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Bassin du lac Tchad : Analyse et enjeux des 120 000 hectares de terres agricoles et pastorales que convoitent les Saoudiens au Niger
Publié le mercredi 24 aout 2016   |  Actu Niger




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Jusqu’à une date récente, les investisseurs étrangers en Afrique étaient surtout intéressés par l’exploitation des ressources du sous-sol (pétrole, uranium, or, cuivre, fer et autres minerais) ; mais, depuis quelques années, leur centre d’intérêt semble s’élargir progressivement aux immenses terres agricoles africaines évaluées à quelques 202 millions d’hectares par la Banque mondiale .

Cet intérêt nouveau pour les terres agricoles africaines, qu’il est convenu fort justement de considérer comme une « nouvelle ruée vers les ressources foncières africaines », est consécutif à la triple crise alimentaire, énergétique et financière à laquelle le monde entier s’est trouvé confronté à partir de l’année 2008 ; il traduit clairement la volonté de certains milieux financiers, en particulier des fonds souverains et des fonds de pension, de trouver des nouveaux domaines d’investissement plus sûrs que les marchés financiers, dont la volatilité et les risques ont été mis à jour par la crise financière. La logique des investisseurs est toute simple : il faut orienter les immenses fonds spéculatifs vers la production agricole, qui est apparue comme l’une des réponses les plus adéquates aux nouveaux défis mis à jour tant par la crise alimentaire que par la crise énergétique.

Sur le continent africain, la nouvelle ruée vers les ressources foncières est désormais l’une des plus grandes compétitions mettant aux prises des investisseurs originaires aussi bien des pays occidentaux que du Golfe et de la Chine ; elle se déroule sous nos yeux, sur fond de corruption et de passe-droits, dans presque tous les pays africains, y compris au Niger où les crises alimentaires, aggravées maintenant par un conflit armé, sont très fréquentes. Les investisseurs saoudiens y ont posé leurs mallettes et sont désormais devenus familiers dans certains milieux du pouvoir à Niamey ; ils proposent d’investir des milliards de francs CFA pour mettre en valeur les terres agricoles et pastorales des rives du fleuve Niger et du lac Tchad. En partenariat avec un privé nigérien, la société saoudienne AL HORAISH FOR TRADING & INDUSTRY, qui se présente comme l’une des plus grandes sociétés du Royaume, a créé une filiale nigérienne dénommée « Fleuve Niger SA », dont le capital social est de 10 millions FCFA. La société Al Horaish est propriétaire de nombreuses usines et établissements en Arabie saoudite, en Egypte, au Soudan et dans d’autres pays d’Asie et d’Amérique. Elle est partenaire des sociétés américaines, canadiennes et française AGCO, HISTON, JOHN DEER, FELEXI COILL et TECNOMA SPRAYER, qui sont spécialisées tantôt en équipements industriels, agricoles et tantôt en irrigation et élevage.

Un partenariat public /privé pour spolier les populations locales ?

Selon des sources bien informées, la société Al Horaish, qui a obtenu déjà l’aval du Conseil régional de Diffa, n’attend plus que celui du gouvernement du Niger pour la mise en œuvre de son projet d’aménagement et de mise en valeur du bassin de la Komadougou et du lac Tchad, incluant également la mise en place d’unités de transformation agro-alimentaire. L’ambition de la société à travers ce projet est de mettre en valeur 120 000 hectares de terres agricoles et pastorales qui lui seront concédées dans le cadre d’un accord de partenariat public/privé. Le projet sera exécuté en deux phases : (i) la première phase, qui durera une dizaine d’années, portera sur l’aménagement et la mise en valeur agricole de 50 000 hectares, et la création d’une dizaine d’unités agro-industrielles en aval de la production ; et la deuxième phase, qui débutera à partir de la 11ème année d’exploitation, portera sur l’aménagement et la mise en valeur de 70 000 hectares, et la création de nouvelles unités agro-industrielles en complément de celles existantes. La zone identifiée par le Conseil régional de Diffa pour l’implantation de ce projet agro-industriel, qui est le plus grand jamais envisagé au Niger, est située en grande partie (2/3) dans le sous-bassin proximal du lit du lac Tchad et pour le reste (1/3) dans le sous bassin proximal de la Komadougou. Comme le mentionne clairement le document du projet, il s’agit « de la partie jugée la plus fertile du bassin du lac et de la vallée du fleuve Komadougou ».

Par ailleurs, il importe de noter que les terres promises à la société Al Horaish correspondent à près de la moitie des superficies exploitables en irrigué et décrue autour de la Komadougou et du lac Tchad ; car, la totalité des superficies exploitables de la zone sont estimées, selon le document même du projet, à 265 000 hectares, dont 182 000 dans le lit du lac Tchad, 75 000 le long de la Komadougou et 8 000 dans les cuvettes oasiennes de Mainé Soroa . Ledit document ne mentionne pas clairement le statut des terres convoitées par la société saoudienne; mais, on sait au moins qu’il ne s’agit nullement de terres vacantes et inexploitées, dont l’aliénation ne soulèverait aucun problème. La zone d’implantation du projet, telle que décrite par ce document (voir carte), fait partie de la zone de production agricole et pastorale de la région de Diffa ; elle est occupée et exploitée déjà, au moins en partie, par des petits producteurs et des éleveurs. Le Conseil régional et la société saoudienne n’entendent pas, pour autant, signer des contrats avec les petits exploitants actuels ; ils considèrent que l’adhésion déjà obtenue de quelques chefs coutumiers à leur projet est suffisante pour envisager la signature d’un accord de bail emphytéotique d’une durée d’environ 99 ans dans le cadre d’un partenariat public/privé. C’est dire donc qu’aucun droit de propriété n’est reconnu sur ces terres aux populations locales.

Selon le document du projet, « les populations locales et leurs élites (chefs coutumiers et religieux, leaders associatifs) adhèrent fortement au projet, à ses objectifs et à sa démarche » ; tout comme d’ailleurs les autorités administratives et politiques nationales et locales, les ministères et les services techniques, qui le soutiennent et sont disposés à apporter tout l’appui institutionnel nécessaire et à l’accompagner. Le document souligne également que la formule d’un contrat de bail emphytéotique dans le cadre d’un partenariat public/privé a été choisie pour quatre (4) raisons principales : (1) permettre au promoteur de réaliser des investissements structurants d’une certaine importance sans avoir à lui vendre la terre ; (2) donner au promoteur suffisamment de temps pour développer ses projets et récupérer ses investissements avec bénéfice ; (3) saisir l’opportunité pour faire de Diffa un pôle agricole et agro-industriel ouvert sur l’Afrique de l’Ouest et du Centre ; et (4) dynamiser l’économie régionale et nationale par la mise en valeur du bassin du lac Tchad et de la Komadougou. Il faut préciser que le bail emphytéotique est une sorte de contrat de location des terres pour une durée déterminée ; il confère au locataire des droits pratiquement identiques à ceux détenus par le propriétaire lui-même. Le partenariat public/privé est quant à lui une entente par laquelle l’État ou l’un de ses démembrements confie à un tiers, pour une durée déterminée, la responsabilité de concevoir, chercher des financements, réaliser, gérer et entretenir des ouvrages et équipements.

Dans le cadre du projet agro-industriel d’Al Horaish, le choix de la formule de bail emphytéotique dans le cadre d’un partenariat public/privé a été dicté, estime-t-on, d’abord par la complexité du projet, qui « nécessite des investissements de plus de 1000 milliards FCFA, dont la vitesse de croisière s’établit à la 5ème année et le retour sur investissements sur près de vingt (20) ans » ; ensuite, par l’urgence de mettre les populations de la région à l’abri « d’un risque agro écologique et économique qui compromet gravement leur bien être et leur développement »; enfin, par le rapport coûts/avantages, qui indique que « l’économie d’échelle résultant de l’exploitation du périmètre va ramener les produits à des prix beaucoup plus bas que ceux observés au Niger et dans la sous région ». Le document du projet souligne que la signature d’un tel type de contrat permettra au Conseil régional de Diffa d’engranger une redevance annuelle forfaitaire de 500 millions de FCFA entre la première et la troisième année d’exploitation, 700 millions entre la quatrième et la sixième année, et 1 milliard FCFA à partir de la septième année ; et ce, si la superficie mise en location est seulement de 50 000 hectares, comme c’est prévu pour la première phase du projet. Le montant de la redevance pourrait évoluer en fonction des superficies mises en location. Comme on peut le constater, le gain direct pour le Conseil régional en termes de ressources financières est plus que ridicule ; il ne permettra même pas d’acheter suffisamment de livres et de fournitures scolaires pour les élèves de la région.

Par ailleurs, il convient de noter que ce projet n’entrainera, de l’aveu même de ses initiateurs, aucune retombée financière directe pour l’État du Niger ; bien au contraire, il se soldera par un important manque à gagner pour le budget national en raison des exonérations fiscales prévues. La société saoudienne, dont les investissements corporels seront de l’ordre 1 049 milliards FCFA, bénéficiera d’une exonération de l’ordre de 150 milliards FCFA rien qu’au titre de la TVA et des droits de douane ; mais, tout en reconnaissant l’importance de ce manque à gagner, les initiateurs du projet soutiennent que « les exonérations consenties sont contrebalancées par le relèvement du pouvoir d’achat qui va impacter très significativement la consommation, et donc permettre des prélèvements fiscaux substantiels sur une longue durée ». Il s’agit là d’une très belle formule pour dire que l’argent que l’État perd sous forme d’exonération fiscale au profit de la société Al Horaish, il pourra le récupérer à long terme sous forme de taxes à prélever sur la consommation des ouvriers agricoles et autres intervenants de la chaine de production et de commercialisation ; mais, la supercherie dans cette affaire ne tient pas non seulement au fait que l’État et le Conseil régional de Diffa n’y gagnent pas grand chose, elle tient surtout au fait que les conséquences environnementales et sociales négatives de ce projet agro-industriel, totalement orienté vers l’exportation, sont largement minimisées.

Un projet agro-industriel pharaonique tourné vers l’exportation

Selon ses initiateurs, le projet agro-industriel de la société saoudienne n’aura pas de conséquences environnementales significatives ; au contraire, ils affirment qu’il contribuera à « la régénération des ressources naturelles de cette zone actuellement menacée ». Le maintien des niveaux d’humidité élevés dans le lit majeur du lac Tchad va engendrer, affirment-ils, « un nouvel écosystème favorable au développement d’espèces végétales et animales jadis en forte récession numérique ou variétale ». La perte des habitats/biotopes dans les zones occupées par les sites de production et d’habitation sera compensée largement par « les avantages procurés par la revitalisation générale sur une aussi grande échelle aux abords du lac Tchad et de la Komadougou » ; tandis que la destruction de la flore arbustive dominée par le prosopis serait largement compensée par « les reboisements massifs de haies vives autour du site, de brise-vents, ainsi que la grande arboriculture qui sera développée ». La perte des pâturages naturels serait compensée par la mise à la disposition des éleveurs de la bagasse, aliment bétail dont « la valeur énergétique est de loin supérieure au disponible fourrager herbacé rencontré actuellement ». Le projet, affirment-ils, prendra des dispositions pour éviter « les intoxications du personnel, des animaux et des poissons par des pesticides ou produits dérivés du pétrole utilisés dans les exploitations ». Il contribuera à la gestion du milieu aquatique dans l’optique de préserver les ressources halieutiques et n’utilisera que des semences non OGM ; mais, il introduira « des variétés de haute qualité et de haut rendement, ainsi que des laitières adaptées à la zone méditerranéenne ».

Sur le plan social, les initiateurs du projet estiment que le seul risque plausible viendrait de l’écho négatif que pourraient avoir sur les populations locales « les systèmes de dédommagement réalisés dans d’autres projets au Niger » ; car, le projet ne pourrait pas se réaliser si ces populations exigent « des niveaux de dédommagement difficilement acceptables par l’investisseur, qui consent déjà de donner 10% de son résultat annuel pour couvrir les aspects sociaux ». Les initiateurs estiment d’ailleurs que le Conseil régional doit veiller à ce que « la population observe une certaine tempérance », notamment afin d’éviter que « des terrains non exploités fassent l’objet de revendication des familles ou des tribus, en dépit de la déclaration d’utilité publique », par le biais « de mouvements, des procès et autres formes d’opposition de nature à ralentir ou à décourager les investisseurs ». Ces derniers envisagent d’ailleurs de gagner la confiance des populations locales à travers diverses réalisations sociales à leur profit : construction de 15 000 logements au profit des travailleurs et de leurs familles nucléaires, création des écoles et centres de santé ouverts aux populations environnantes, installation d’un système d’adduction d’eau potable et d’éclairage solaire, etc. Les initiateurs soulignent que les principaux avantages liés à ce projet sont, d’une part « la création de plus 13 000 emplois permanents et 5 000 emplois saisonniers », et d’autre part sa « contribution à la sécurité alimentaire et nutritionnelle, à la lutte contre la pauvreté et la balance commerciale du pays ».

Selon le responsable de la Cellule partenariat public/privé et le Président du Conseil régional de Diffa que nous avons interrogés, le projet d’aménagement et de mise en valeur du lit du lac Tchad et de la Komadougou est incontestablement une initiative heureuse pour la région de Diffa ; quand bien même il est certain qu’une telle initiative ne peut que favoriser l’accaparement des terres agricoles et pastorales par des investisseurs étrangers dont l’objectif n’est ni de lutter contre l’insécurité alimentaire, ni de sortir les populations de la pauvreté. La lecture attentive du document du projet fait ressortir d’ailleurs clairement que l’objectif principal de la société saoudienne Al Horaish est avant tout de produire pour la satisfaction des besoins alimentaires de la sous-région ouest-africaine ; alors même qu’il est de notoriété publique que, même en période de bonnes récoltes, la production alimentaire nationale est insuffisante pour couvrir les besoins de la population. Le document du projet indique que le principal marché visé est celui du Nigeria, « au regard de la forte demande potentielle en tous produits alimentaires », suivi de l’Afrique centrale et de tous les autres pays d’opportunité. Le tableau ci-dessous montre d’ailleurs que l’essentiel des productions envisagées dans le cadre du projet est destiné à l’exportation. Ce qui n’est pas surprenant puisque le souci premier des investisseurs privés est de s’orienter vers les produits les plus recherchés sur le marché.

En effet, il importe de noter que la stratégie des investisseurs saoudiens, partout où ils se sont accaparés des vastes superficies agricoles, a toujours été orientée vers l’exportation des produits agro-alimentaires ; car, s’il est vrai que l’un des objectifs poursuivis par ces investisseurs est bien sûr d’assurer l’approvisionnement du royaume, il n’en demeure pas moins vrai que leur motivation première vient d’abord de la perspective de gains financiers faciles liée à la croissance prévisible de la demande alimentaire mondiale. C’est ce qu’affirme Institute for Poverty, Land and Agrarian Studies, dans son point d’information intitulé « L’accaparement des terres en Afrique et les nouvelles politiques alimentaires ». L’institut estime qu’après la crise financière mondiale, nombre d’investisseurs « ont voulu investir dans des actifs plus tangibles et se sont tournés vers les terres agricoles, se disant que la demande croissante pour des denrées alimentaires et du carburant en ferait un investissement sûr dans un système mondial de plus en plus imprévisible ». La plupart des projets portés par les investisseurs des pays du golfe, en particulier ceux d’Arabie Saoudite et du Qatar, s’inscrivent eux dans une double optique : d’abord, « sécuriser des terres et de l’eau en dehors de leur territoire en vue d’assurer outremer la production de nourriture pour leur population croissante » ; et enfin, fructifier rapidement, à travers des investissements dans l’agriculture, les immenses fonds générés par l’exploitation pétrolière et la spéculation sur les marchés financiers mondiaux.

Une nouvelle source de conflits dans la région

Quoi qu’il en soit, il est indéniable que le projet saoudien d’accaparement des terres agricoles autour de la Komadougou et dans le lit du lac Tchad, s’il venait un jour à se concrétiser, aura des répercussions particulièrement graves sur la situation socioéconomique et politique de la région de Diffa ; car, non seulement il accentuera les conflits, déjà assez marqués, autour de l’accès aux ressources naturelles, mais il contribuera également à clochardiser une bonne partie de la population de la région qui, à l’heure actuelle, a déjà atteint un niveau de paupérisation presque irréversible. Le gouvernement nigérien semble l’avoir un peu compris lui-même ; car, certaines sources indiquent qu’il a décidé de retarder la signature du contrat tant souhaité par la société Al Horaish. Les hésitations du gouvernement porteraient notamment sur l’évaluation des éventuels impacts environnementaux (aucune étude d’impacts n’est encore faite) et sur la limitation claire de site d’implantation du projet. Ce qui laisse penser que les autorités nigériennes sont apparemment bien conscientes que la signature de ce contrat, surtout dans le contexte actuel de conflit armé, ne ferait que donner du crédit au discours accusateur insinuant que l’évacuation forcée des îles et villages du lac Tchad en mai 2015 n’avait aucun autre objectif que celui de préparer le terrain à l’accaparement des terres agricoles de la région par les investisseurs saoudiens. C’est certainement l’une des raisons pour lesquelles aucun contrat n’a encore été signé avec Al Horaish ; mais, il faut bien se garder de croire que le projet est définitivement enterré.

En effet, il est plus que certain que les investisseurs saoudiens reviendront à la charge dans un futur proche, peut-être avec des propositions plus attrayantes, mais toujours à leur avantage, pour tenter d’acquérir des terres agricoles au Niger; et ce, aussi bien dans le lit du lac Tchad et autour de la Komadougou, une fois la paix restaurée dans la région de Diffa, qu’ailleurs dans le pays, notamment autour du fleuve Niger, une fois le barrage de Kandadji achevé . Ce n’est pas d’ailleurs un hasard si la filiale nigérienne de la société Al Horaish s’appelle « Fleuve Niger SA ». Certaines sources indiquent que l’idée initiale de cette société était de développer son projet dans la zone du fleuve. Bien qu’elle soit moins riche que le lit du lac Tchad et le pourtour de la Komadougou, cette zone offre l’avantage d’abriter prochainement une infrastructure capitale pour l’implantation d’un projet agro-industriel, à savoir le barrage de Kandadji qui va offrir des opportunités aussi bien pour le développement des cultures irriguées que pour l’alimentation en énergie des usines de transformation. Les investisseurs des pays du golfe sont d’ailleurs d’autant plus fondés à convoiter les terres agricoles de cette zone que leurs pays font partie des principaux bailleurs de fonds du projet Kandadji à travers la Banque Islamique de Développement (BID) . Les accords signés avec les bailleurs de fonds de ce projet laissent entendre que l’essentiel des superficies aménagées sera confié à des grands exploitants ; car, c’est à cette condition seulement, nous dit-on, que l’État du Niger pourra rentabiliser l’ouvrage et rembourser sa dette auprès des bailleurs de fonds du projet.

Cependant, il importe de souligner que pour l’heure les projets d’accaparement des terres agricoles doivent d’abord franchir deux obstacles majeurs ; à savoir le grand retard accusé dans le parachèvement du barrage de Kandadji, plombé par des affaires sombres, et l’insécurité dans le bassin du lac Tchad. La vigilance doit néanmoins être de mise chez tous les acteurs engagés dans la lutte contre l’accaparement des terres agricoles ; car, ce phénomène dont on n’entend guère parler que sur les médias internationaux est déjà dans notre cour. La tentation est grande pour les dirigeants des pays comme le Niger, qui sont dépourvus de ressources financières ou qui manquent de volonté politique pour investir dans l’agriculture, de mordre à l’hameçon des investisseurs étrangers en quête des terres agricoles ; surtout maintenant qu’ils peuvent bénéficier de l’encouragement des institutions telles que la Banque mondiale, qui les invitent d’ores et déjà à « moderniser, au cours de la décennie, les procédures complexes qui régissent le droit foncier et la gestion des terres en Afrique ». En apparence très noble, l’invitation de la Banque mondiale à investir dans la réforme de la gouvernance foncière ne vise rien moins qu’à poser les jalons d’une ruée plus contrôlée et réglementée des investisseurs vers les terres agricoles africaines ; d’autant que la réforme foncière dont il est question ne peut être que d’inspiration libérale, et ne peut viser autre chose que l’ouverture envers les investisseurs étrangers, dont l’intérêt accru pour les terres agricoles est considéré comme une opportunité à saisir et non point comme une menace à conjurer.

En tout cas, il est évident que sur les rives du fleuve Niger comme dans le bassin du lac Tchad, où les enjeux liés au contrôle et à l’accès des gisements pétroliers semblent déjà peser lourd sur la sécurité et la stabilité politique dans les États riverains, les convoitises autour des terres agricoles ne manqueront pas d’alimenter de nouveaux conflits. L’arrivée probable dans cette zone trouble d’investisseurs étrangers intéressés par les terres agricoles constitue, à n’en point douter, une menace sérieuse pour les petits exploitants et les éleveurs ; car, les nouveaux systèmes de production qui vont se mettre en place vont à coup sûr bouleverser, non seulement les règles foncières coutumières en vigueur, mais aussi les systèmes traditionnels de production pratiqués par les populations. Les grands projets d’aménagement agricole tels que celui porté par la société Al Horaish permettront sans doute d’accroitre la production agro-pastorale ; mais, ils ne pourront certainement pas avoir autant d’impact positif sur la sécurité alimentaire et le niveau de revenus des populations riveraines du bassin du lac Tchad que les petites exploitations familiales. C’est d’ailleurs l’une des conclusions fortes qui ressort d’une étude récente réalisée par l’IRD (Institut pour la Recherche et le Développement) pour le compte de la Commission du Bassin du Lac Tchad . Les auteurs de cette étude soulignent haut et fort que les petits exploitants des rives du lac Tchad produisent déjà, avec les moyens de bord, suffisamment de nourriture pour couvrir les besoins alimentaires de toute la région ; ce qui suggère d’une part qu’il n’y a aucune raison objective de favoriser l’accaparement de leurs terres par des investisseurs étrangers, et d’autre part qu’il faut s’attendre à ce qu’une telle perspective suscite de leur part des mouvements que les États riverains pourraient avoir du mal à contenir.

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