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Situation sécuritaire à Diffa : Le Président tchadien est-il disposé à engager ses soldats ?
Publié le dimanche 12 juin 2016   |  ActuNiger


Le
© AFP par DR
Le président tchadien Idriss Deby Itno


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Selon plusieurs grands médias internationaux, un premier contingent de l’armée tchadienne serait déjà arrivé sur le territoire nigérien pour appuyer les forces armées nigériennes dans la lutte contre le groupe Boko-Haram ; mais, cette information a été finalement démentie par le Ministre nigérien de la défense à l’occasion d’un point de presse sur la situation sécuritaire dans la région de Diffa.


Le Président Idriss Deby Itno tiendra tout de même sa promesse faite à son homologue Issoufou Mahamadou, qui a effectué le déplacement de N’djamena pour solliciter l’intervention de l’armée tchadienne. En attendant, on peut dire que c’est déjà très courageux pour un Chef d’État qui peine à payer les salaires de ses fonctionnaires de prendre solennellement un tel engagement.

En dépit des débats parfois houleux qu’elle soulève, il importe de noter que l’annonce de l’arrivée prochaine des soldats tchadiens sur le sol nigérien a été plutôt bien accueillie à Diffa; car, la plupart des habitants de cette région meurtrie pensent que l’entrée en scène des soldats tchadiens pourrait rapidement mettre un terme aux attaques incessantes de Boko-Haram. Cet espoir repose sur le fait que les soldats tchadiens apparaissent dans l’imagerie populaire des habitants de cette région comme des combattants aguerris et sans crainte face aux terroristes de Boko-Haram. Les plus hautes autorités nigériennes, à commencer par le Président Issoufou, semblent elles-mêmes fascinées par cette armée tchadienne aguerrie ; car, elles n’hésitent pas, depuis 2015, à lui faire appel (en février 2015, elle était présente à Bosso et avait participé aux combats au moment où cette ville avait attaquée).

Au cours de ces dernières années, les soldats tchadiens ont donc acquis une réputation de combattants aguerris sur divers théâtres de conflit armé notamment au Mali et au Nigeria; mais, cela ne signifie point que l’admiration que suscitent les soldats tchadiens est partagée partout dans la sous-région où ils sont intervenus. La République centrafricaine constitue à cet égard une véritable exception; car, dans ce pays, les soldats tchadiens ont dû plier bagage, suite à une véritable campagne d’opinion orchestrée contre eux par les miliciens anti-balaka. Le Tchad était largement perçu, à tort ou à raison, comme un agent déstabilisateur ; surtout à cause de son soutien présumé au mouvement Seleka.

Au Niger, l’intervention militaire tchadienne ne risque certainement pas de susciter le même type de réactions qu’en République Centrafricaine; même s’il est vrai que l’appel au secours lancé par le Président Issoufou à son homologue tchadien écorne quelque peu la fierté et le patriotisme de bien de Nigériens. Bien qu’ils soient conscients de la nécessité d’une mutualisation des forces entre tous les pays riverains du lac Tchad, eu égard à la menace que représente Boko-Haram pour l’ensemble de la région, beaucoup de Nigériens répugnent l’idée même de devoir compter sur des forces extérieures.

En effet, il importe de noter que la plupart des Nigériens sont convaincus que les forces armées nigériennes sont capables de faire face à la menace terroriste; pourvu que les autorités politiques leur apportent le soutien dont elles ont besoin aussi bien sur le plan matériel que moral. C’est d’ailleurs frappant de constater que la plupart des réactions exprimées par les citoyens face aux événements tragiques de Bosso tendent généralement à mettre en cause la responsabilité des autorités politiques et de la hiérarchie militaire. Cette situation indique que le plus grand défi, aussi bien pour le Président Issoufou que pour son homologue tchadien, est de réussir à porter un véritable coup dur aux insurgés de Boko-Haram.

Aujourd’hui, il faut dire que les deux Chefs États sont condamnés à remporter rapidement des batailles décisives et à créer les conditions d’un retour rapide des populations déplacées dans leurs foyers; car, si l’engagement militaire ne porte pas tout de suite ses fruits, le risque est grand pour eux de faire face à une véritable fronde dans leurs pays respectifs. C’est le lieu de rappeler que chacun des deux Chefs d’État a réussi difficilement à contenir les contestations politiques liées à sa réélection, et que tous les deux doivent à présent faire face à des dépenses militaires croissantes dans un contexte marqué par des difficultés de trésorerie.

Ainsi, il apparait clairement que l’engagement militaire contre le terrorisme constitue donc à la fois un risque et une opportunité pour chacun des deux Chefs d’État, l’un champion en rhétorique anti-djihadiste et l’autre champion en interventions extérieures ; car, s’il est vrai qu’un succès militaire rapide peut faire oublier les conditions dans lesquelles ils ont été réélus et leur conférer une certaine légitimité aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, il est également certain qu’un enlisement sur le terrain militaire peut aussi alimenter toute sorte de mouvements de contestation de leurs régimes. Les deux dirigeants sont d’ailleurs très conscients que le temps ne joue pas beaucoup en leur faveur ; et c’est apparemment la raison pour laquelle aucun des deux ne semble avoir l’intention de faire les formalités prévues par leurs Constitutions respectives pour des interventions militaires.

En effet, il est très saisissant de constater qu’aucun des deux Chefs d’État, ni le Président Issoufou Mahamadou, demandeur d’une intervention militaire étrangère dans son pays, ni le Président Idriss Deby, pourvoyeur de troupes pour une mission hors de son territoire national, n’a encore officiellement requis l’aval formel de son parlement national. Ce qui est pourtant absolument nécessaire pour donner une base légale à une intervention qui, de part sa nature même, peut avoir beaucoup d’implications sur divers plans (financier, politique notamment). On comprend très bien que pour les dirigeants tchadiens et nigériens ce qui compte c’est l’action tout de suite contre Boko-Haram ; il ne faut pas perdre du temps dans des discussions stériles ou des consultations parodiques visant à construire un consensus national qui existe déjà pour eux.

Aujourd’hui, il est clairement établi qu’au Niger, tout comme au Tchad, le Chef d’État peut se payer le luxe de prendre certaines décisions militaires capitales sans requérir l’aval du parlement ; c’est en tout cas ce qui s’est passé au Niger pour l’installation des bases militaires françaises et américaines, et aussi pour les interventions militaires tchadiennes (la 1ère en 2015 et la dernière en instance). Les vives critiques contre la présence militaire étrangère, qui s’expriment très fortement au sein de l’opinion nigérienne, découlent d’ailleurs en partie du fait que les clauses des accords d’installation sont encore aujourd’hui méconnues. Elles sont davantage alimentées et accentuées surtout par l’absence de réaction immédiate et concrète des forces militaires étrangères, en particulier de l’opération Barkhane qui semble s’intéresser plus à ce qui pourrait se passer au Nord qu’au Sud du Niger où opèrent les éléments de Boko-Haram.

Au regard de l’amertume exprimée par nombre de Nigériens, on peut affirmer que la perspective d’un enlisement sur le terrain militaire pourrait aussi être désastreuse pour les deux grandes puissances occidentales, la France et les États-Unis, dont la présence militaire est déjà vivement critiquée au sein de l’opinion nationale tant au Niger qu’au Tchad ; même s’il n’est pas exclu que, par un de ces jeux subtiles dont elles ont le secret, elles parviennent à tirer profit d’un éventuel enlisement pour réaliser une reprise en mains de la situation sur le moyen ou long termes. Les Présidents Deby et Issoufou semblent l’avoir très bien compris, en décidant d’agir par leurs propres moyens contre Boko-Haram qui agit aussi avec ses propres moyens (dixit Deby) ; car, pendant longtemps, ils ont cru et espéré un soutien financier et matériel conséquent de la part des grandes puissances pour la mise en route de la force mixte multinationale de 8 000 hommes.

Après donc plus d’une année d’espoir finalement déçu, les Présidents Issoufou et Deby ont enfin compris ce que leurs peuples avaient compris depuis fort longtemps, à savoir qu’il ne faut jamais annoncer une action dont les moyens proviendraient essentiellement de quelqu’un d’autre. Les deux Chefs d’État sont aujourd’hui amers tout autant que leurs compatriotes, si l’on se fie à la déclaration faite par le Président Deby; car, ils ont donné pour rien aux grandes puissances mondiales tout ce qu’elles désiraient, notamment la possibilité d’implanter des bases militaires sur leurs territoires. Les citoyens souhaitent à présent qu’ils comprennent enfin qu’il ne faut pas également compter sur le seul élan de solidarité de la communauté internationale pour venir en aide aux populations déplacées et aux réfugiés.
En effet, s’il est indéniable que l’aide de la communauté internationale est nécessaire aussi bien sur le plan militaire que sur le plan humanitaire, les faits montrent aussi qu’il serait totalement déraisonnable de compter exclusivement sur cette aide. La situation actuelle indique clairement que les dirigeants des pays riverains du lac Tchad n’ont plus d’autres choix que de se résoudre à compter d’abord sur leurs propres forces et moyens. Ce qui suppose le rétablissement de la confiance mutuelle, notamment entre le Nigeria et ses voisins qui ne cachent plus leur agacement face à la non-occupation par l’armée nigériane des villes et villages frontaliers. C’est d’ailleurs cette situation qui, officiellement, a amené les armées tchadienne et nigérienne à quitter les positions qu’elles occupaient sur le territoire nigérian peu avant l’arrivée au pouvoir du Président Buhari.

Au cours d’une conférence de presse animée hier à Niamey, le Ministre nigérien de la défense ne s’est pas privé de rappeler l’épisode du retrait en 2015 des contingents nigérien et tchadien des villes et villages du Nord-est du Nigeria qu’ils avaient repris aux combattants de Boko-Haram. Sur un ton ferme, le Ministre nigérien a laissé entendre que les deux pays, le Tchad et le Niger, comptent porter le combat au Nord du Nigeria ; tout en avertissant que cette fois-ci, « quand nous irons avec l’armée tchadienne, nous ne reviendrons plus ». Le Ministre nigérien estime que « cela va permettre à nos populations qui sont déplacées dans la zone de revenir dans leurs villages, parce que la guerre sera portée de l’autre côté ». De l’avis de nombreux observateurs, cette déclaration du Ministre nigérien sonne une critique à peine voilée de la stratégie poursuivie par les autorités nigérianes ; et ce, même si le Ministre a laissé entendre que le Nigeria sera partie prenante de l’offensive envisagée par le Tchad et le Niger et que l’autorisation d’occuper le nord du Nigeria est acquise depuis longtemps à travers divers accords multilatéraux (dixit RFI).

Quoi qu’il en soit, il reste que le Président Buhari est aujourd’hui le seul dirigeant des pays riverains du lac Tchad à pouvoir mobiliser derrière lui une large proportion de sa population dans la lutte contre le groupe terroriste Boko-Haram ; car, à la différence de ses homologues des autres pays concernés, sa légitimité n’est pas contestée et une majorité de ses concitoyens sont confiants quant à sa volonté d’améliorer la gouvernance de son pays et d’instaurer un minimum de justice sociale. Ce n’est d’ailleurs pas anodin de constater que le Président Buhari est pratiquement le seul dirigeant de la région à avoir compris que la lutte contre le terrorisme doit être menée de pair avec des changements au sein de l’appareil sécuritaire et une lutte ardue contre la corruption qui explique au moins en partie les défaillances et les difficultés constatées dans la conduite de la guerre contre Boko-Haram. Les enquêtes sur la gestion des fonds publics destinés à l’achat des armes dans le cadre de cette guerre lancées par le Président Buhari, constituent d’ailleurs un bel exemple à suivre pour Niamey et N’djamena où l’autorité nigériane de lutte contre la corruption (EFCC) cherche, selon certaines sources, à traquer des sommes importantes détournées et déposées sur des comptes bancaires par certaines personnalités du régime de Goodluck Jonathan.


Moussa Tchangari

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