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24 avril 2017 : Journée de la Concorde nationale au Niger - Lettre d’un touareg à son cousin songhaï
Publié le mardi 21 mars 2017   |  Liberation Niger


Crise
© AFP par DR
Crise Malienne : Ouverture des négociations entre Bamako et groupes touareg
Samedi 08 juin 2013. Ouagadougou. Les négociations entre le pouvoir malien et les rebelles touareg qui occupent Kidal, dans le nord-est du pays, se sont ouvertes sous l’égide de la médiation burkinabè


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Je saisis l’occasion de la célébration de la Journée de la Concorde nationale pour proposer à mon cousin songhaï de nous arrêter un instant sur la signification de cette journée tout en nous arrêtant un peu sur le chemin parcouru depuis son instauration, il y a vingt-deux années et qui devait valoriser au mieux la consolidation de l’unité nationale...

Nos canaux traditionnels de communication ont peu à peu perdu de leur vigueur ; mais, si nous possédons encore la volonté de communiquer, nous savons que nous disposons, et nous ne nous en privons pas pour tout autre chose, de tous les moyens modernes pour le faire afin de compenser des abandons dont nous souffrons toujours. D’où l’impatience qui me gagne et qui ne me permet plus d’évaluer ton silence à sa juste mesure face à tout ce que nous devrions analyser et décider en commun pour le bien de tous. Nous avons les uns et les autres de grands défis à relever pour débloquer ce que le temps a rouillé et pour faire en sorte que cet avenir, fondé sur un État pluriel que l’on nous promet depuis des décennies, permette de vivre dans une sérénité indispensable à la vie quotidienne et favorisant le retour à une confiance réciproque pour le bonheur de tous. D’ailleurs, le Royaume du Bhoutan perché dans l’Himalaya a instauré un ministère du Bonheur, Eh oui ! Sans vouloir être aussi utopistes ou optimistes, nous devrions considérer le bonheur comme l’une des étapes de notre art de vie en commun, puisque personne ne nous oblige de nous entre-tuer pour que nos sociétés survivent ! Le bonheur de nos femmes, de nos enfants, de nos anciens, doit être la priorité de ce que nous avons de plus précieux à protéger...

Comment avons-nous pu nous éloigner de ce qui nous était indispensable ? Pouvons-nous éternellement considérer comme un handicap le fait que nos communautés soient jugées trop petites pour les uns, trop agressives pour d’autres, alors qu’elles possèdent des atouts considérables et qu’elles disposent de potentiels différents, mais que nous avons reconnus positivement complémentaires pour le bien de nous tous pendant des siècles et des siècles.

Ce sont des forces venues d’ailleurs qui ont réussi à nous séparer pour notre malheur, devons-nous encore considérer ce fait comme inéluctable ? Répondre à cette interrogation devient pour nous essentiel et vital. De plus, nous devons admettre que, depuis les indépendances, nous n’avons pas su ou pu saisir le souffle de liberté qui en est résulté pour approfondir nos relations séculaires. Le choc des transmissions de pouvoirs à l’heure des indépendances, qui se sont depuis hélas révélés bien fragiles et totalement artificiels, a contribué largement au délitement de nos relations communes. Nous devenions ainsi, sans que l’on nous demande le moins du monde notre avis, des êtres humains décérébrés et pour certains qui nous dominent encore, sans Histoire... Un comble ! Inacceptable ! Nous devenions ainsi, toujours sans y participer vraiment, des citoyens de pays démocratiques forcément modernes, comprenant des nations multiples constitutionnellement égales qui devaient inévitablement, en raison d’un mimétisme redoutable et pour le plus grand bénéfice de l’Occident, se comporter comme des concurrents et par périodes comme des ennemis. De plus, il devenait naturel que la défaite des uns sur un point précis doive forcément procurer des avantages aux autres. C’est sur ce jeu mortel que nos États ont tenté de se consolider. Nous devenions ainsi inexorablement les uns et les autres officiellement minoritaires aux yeux de ces démocraties balbutiantes, non seulement minoritaires, mais également fort éloignés des pouvoirs en place. Certains ont ignoré ce jeu de dupes, beaucoup n’ont pas réussi à refuser d’y prendre part.

Trop éloignés physiquement et spirituellement des centres de décisions, nous étions, de plus, considérés comme de mauvais citoyens parce que officiellement nous avons été rapidement opposés aux pratiques des centres d’affaires complexes qui se nouaient au sein des pouvoirs centraux dont nous avions enfin eu connaissance. Des pouvoirs qui ont aussi obligé d’emblée les fonctionnaires qui étaient censés nous administrer à devoir vivre dans un climat trop rude pour eux, supporter des prix des denrées de base trop élevés pour des salaires trop faibles et subir des infrastructures indignes des tâches qu’ils devaient accomplir, sans évoquer leur troublante méconnaissance de notre style de vie.

De plus, ces pays qui avaient eu, dès les indépendances, la prétention d’obliger sans aucune pédagogie leurs nouveaux administrés à se comporter comme de braves citoyens complaisants, contraignaient cependant ces derniers à accepter comme une peccadille sans conséquences des frontières héritées de la colonisation qui devaient séparer encore pour plusieurs générations la plupart des institutions traditionnelles, des familles, des champs, des pâturages, des puits et entravaient considérablement les échanges. Il fallait ainsi déballer auprès de fonctionnaires inconnus — de plus pas très conscients du rôle qu’il convenait de tenir —, ce qui faisait l’essence de notre vie. Au lieu de réduire avant tout ce traumatisme avec patience, ils interdisaient manu militari le passage ou exigeaient brutalement des bakchichs déguisés en taxes qu’ils mettaient pour la plupart du temps dans leurs poches. Ce qui faisait d’ailleurs un complément de salaire indispensable aux besoins de leurs familles. Bref, les Songhaïs et les Touaregs ont été ballottés comme jamais et nous n’avons pas pu guérir les uns et les autres du traumatisme que cette liberté très conditionnelle nous accordait, alors que deux sécheresses allaient quelques années plus tard participer à notre ruine en anéantissant le peu de forces que nous possédions encore.

Ces abominables sécheresses ont ainsi détruit pour fort longtemps nos moyens de production respectifs. Beaucoup en furent mortellement victimes et les jeunes survivants ont dû s’exiler vers des terres provisoirement plus accueillantes pour y survivre. Au fil de ces années, une nouvelle précarité sembla s’éterniser. L’espoir d’un temps meilleur parut devoir disparaître inexorablement. Les destins de nos deux nations se sont ainsi éloignés et nous en avons conclu, à la façon des Occidentaux qui ont su si bien théoriser à propos des boucs émissaires, que ce qui faisait notre malheur provenait de l’Autre, de Celui que, justement, nous connaissions le mieux ou, pour certains, de Celui que nous connaissions tout court. S’ensuivit une succession de drames inimaginables quelques décennies après les indépendances. Nous ne disposions sans doute pas des instruments contextuels qui pouvaient permettre à nos nations, obligées d’entrer de force dans un monde très vaste, de réagir et de se protéger efficacement.

Ce que cette nouvelle donne proposait en pâture aux Touaregs et aux Songhaïs paraissait essentiellement sous la forme d’une prétendue démocratie qui se présentait flanquée de moyens redoutables tant théoriques que propices à notre élimination et sous les oripeaux d’une classe dirigeante totalement hors sol. De plus, cette classe dirigeante et... dominante issue de la décolonisation, prit les rênes de la gestion des pays et ne les lâcha plus, alors qu’elle adoptait point pour point les comportements des anciens colons et jouait la division tout en faisant croire qu’elle était la victime des événements qu’elle organisait. Elle sut d’ailleurs enfumer tous ceux qui doutaient encore et monta à tout propos des plafonds de verre afin de réduire des velléités de concorde qui émergeaient de temps à autre de ce chaos.

S’ensuivit un délitement de nos forces qu’il faudra savoir reconnaître dans ses aspects les plus pratiques et les plus intimes afin de pouvoir avancer. Mon cousin songhaï, il conviendrait d’en discuter. Si nous nous rencontrons enfin, discutons et échangeons comme la tradition l’exige encore, en évitant de nous heurter sous un prétexte ou sous un autre.

Les Touaregs ont dû dans ces moments incroyables garantir une neutralité maximale afin d’obtenir des relations apaisées avec l’extérieur, alors que nous tous, Songhaïs et Touaregs, avons été pendant fort longtemps un rempart à la radicalité religieuse qui pointait au nord comme au sud. Nous n’avions d’ailleurs pas de temps à perdre avec des arguties exhumées d’un temps bien révolu. L’Occident, qui découvrit beaucoup plus tard cette radicalité et qui commence à en souffrir dans sa chair, a négligé nos mises en garde avant son apparition dans son propre monde, mais, en fonction de préjugés difficiles à inventorier de notre part, il a été incapable de nous prendre au sérieux et n’a pas su ainsi repérer et analyser ce rempart éminemment pacifique que nous représentions tous alors.

De plus, l’Occident a choisi la facilité en ne tenant pas compte de la diversité des cultures en présence et ne s’intéressa qu’aux groupes officiellement démographiquement majoritaires, en considérant que ces majorités apparentes, au nom d’une démocratie calquée sur des critères venus de contextes bien différents, étaient évidemment seules capables d’administrer ces territoires immenses qu’elles connaissaient à peine, sans évoquer les préjugés méprisants qui ont été distillés au fil du temps, bien avant les réseaux sociaux, et qui servaient de justification à l’hostilité des fonctionnaires ou à leur immobilité. Une nouvelle façon de nous séparer, de nous désunir s’organisa afin, consciemment ou non, et parvint à nous marginaliser, alors que les officiels proclamaient l’unité sans s’y atteler pour le moins du monde. Pendant ce temps-là, Songhaïs et Touaregs crevaient d’être administrés en dépit du bon sens dans leurs territoires. Nous mourions dans un total abandon, mais nous étions cependant encore très photogéniques pour être tolérés, tout en étant cependant totalement désavoués comme lanceurs d’alerte et devenions sans intérêt réel, puisque nous occupions des territoires jugés peu fiables et, de surcroît, peu fertiles. Une triple peine, en somme. Ce « manque » de fertilité observé par des « experts » très myopes accéléra ainsi un raisonnable et discret abandon de la part des autorités. De plus, ces dernières, ayant découvert qu’il était intéressant, parce que cela justifiait leur immobilisme à notre égard, de déclarer que la terre devait appartenir à ceux qui la cultivaient, selon un credo un peu passé de mode, nous condamnaient à court terme. Les pasteurs nomades et les pasteurs-agriculteurs touaregs et songhaïs n’apparaissaient plus alors que comme une verrue dans le glorieux dispositif de la construction des pays en question.

Nous souffrons encore, et plus que jamais, de ces analyses bien frivoles, car nous en avons tous pris conscience et nous les subissons de plein fouet. Allons-nous encore longtemps accepter comme « normal » ce que l’on nous octroie très parcimonieusement ? Mon cousin songhaï, je te propose de relever pacifiquement ensemble ce défi. Il n’en sera que mieux pour tous les citoyens sans exception, ceux qui vivent dans les territoires du nord comme ceux qui vivent dans les territoires du sud. Et tentons, en pensant aux enfants et petits-enfants de ces pays qui ont déjà trop failli, un renouveau constructif et éminemment pacifique pour le bien de tous.

Bien à toi

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