuple nigérien qui fera tous les régimes. Nous avons tous plus ou moins, participé, d’une manière ou d’une autre. C’est notre pays, c’est notre peuple, nous avons une solidarité qui fait que nous sommes tous comptables de ce qui a été fait de la naissance de ce pays à nos jours.
Le deuxième aspect, c’est que je me rappelle une fois avoir dit, en 1992 déjà, qu’il faut bannir l’utilisation de l’argent dans nos campagnes électorales. Aujourd’hui qu’est ce qui se passe ? Dans cette campagne électorale, moi je constate un autre changement du comportement et de la mentalité de l’électorat. Aujourd’hui, vous êtes leader de n’importe quel parti politique, vous arrivez dans n’importe quel village, vous verrez que tous les militants, tous ceux qui vont venir vous accueillir ou vous applaudir, si demain un leader d’un autre parti concurrent se rend dans ce même village, ce sont les mêmes personnes qui vont venir. Et qu’est-ce que la population dit ? « Ces gens, nous ont trompés, ils viennent ici uniquement quand il y a élection, après ils s’en vont on ne les voit plus, maintenant c’est à notre tour ».
Voilà le coup que la population est en train de jouer pour essayer de récupérer un peu ce qu’on lui promis et qu’on lui a jamais fait. Donc, voilà un autre aspect, c’est le changement de mentalité. Les gens ne se battent plus pour tel ou tel parti, une confrontation, comme ce fut le cas à l’époque entre le RDA et le Sawaba, c’est fini ça.
Vous avez également un autre aspect, c’est qu’il y a une redistribution de l’électorat. Vous avez des partis politiques qui, il y a une dizaine d’années, ne pouvaient même pas prétendre au quart de ce qu’ils peuvent récolter aujourd’hui dans certaines régions. Quand vous suivez la télé, vous êtes surpris de constater que tel parti arrive à mobiliser tellement de monde dans une région qui n’est pas la région d’origine du leader, ce qui est une évolution positive.
Cependant, il ne faut pas perdre de vue qu’en définitive, ce qui va apporter quelque chose pour le peuple nigérien, c’est la mise en œuvre de projets de société porteurs d’espoir. Mais combien de partis politiques aujourd’hui au Niger sillonnent le pays pour recueillir les doléances des populations, recueillir les aspirations des populations avant de venir faire leur programme ? Si en plus vous êtes députés, depuis votre élection vous êtes restés dans les salons de Niamey au lieu d’aller dans votre fief travailler avec les gens.
Sans doute que si tout ce que la classe politique actuelle a pu faire, allait dans le sens des intérêts de la population, on n’aurait pas autant de bruits, autant de partis, autant de candidats. L’électorat nigérien est en train de muter, de changer et en bien. Puisque maintenant on peut aller dans n’importe quelle région avec son parti et si ce qu’on présente est bien, si on a une bonne moralité et une représentation sociale, une probité intellectuelle et morale. Et ça c’est important. D’autre part, les gens ont appris à faire la différence entre ceux qui veulent travailler pour le pays et ceux qui ne veulent pas travailler.

Interview réalisée par Souley Moutari(onep)

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