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Déclaration de presse de la commission d’enquête indépendante sur l’affaire du 10 avril
Publié le samedi 19 aout 2017   |  Niger Diaspora


Déclaration
© Autre presse par DR
Déclaration de presse de la commission d’enquête indépendante sur l’affaire du 10 avril


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DU CONTEXTE DES EVENEMENTS.

L’année académique 2016-2017 a été émaillée d’interruptions de cours et de perturbations de différents ordres en lien avec les revendications scolaires et estudiantines. C’est ainsi que la journée du lundi dix Avril deux mille dix-sept (10 Avril 2017) a été ponctuée d’événements, qui ont malheureusement provoqué une perte en vie humaine en la personne de l’étudiant Mallah Kelloumi Bagalé, Des blessés, des interpellations et des dégâts matériels ont été aussi enregistrés, tant du côté des Forces de Défense et de Sécurité que des scolaires. Il est à noter également que bien que toutes les régions du Niger aient connu ces perturbations, celles de Niamey et de Maradi ont été les plus touchées ; les campus universitaires de ces deux (2) localités ont d’ailleurs été fermés.

Par rapport auxdits événements, les deux (2) parties ont fait des communications contradictoires, sur différents types de canaux. Une vive tension sociale résultant de la polémique ainsi créée était nettement perceptible et un mot d’ordre de grève illimitée a été lancé par le Comité Directeur de l’Union des Scolaires Nigériens (CD/USN). Les responsables de l’USN réclament dans un premier temps, la démission ou le limogeage des Ministres en charge de l’Enseignement Supérieur, de celui de la Défense Nationale assurant, au moment des faits, l’intérim du Ministre d’Etat en charge de l’Intérieur et de la Sécurité Publique et enfin du Recteur de l’Université Abdou Moumouni de Niamey.


Le samedi quinze Avril deux mille dix-sept (15 Avril 2017), le Président de la République, Chef de l’Etat, reçoit en présence du Premier Ministre, Chef du Gouvernement, le Comité Directeur de l’Union des Scolaires Nigériens (CD/USN). De cette audience, on retient notamment, la décision de reprendre les négociations autour de Son Excellence Monsieur le Premier Ministre, Chef du Gouvernement. C’est ainsi qu’une première rencontre tenue le dimanche 16 Avril 2017, un réaménagement technique du Gouvernement en date du 18 Avril, nommant un nouveau Ministre en charge de l’Enseignement Supérieur et une autre séance de négociations dans la soirée du 20 Avril, ont abouti à l’adoption d’un communiqué final et à la levée du mot d’ordre de suspension des activités académiques à partir du mardi 25 Avril 2017.
Ce communiqué final convenu entre les deux (2) parties en présence des Grands Témoins dont le Président de l’Association Islamique du Niger, l’Archevêque de Niamey et des personnes ressources telles que les représentants de la Commission Nationale des Droits Humains (CNDH), de la Commission Nationale de Dialogue Social (CNDS), du Syndicat National des Enseignants Chercheurs du Supérieur (SNECS), de l’Association Nationale des Parents d’Elèves et Etudiants (ANPE/E), de l’Association des Jeunes Avocats du Niger (AJAN), a été signé le 21 Avril dans la salle de Conseil de Cabinet du Premier Ministre. Il prévoit notamment la mise en place d’une Commission d’Enquête Indépendante (CEI), qui a pour mission de faire la lumière sur les événements du 10 Avril 2017. L’arrêté 0064 /PM du 28 Avril 2017 crée ainsi la Commission et détermine la composition et les qualités de ses membres. Il met en place un Bureau de quatre (4) membres sur les treize que compte la Commission. Il confie ainsi la présidence à la CNDH, la vice-présidence à la CNDS, le rôle de premier Rapporteur au représentant du cabinet du Premier Ministre et celui de deuxième Rapporteur à l’USN.

Le Président de la Cour d’Appel de Niamey, en présence du Procureur Général et du Président de l’Association Islamique a reçu le mercredi 03 Mai 2017, le serment coranique des treize (13) membres de la Commission sous la formule « Je jure de remplir loyalement et fidèlement la mission qui nous est confiée. En cas de parjure, que nous subissions les rigueurs de la loi. Puisse Dieu nous venir en aide ».


Après son installation, la méthodologie utilisée par la CEI a consisté d’abord à répertorier et à exploiter les textes réglementaires en la matière, ensuite il s’est agi d’adresser des réquisitions, de procéder à des auditions suivies de reconstitutions terrains et de simulation et enfin, l’exploitation des rapports d’expertise d’un médecin légiste, d’un Huissier et de la Police Technique et Scientifique ( PTS) appuyée par EUCAP Sahel (Stratégie de l’Union Européenne pour le Développement au Sahel), partenaire du Laboratoire National d’Expertise Scientifique.

Le travail s’est effectué en trois phases : les causes, le déroulé et les conséquences des évènements du 10 Avril 2017.
Ces évènements découlent d’une suite de faits qui sont d’ordre tant administratifs que scolaires.
Dans un premier temps, pour apprécier objectivement la situation, l’analyse s’est basée sur :
1. Le retard dans le paiement de la bourse, des allocations scolaires, de l’aide sociale et la volonté de l’Etat d’apporter des réformes à cette dernière ;
2. Les différentes revendications estudiantines qui en découlaient et leurs expressions ;
3. Le cadre partenarial Gouvernement-USN, les différents canaux de négociation et de communication.
Dans un deuxième temps, la CEI s’est préoccupée (1) de savoir dans quelle mesure les manifestations des scolaires ont obéi ou non aux textes régissant les manifestations sur la voie publique, ensuite (2) d’établir la lumière sur l’ensemble des manifestations telles qu’elles se sont déroulées sur le territoire national et enfin (3) de savoir si les franchises Universitaires ont été respectées ou non lors de l’investissement du campus de l’Université Abdou Moumouni par les Forces de l’Ordre.
Enfin, la Commission d’Enquête Indépendante a considéré les deux thèses qui ont été avancées quant aux circonstances du décès de l’étudiant Mallah Kelloumi Bagalé : la partie gouvernementale soutenait la thèse « d’une chute fatale sur une pierre » lors des manifestations, l’USN, quant à elle, affirmait plutôt que la mort serait provoquée par « un tir tendu de grenade lacrymogène ».
Au-delà de ce drame, la CEI devait statuer sur les autres conséquences notamment les violences morales et corporelles, les détériorations des biens publics et privés.
Au terme des investigations sur les causes ayant conduit aux évènements du 10 Avril 2017, la CEI retient essentiellement que les points suivants apparaissent comme les facteurs explicatifs et amplificateurs desdits évènements : (1) le retard dans le paiement des bourses et allocations , (2) les reformes non consensuelles sur l’aide sociale, (3) le non recours au cadre de négociations mis en place , (4) les barricades du 30 mars 2017 avec utilisation des bus du Centre National des Œuvres Universitaires (CNOU) qui ont permis aux étudiants de bloquer la circulation de 12h à 18h doublées (5) des sorties médiatiques virulentes de l’USN perlées de mots d’ordre de grèves et enfin, (6) la rupture de dialogue entre les partenaires.
La CEI a, par ailleurs, constaté le non-respect des textes par les parties prenantes à savoir l’USN, les FDS et les autorités administratives concernées. En effet, le mot d’ordre du 09 Avril 2017 pour « une sortie dans un esprit démocratique » n’a pas fait l’objet d’une déclaration préalable et les franchises universitaires n’ont pas été respectées lors de l’investissement du campus de l’UAM par les FDS.

DU RESPECT DES TEXTES REGISSANT LES MANIFESTATIONS SUR LA VOIE PUBLIQUE

La loi N 2004-45 du 8 juin 2004 régissant les manifestations sur la voie publique
La substance de la loi sus citée fait ressortir les conditions réglementant toute manifestation sur la voie publique, notamment :
l’obligation de soumettre une déclaration au préalable à la mairie de la commune du territoire de la manifestation et sa diffusion sur les autres territoires parcourus ;
le délai de cinq jours francs au moins et 15 jours au plus avant la manifestation ;
la forme de la déclaration (les signataires, le but, la date et le lieu de rassemblement des personnes invitées et l’itinéraire) ;
l’obligation à l’autorité qui réceptionne de délivrer un récépissé ;
la responsabilité pénale du ou des participants qui sont porteurs d’une arme apparente ou cachée ou d’un engin dangereux pour la sécurité publique ;
la responsabilité pénale et/ou civile des organisateurs et des instigateurs d’une manifestation durant laquelle des violences, voies de fait, séquestrations de personnes ou dégradations des biens-meubles ou immeubles, publics ou privés ont été commis ;
la responsabilité pénale et civile des intrus incitant des participants à commettre des violences, voies de faits, destruction ou dégradations des biens ;
la responsabilité pénale et civile des organisateurs et instigateurs d’un rassemblement poussant des mineurs à l’accomplissement des actes de violence, voies de fait sur les personnes, ou de destruction sur les biens ;
la responsabilité pénale et civile des manifestants s’introduisant à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, dans un édifice public ou privé, dans une maison d’habitation ou un local à usage commercial, dans un lieu de culte ou dans un établissement scolaire ou de formation professionnelle ;
la responsabilité par solidarité des structures impliquées dans l’organisation et le déroulement des manifestations ou rassemblement ci-dessus énumérés.
Le mot d’ordre lancé le (9) Avril 2017 par le CD/USN et les manifestations de certains établissements scolaires qui s’en sont suivies sont illégaux au regard de la Loi sus citée.
DE LA QUESTION DES FRANCHISES UNIVERSITAIRES
On retient qu’au terme de l’article 5 de l’ordonnance 92 – 036 du 21 aout 1992 relative aux franchises et libertés universitaires, « les forces de l’ordre ne peuvent intervenir dans les enceintes, locaux et installations universitaires sans autorisation écrite du Recteur de l’Université ». Or les investigations effectuées par la Commission d’Enquête Indépendante (CEI) n’ont pas permis d’établir qu’il y a eu autorisation écrite du Recteur de l’Université Abdou Moumouni (UAM). Par ailleurs, il faut rappeler qu’au terme de l’article 5 du décret numéro 93-033 /PM /MEN/R du 15 février 1993 fixant les modalités d’application de l’ordonnance précitée : «en cas de péril déclaré ou de secours réclamé de l’intérieur, le Recteur pourra demander l’intervention des forces de l’ordre sous réserve de saisir, dans les 24H suivant l’évènement, le Conseil de l’Université, seul habilité à proroger la durée de l’intervention ».
La Commission signale la non précision de l’article 5 du décret d’application quant à la forme écrite ou orale de l’autorisation du Recteur dans les situations de « péril déclaré ou de secours réclamé de l’intérieur ».
Devant ce mutisme, la CEI a fait recours à l’ordonnance qui impose, elle, l’écrit. Pour toutes ces raisons, la Commission d’Enquête Indépendante conclut que les franchises universitaires n’ont pas été respectées lors de l’investissement du campus par les forces de l’ordre.

Toutefois, les acteurs impliqués dans la gestion des évènements du 10 Avril ont fait preuve de légèreté et d’irresponsabilité :

d’abord, le Recteur qui a répondu « ok, il n’y a pas de problème » à la demande par téléphone du MES/RI de la pénétration au sein du campus universitaire de l’UAM des FDS sans notifier à ce dernier qu’au terme de l’article 5 du décret numéro 93-033 /PM /MEN/R du 15 février 1993 fixant les modalités d’application de l’ordonnance précitée, seul le Recteur est habilité à « demander l’intervention des forces de l’ordre sous réserve de saisir, dans les 24H suivant l’évènement, le Conseil de l’Université, seul habilité à proroger la durée de l’intervention » ;
ensuite, le Ministre de l’Enseignement Supérieur de la Recherche et de l’Innovation, qui, au moment des faits, s’est contenté d’un simple accord verbal du Recteur pour informer le Gouverneur de la levée des franchises universitaires. En effet, c’est seulement jeudi 13 Avril, trois (3) jours plus tard, qu’il a cherché l’obtention de l’autorisation écrite auprès du Recteur de l’Université Abdou Moumouni ;
enfin, le Gouverneur qui a demandé la levée des franchises en faisant prévaloir que des éléments des Forces de Défense et de Sécurité à l’extérieur étaient la cible de jets de pierres et de cocktails Molotov blessant 18 d’entre eux. Il a alors ordonné leur intervention au sein du Campus Universitaire après avoir reçu du Ministre de l’Enseignement Supérieur, l’information relative à la levée des franchises universitaires.
L’intervention des forces de l’ordre n’était pas opportune pour plusieurs raisons :

le Recteur qui a l’initiative d’apprécier l’opportunité n’a pas demandé l’intervention des FDS ;
le Commandant du premier escadron de la Gendarmerie Nationale de Niamey a estimé que la situation était gérable ;
il n’y avait pas de péril en la demeure ni d’appel au secours de l’intérieur.
DE LA LUMIERE SUR LE DECES DE L’ETUDIANT MALLAH KELLOUMI BAGALE.
Des auditions des parties prenantes, des investigations, des reconstitutions et des simulations sur le terrain, des rapports produits, il ressort que la mort de l’étudiant Mallah Kelloumi Bagalé n’a pas pu être provoquée par « une chute sur une pierre ». L’autopsie a révélé, qu’il n’y a pas eu de signe de lutte sur le corps, pouvant laisser supposer que la victime aurait subi une chute brutale ou serait victime de coups et blessures. Ce sur quoi l’autopsie est formelle, c’est que la seule blessure diagnostiquée au niveau de la tête n’a pu être provoquée que par un « objet contondant porté à bout portant ».
Les gendarmes affirment n’avoir ni tiré, ni entendu une détonation dans la phase d’interpellation au moment où le blessé Bagalé a été retrouvé couché à côté du béton déterré au niveau du grand portail. Ils ne l’ont pas vu non plus chuter, ils ont fait une simple déduction de la chute à cause de la position du blessé par rapport au béton.
Les étudiants témoins oculaires ainsi que le gardien de la cité présents au moment des faits, affirment, quant à eux, que l’étudiant Mallah Kelloumi Bagalé a fait plutôt l’objet d’un tir tendu par un élément de la gendarme embusqué derrière le muret du portillon gauche. Après être tombé et immergé de gaz lacrymogène, il avait subi des sévices corporels avant d’être trainé sur le goudron pour être évacué à l’Hôpital National de Niamey où il succomba quelques heures plus tard suite à sa blessure.
Le rapport de la Police Scientifique et Technique corrobore la thèse du tir à bout portant à moins de 100m et écarte en même temps l’hypothèse d’une chute fatale sur une quelconque pierre.


DE L’AVIS DE LA CEI,
Mallah Kelloumi Bagalé a été victime du tir d’un projectile d’un élément non identifié de la Gendarmerie. Des témoignages concordants soutiennent qu’il était en compagnie de deux autres camarades qui avançaient vers le portail de la cité pensant que les gendarmes s’étaient retirés.
Par ailleurs, la pénétration au sein du campus par les Forces de l’Ordre a été effectuée dans des conditions d’une rare violence qui n’a épargné ni étudiants, ni les autres composantes de l’Université de Niamey : c’est le cas des patients et agents de santé se trouvant dans l’infirmerie dont plusieurs se sont évanouis sous l’effet de l’inhalation de gaz lacrymogène et qui n’ont eu la vie sauve que grâce à l’intervention du DG CNOU assisté de trois éléments de la Gendarmerie.
Au-delà de la mort dramatique de Mallah Kelloumi Bagalé, il faut noter le cas d’un étudiant gravement fauché par un véhicule de la Police qui garde encore des séquelles. Il faut également signaler le cas des étudiants poursuivis jusque dans les facultés et dans les lieux de culte ayant subi des traitements humiliants et dégradants sans oublier le cas de l’étudiant dont la vidéo a circulé sur les réseaux sociaux qui est pendant devant les juridictions.
A cela s’ajoute d’énormes dégâts matériels allant de biens publics aux biens privés tant d’étudiants que d’opérateurs privés exerçant aussi bien au sein du campus et ses alentours qu’au niveau de certains établissements de la ville de Niamey. Pour avoir une situation exhaustive, la CEI a requis l’expertise d’un Huissier qui a répertorié les dégâts et dommages.


RECOMMANDATIONS
Pour que de tels évènements ne se reproduisent plus dans notre pays, la CEI fait un certain nombre de recommandations :
A l’endroit de l’USN, la CEI recommande :

le respect effectif de la réglementation en vigueur en matière des manifestations sur les voies publiques ;
l’organisation de conférences et séances de sensibilisation au profit de ses militants sur l’éducation civique;
l’adaptation de ses méthodes de lutte aux pratiques démocratiques et de l’Etat de droit, en privilégiant le recours aux structures et personnes morales à même de l’accompagner dans l’aboutissement de ses légitimes revendications.
A l’endroit des Forces de l’Ordre, la CEI recommande :

la présence de l’autorité civile responsable de l’ordre public territorialement compétente ou de son représentant lors des opérations de maintien de l’ordre conformément aux textes en vigueur ;
l’organisation de séminaires / ateliers de formation aux procédures de maintien de l’ordre au profit des autorités civiles;
le renforcement de capacités des FDS axé sur les droits humains.
les règles de stockage et de mouvement (entrée et sortie) des armes et munitions devront être rigoureusement respectées ;
le déclassement de la grenade lacrymogène Anti-Riot de 38mm contenant une charge en aluminium en usage au sein des Forces de Défense et de Sécurité ;
l’usage conventionnel et rationnel des grenades lacrymogènes ;
le rappel des règles de base du maintien et du rétablissement de l’ordre ;
l’interdiction formelle des tirs de grenade dans les lieux clos.
La CEI recommande à l’endroit des autorités compétentes :

de faire recours au cadre formel de négociations déjà existant en le rendant plus dynamique et plus pratique ;
la représentation de l’USN au sein du comité interministériel qui traite des problèmes du système éducatif ;
le respect des engagements pris vis-à-vis des partenaires ;
l’accélération du processus d’évacuation des blessés se trouvant dans des situations critiques ;
le dédommagement des personnes victimes de pertes ou de détérioration de leurs biens.

Niamey, le 17 Aout 2017
La Commission d’Enquête Indépendante sur l’affaire du 10 Avril

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