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M. Abdourahamane Ousmane, président de l’ONC : «Le modèle nigérien de régulation des médias s’exporte bien, en Afrique et dans l’espace francophone»
Publié le samedi 30 mars 2013   |  Le Sahel




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Monsieur le président, vous êtes depuis près de trois (3) ans à la tête de l'Observatoire National de la Communication (ONC), quel bilan pouvez-vous tirer succinctement de votre gestion ?

Permettez-moi de rappeler que l'ONC est une institution qui a été créée en avril 2010, pendant la transition militaire, avec pour ultime mission de contribuer à la restauration de la démocratie au Niger. Sur ce chapitre, l'ONC a pleinement assumé sa mission, en concourant à l'organisation d'élections libres, honnêtes et transparentes, qui ont permis à notre pays de renouer avec une vie constitutionnelle. Au cours du processus électoral, tous les acteurs politiques, les observateurs nationaux et internationaux ainsi que les partenaires techniques et financiers, ont été unanimes pour reconnaître que l'ONC avait rempli son mandat de régulateur de manière transparente, indépendante et équitable. Mieux, aujourd'hui, le modèle nigérien de régulation des médias en période électorale s'exporte bien, en Afrique et dans tout l'espace francophone. Pour preuve, plusieurs pays africains et francophones sont venus s'inspirer de l'expérience de l'ONC, ou ont sollicité son expertise pour améliorer leur processus électoral. On peut citer, notamment le Burkina-Faso, le Mali, le Tchad, le Cameroun, la République Démocratique du Congo, le Maroc, la Bulgarie etc.

Sur un autre chapitre, l'ONC a également abattu un travail considérable en matière d'accès équitable des partis politiques, des syndicats, des associations et des citoyens aux médias publics. En trois ans d'exercice, nous avons reçu 927 demandes de couverture médiatique, émanant des partis politiques, des associations et des syndicats. Après traitement, l'ONC a autorisé la couverture gratuite de 846 demandes soit 91% ; il a autorisé la couverture, à titre onéreux, de 73 demandes soit 7,87%, et rejeté que 18 demandes parce qu'elles ne remplissaient pas les conditions édictées par la réglementation en vigueur, soit 1,94%. C'est pour dire que de manière systématique, nous avons accordé, dans l'équité, le bénéfice de la gratuité de l'accès aux médias publics aux différents acteurs politiques, associatifs et syndicaux. Cela a permis de promouvoir et de garantir l'expression pluraliste des courants d'opinion et de pensée sur toutes les questions intéressant la vie nationale.
L'ONC a également contribué à renforcer la liberté de la presse et de l'information au Niger. Sur ce sujet, le meilleur baromètre reste le classement mondial sur la liberté de la presse, établi chaque année par Reporters Sans Frontières (RSF). En 2010, année d'installation de l'ONC, le Niger occupait la 104ème place. En 2011, il occupait la 29ème place, soit un bond de 75 points. Reporters Sans Frontières avait clairement mentionné dans son rapport que le Niger avait effectué la plus forte progression mondiale en matière de liberté de presse en 2011.
En outre, l'ONC a élargi le paysage audiovisuel nigérien. Quand nous étions arrivés en 2010, il n'y avait que quatre (4) télévisions privées, on en compte aujourd'hui dix (10). Cet élargissement a été accompagné par l'élaboration des cahiers de charges des radios et télévisions privées, communautaires et associatives.
Au-delà de tous ces chiffres, il faut aussi mettre à l'actif de l'ONC d'avoir révolutionné pour ainsi dire la philosophie et la pratique de la régulation au Niger. Jusqu'à un passé récent, la régulation a été assimilée à de la répression tous azimuts des médias. L'avènement de l'ONC a permis d'asseoir une nouvelle philosophie de la régulation, fondée sur un processus de modération, de veille et de rappel permanent des dispositions législatives et réglementaires régissant la liberté de la presse et l'exercice du métier de journaliste. Cela nous a permis d'inscrire toutes nos actions dans le respect des principes et valeurs de transparence, d'indépendance, d'équité et de légalité.


On sait que la coopération vous tenait aussi beaucoup à cœur. Que peut-on retenir de ce volet Monsieur le Président ?


Sur le plan de la coopération, l'ONC a permis au Niger de retrouver sa place dans le concert des instances de régulation, aussi bien sur le plan africain que sur le plan international. Je rappelle que le Niger est membre du Réseau des Instances Africaines de Régulation de la Communication (RIARC) ; il est également membre du Réseau Francophone des Instances de Régulation des Médias (REFRAM). A notre arrivée, le Niger a accumulé plusieurs années d'arriérés de cotisation, notamment au niveau du RIARC. Ce qui nous excluait du coup de la prise des décisions au moment des conférences des présidents, mais surtout de la possibilité de briguer un mandat électif. L'ONC a pris les dispositions pour apurer tous les arriérés de cotisation du Niger ; ce qui nous a permis de retrouver notre statut de membre de plein droit.
C'est ainsi qu'au cours de la 6ème conférence des instances de régulation africaines de la communication, appelée communément CIRCAF, tenue à Arusha en Tanzanie, le Niger a été élu à l'unanimité des 33 membres pays, à la vice-présidence du RIARC. Au cours de cette même réunion, notre pays a été désigné pour abriter, en fin 2013, la 7ème conférence des instances africaines de régulation de la communication. Je précise que c'est la 1ère fois que notre pays va accueillir une si importante rencontre, à la suite de laquelle le Niger va assurer la présidence du RIARC pour la période 2014-2015.

C'est de toute évidence un succès du point de vue institutionnel, mais qu'est-ce que l'ONC a fait concrètement en direction de la presse nigérienne ?

De manière concrète, les trois années passées à la tête de l'ONC nous ont permis de renforcer les capacités de la presse nigérienne à plus d'un titre. Au niveau du fonds d'aide à la presse, l'ONC a reparti 600 millions de Fcfa, au titre d'aide directe à la presse. Ces 600 millions ont permis de moderniser les entreprises de presse nigérienne, à travers l'acquisition de nouveaux matériels. Ils ont aussi permis d'alléger les charges de fonctionnement des organes de presse. Ces appuis ont enfin permis d'améliorer la qualité des prestations et la professionnalisation du personnel. On peut aussi noter que l'ONC a renforcé les capacités des journalistes nigériens, à travers l'organisation d'une quinzaine de conférences publiques et de journées de réflexion autour des thèmes d'actualité ou d'intérêt général. Ce qui a permis aux journalistes et aux organisations socioprofessionnelles des médias d'être à jour sur certains débats de l'heure, comme la transition vers le numériques pour ne citer que cet exemple. Nous avons également eu à organiser une dizaine de séminaires, d'ateliers, de colloques à la fois pour le personnel de l'ONC et à l'intention des journalistes.
On peut aussi citer, au titre des réalisations concrètes de l'ONC, les appuis apportés aux médias publics et privés au moment des élections : plus de 100 millions de Fcfa ont été octroyés aux différents médias, afin qu'ils contribuent à la transparence des élections. Nous avons par ailleurs accordé des appuis à plusieurs organisations socioprofessionnelles des médias, pour l'organisation des séminaires, des missions à l'extérieur ou pour la tenue de leurs instances (Congrès, Assemblée Générale). L'ONC a également mis à la disposition des journalistes des publications. Nous avons, à ce titre, édité deux (2) ouvrages : le premier est un recueil des lois et règlements sur la presse et la communication au Niger. Le deuxième est un guide de bonne conduite des journalistes en période électorale. Et pour couronner le tout, l'ONC a créé un site web à travers lequel, il a mis à la disposition des journalistes et des usagers de la documentation. Ce qui a contribué à rendre accessible notre institution aux citoyens.

La loi sur la dépénalisation des délits de presse est en vigueur dans notre pays ; cependant certaines dérives persistent encore. Pensez-vous que les journalistes nigériens saisissent véritablement la portée de cette loi ?

J'ai toujours évité de tomber dans le piège de la généralisation abusive pour apprécier le bilan de la dépénalisation dans notre pays. Il ne s'agit pas de dire que tous les journalistes ont compris ou n'ont pas saisi la portée de cette loi. En réalité, nous avons des journalistes qui savent très bien les enjeux et les bénéfices de la dépénalisation, parce qu'ils ont participé à la lutte pour l'avènement de cette réforme. Ceux qui ont participé à ce processus savent que la dépénalisation des délits de presse a été adoptée pour renforcer la liberté de presse au Niger, pour accroître la responsabilité des journalistes. Et je pense que ces derniers ont démontré que les journalistes nigériens méritent de travailler dans un environnement où il n y a aucune épée de Damoclès suspendue au dessus de leurs têtes.
Malheureusement, force aussi est de constater qu'avec l'avènement de la dépénalisation, nous avons assisté à un envahissement de la profession par des personnes qui n'ont ni la qualité, ni la vocation de journaliste. Et ces personnes sont venues dans la profession pour semer le désordre et contribuer ainsi à discréditer la dépénalisation. C'est pourquoi l'ONC n'a pas hésité à prendre des sanctions contre tous ceux qui ont pensé que la dépénalisation est un permis à tout faire ; contre tous ceux qui ont embrassé le métier de journaliste, à la faveur de la dépénalisation, exercer le chantage en direction des citoyens. La dépénalisation appelle, de notre point de vue, un sens aigu de responsabilité de la part des journalistes. Et c'est ce à quoi l'ONC s'est attelé à faire comprendre aux vrais professionnels.

Malgré cette loi, un journaliste a été emprisonné. N'est-ce pas une entorse à la dépénalisation dans ce cas précis ?

Pour comprendre cette situation, il faut remonter au texte qui consacre la dépénalisation, à savoir l'ordonnance 2010/035 du 4 juin 2010, portant régime de la liberté de la presse. Le projet de ce texte a été débattu aux Etats généraux de la communication, tenus en avril 2010. Au cours de ces assises, les débats ont été houleux sur le schéma de dépénalisation que le Niger va adopter. Les spécialistes ont expliqué, qu'en la matière, il existe deux options : la dépénalisation partielle et la dépénalisation intégrale. La première consiste à supprimer les peines privatives de liberté pour un certain nombre de délits, notamment ceux inhérents à l'exercice du métier de journaliste. Pour le cas qui nous concerne, l'ordonnance 2010/035 a dépénalisé la diffamation, l'injure, la diffusion de fausses nouvelles et l'offense. Aucun journaliste ne peut être arrêté et emprisonné pour ces délits. En revanche, les autres délits de droit commun qui peuvent être commis par voie de presse n'ont pas été dépénalisés. Donc, si un journaliste les commet, il est passible des peines prévues par le code pénal. Voilà l'option qui a été choisie au cours des états généraux.
L'autre option, celle de la dépénalisation intégrale, consiste à supprimer les peines privatives de liberté aussi bien pour les délits de presse que pour tous les délits commis par voie de presse. Au moment des débats, la majorité des acteurs ont estimé que le Niger n'a pas encore atteint le stade pour une dépénalisation intégrale.
Au cours de l'année 2012, un journaliste a été effectivement arrêté et condamné à six (6) mois de prison, pour faux et usage de faux, commis par voie de presse. Le juge a estimé que le faux et usage de faux ne fait pas partie des délits qui ont été dépénalisés. Evidemment, le débat est ouvert sur cette question, et c'est pourquoi il faut saisir l'opportunité de ce cas pour rediscuter sur la portée et les limites de la dépénalisation au Niger.

En 2011, notre pays occupait le 29ème rang mondial dans le classement RSF de la liberté de presse, mais en 2012 nous sommes descendus à la 43ème place. Qu'est-ce qui explique ce recul ?

Bien que notre pays ait régressé en 2012 par rapport à 2011, il faut noter que notre place dans le classement mondial est très enviable. En effet, le Niger se retrouve toujours parmi les 50 premiers pays les plus respectueux de la liberté de presse dans le monde, sur les 175 pays classés. Et sur le plan africain, le Niger reste toujours le 5ème pays le plus respectueux de la liberté de presse. Les raisons de ce recul de 14 points ont été bien spécifiées dans le rapport par Reporters Sans Frontières. Il est écrit que le Niger a perdu 14 places du fait du comportement de certains journalistes qui ont eu tendance à abuser de la liberté ainsi retrouvée. Et c'est ce que je regrettais tantôt, en parlant de cette propension qu'ont eu certains journalistes à user et abuser de la dépénalisation pour enfreindre aux règles cardinales de l'éthique et de la déontologie. Malgré les sanctions prises par l'ONC, certains journalistes, à force de contourner les règles du jeu, ont voulu faire de la presse un jeu sans règles au Niger. Ce qui nous a valu, hélas, ce recul.

Quels conseils avez-vous à donner aux nouveaux membres du Conseil Supérieur de la Communication (CSC) pour mener à bien leur mandat?

Je pense que le futur CSC doit se servir de toutes les expériences passées en matière de régulation. Il faut revisiter ces expériences pour en tirer les meilleurs profits, pour capitaliser les bonnes pratiques et éviter les erreurs que les prédécesseurs ont commises. C'est ainsi que le nouveau CSC peut renforcer davantage la liberté de la presse dans notre pays.



Le Sahel

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