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L’Afrique par l’éducation : Par Dr Farmo Moumouni

Publié le lundi 21 mai 2018  |  Autre presse
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© Autre presse par DR
Dr Farmo Moumouni
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Pendant plusieurs siècles, l’Africain été soumis à l’action de forces étrangères. Il n’est pas sorti indemne de ces rencontres. Cela est hors de toute discussion. Ces forces dominatrices et aliénantes, impérialismes de tout bord, l’on fait esclave, colonisé, consommateur et producteur, croyant et usager de langues nouvelles.

Esclave, l’Africain perd sa liberté et son humanité : mis dans les fers par les traites arabo-musulmane et occidentale, il est souvent moins bien traité que l’animal. Colonisé, il devient étranger chez lui, il subit les pires exactions et les humiliations les plus abjectes. Producteur, sa force de travail est exploitée dans les champs, dans les mines, pour l’industrie et la prospérité des maîtres. Consommateur, il forme avec ses semblables un débouché pour les produits manufacturés. Croyant, il s’est convertit, il est devenu disciple de religions qui ont supplanté les croyances traditionnelles. Locuteur, il s’exprime dans des langues imposées au détriment de sa langue.

Modelé, façonné, conditionné sur une longue durée par des processus exogènes, l’Africain a perdu de larges portions de sa personnalité et de son authenticité premières. Dès lors, le déchirement, la séparation et le manque deviennent des modalités de son existence. L’Africain a donc besoin de recomposer son être déconstruit, de panser des plaies, de réparer des torts, de combler un manque.

Nombre de peuples soumis à l’action des mêmes forces ont su mettre fin à la domination, ils ont su dépasser l’aliénation en assimilant les éléments étrangers, en les transformant et en le intégrant à leurs mœurs et coutumes. Ces peuples ont conquis leur liberté, ils ont repris l’initiative et la direction de leur destin.

Les Africains tardent à briser leurs chaînes, l’Afrique est le continent qui, dans le procès de ce que l’on nomme le développement, ferme la marche de l’humanité malgré les immenses richesses dont elle dispose. Les deux choses sont en effet liées. L’Afrique est dans les fers parce qu’elle a des richesses. Elle n’arrive pas à se défaire de ses chaînes pour se consacrer au développement parce qu’elle est maintenue dans les fers par des forces étrangères, parce que sur place, des Africains, geôliers de leur propres peuples, travaillent, chaque fois que les fers se fissurent, chaque fois que les chaînes se relâchent, et qu’ils tentent de se libérer, à les maintenir dans la servitude.

Ce que l’on ne souligne pas assez, c’est que le retard de l’Afrique est proportionnel à la durée de sa déconstruction qui débute au VIIe siècle, s’achève officiellement au XXe siècle, mais ce poursuit encore de nos jours, à travers des relations inégales d’exploitation et d’inféodation.

L’Africain actuel est le résultat de l’action de plusieurs facteurs dont certains pluriséculaires, ont laissé des traces visibles. L’Afrique actuelle est l’aboutissement de plusieurs siècles de mutations, de changements. Oubliant que l’évolution est une loi de la vie, et qu’elle obéit à ses propres rythmes, que la société est par définition dynamique, d’aucuns ont cru voir dans la situation de l’Afrique une inertie, une incapacité au développement ou encore l’effet d’un sort fatal.

On a vu en d’autres temps, des étrangers expliquer la situation de l’Afrique par l’incapacité congénitale à se développer, par la malédiction, mais ces explications relevaient de la justification de l’impérialisme, du racisme ou des deux à la fois. Lorsque ces explications sont reprises par des Africains on ne peut évoquer ni l’impérialisme ni le racisme. Le couple Kabou-Konaté occupe une place importante dans l’ordre du déni.

Axelle Kabou a commis : « Et si l’Afrique refusait le développement? » En 1992. Dix-huit ans plus tard, Moussa Konaté publie : « L’Afrique est-elle maudite? » Il s’agit là d’œuvres qui affirment, en feignant d’interroger. Pour Axelle Kabou, l’Afrique est sous-développées parce qu’elle rejette le développement de toutes ses forces, le refus du développement est encore la chose la mieux gérée et la mieux partagée » L’Afrique serait pour elle « une sorte de cul de sac, de terminus, de voie de garage où aucun espoir de mobilité ascendante n’est permis »

Moussa Konaté évoque une malédiction dont l’Afrique serait frappée. Or, la malédiction est l’action de maudire ou son résultat C’est le fait d’attirer le mal sur quelqu’un ou quelque chose par ses propos. La malédiction peut aussi venir de la colère de Dieu. L’Afrique est-elle victime de la malédiction de Dieu? Je ne saurai le dire, Moussa Konaté non plus. En revanche, je ne vois aucune raison pour laquelle Dieu qui est miséricorde, maudirait l’Afrique.

La malédiction dont parle Konaté s’origine dans « le pacte entre l’individu et la société basé sur la soumission à la famille auquel tout est subordonné, même l’amour » À ses yeux, la solidarité africaine est un moyen d’asservissement et un puissant facteur d’inertie qui oblige à verser ses revenus dans « le tonneau sans fin » ce qui empêche l’épargne, l’initiative et le développement.

Le mérite des thèses de Konaté et de Kabou est d’indiquer qu’à côté des causes exogènes du retard de l’Afrique, il y a des causes endogènes, sans mettre le doigt sur l’essentiel. Il est aussi absurde de prétendre que l’Afrique refuse le développement, que de tenir la famille comme le frein au développement de l’Afrique. Le développent ne se refuse pas, c’est une tension vers le meilleur, vers le mieux-être que partagent tous les hommes, toutes les communautés, tous les pays et tous les continents. Si la solidarité familiale grève les revenus, entrave l’épargne et l’initiative, c’est en raison de leur modicité. À supposer que nos économies ne soient pas extraverties, que nos ressources nous appartiennent et que nous en disposions comme nous l’entendons, que ces ressources soient pas gérées, que par notre travail ces ressources soient exploitées et transformées en richesse de manière patrimoniale, que cette richesse soient équitablement redistribuées, les revenus seraient décents, la solidarité familiale ne serait plus ce tonneau sans fond, puisque chacun pourrait être indépendant et subvenir à ses propres besoins.

La question est plus économique que sociale ou culturelle. L’anthropologie économique montre d’ailleurs que les liens familiaux « ont précisément été, dans l’histoire, le lot commun des sociétés paysannes (aussi bien pour le Moyen âge occidental qu’en Afrique ou qu’en Chine); ils n’ont été battus en brèche que par le développement décisif des forces productives du mode de production capitaliste, dont le résultat a été de dissoudre le rôle productif naguère fondamental du noyau de parenté »

La solidarité familiale africaine à laquelle Konaté et d’autres auteurs s’en prennent, a rendu des services à l’Afrique en d’autres temps, elle doit être considérée comme la survivance d’un mode de production éteint. Elle prouve par ailleurs que la société africaine comme toute société est dynamique, que l’Afrique évolue, contrairement à ce que disent Kabou et Konaté, l’une en présentant l’Afrique comme un cul de sac ou un garage, et l’autre en faisant de la solidarité un facteur d’inertie pour le continent.

Il faut se rendre à l’évidence, nos dénonciations et nos admonestations n’auront que peu d’effets sur la situation de l’Afrique. Ce qui importe, c’est de donner une direction à l’évolution par des actions mûrement réfléchies.

Nous commettons souvent l’erreur de rejeter ou d’ignorer les éléments étrangers avec lesquels l’Afrique a eu commerce au cours de son histoire. Dans le premier cas, celui du rejet, nous négligeons l’interaction des éléments étrangers avec les éléments autochtones. Dans le second cas, celui de l’ignorance, nous croyons que les éléments étrangers ne sont pas étrangers, nous ne les distinguons point de l’autochtone et du traditionnel. En effet, les éléments étrangers dont le contact avec nos sociétés et nos cultures remonte à plusieurs décennies, parfois à plusieurs siècles, ont transformé la face de nos sociétés, modifié la forme de nos pays; ils ont créé des institutions, ils sont entrés dans nos croyances, nos manières de penser et d’agir, ils ont laissé des séquelles apparentes. Ils étaient exogènes, ils ne le sont plus. Nous devons les considérer aujourd’hui comme faisant partie de notre histoire générale, et les intégrer à la réflexion stratégique et aux actions coordonnés qui visent à donner un nouveau visage à l’Afrique.

Le cœur de cette stratégie pour l’Afrique doit être sans aucun doute l’éducation. C’est par l’éducation que l’on donne au plus grand nombre la possibilité et les moyens de développer ses compétences et ses potentialités, c’est par l’éducation qu’on lui donne l’accès à l’information, c’est par l’éducation qu’il appréhende mieux sa situation, en prend conscience, et s’anime de la volonté de la transformer. C’est par l’éducation qu’on donne véritablement au plus grand nombre les capacités de participer activement au développement.

L’enseignement devient dès lors le fer de lance de l’éducation. Son objectif sera de transmettre les savoirs, les savoir-faire en adéquation avec les réalités dans lesquelles nous vivons et que nous voulons transformer, de même que les savoirs être qui permettront d’être en harmonie avec nous-mêmes. L’histoire évidemment, en ce qu’elle nous permet de nous connaitre, de connaitre notre passé, et de tirer des leçons pour construire notre avenir doit occuper une place importante.

L’enseignement de l’histoire et des autres disciplines devrait se faire dans les langues africaines. Celles-ci auront été rendues aptes à transmettre le savoir afin de remplacer progressivement les langues étrangères. Nous serions victimes de nos illusions en continuant de croire que nous pouvons promouvoir nos cultures, et favoriser le développent en utilisant les langues étrangères (Français, Arabe, Anglais, Espagnol, Portugais) qui marginalisent la majorité de nos populations. Nos cultures ne peuvent vivre entièrement que par et dans nos langues, nos populations ne peuvent aller au développement, sans complexes, que par la maîtrise et l’utilisation de leurs propres langues élevées au rang de langues scientifiques, administratives. Pour nous en convaincre, regardons le cas de la France qui, en nous dominant, nous a imposé sa langue.

La France a parlé Latin, la langue de l’occupant, et des dialectes locaux avant de parler français. Après trois siècles la domination romaine sur la Gaule (France notamment) s’achève au Ve siècle. Le Latin, langue de l’occupant n’est plus d’usage que dans l’Église et dans l’enseignement. Les dialectes locaux (langue d’oc au nord : normand, picard, etc.; et langue d’oïl au sud : limousin, provençal, auvergnat, etc.) se développent.

Les premières utilisations du Français se font entre le XIIIe et les XVIe siècles, avec notamment la traduction de la Bible du Latin vers le Français en 1250 et 1523. C’est en 1539 que François Ier par l’ordonnance de Villers-Cotterêts, fait du français une langue juridique et administrative, en exigeant que les débats se déroulent dans cette langue dans les tribunaux, et qu’elle remplace le latin dans l’administration. À cette époque, à peine 20% de la population parlait le français.

Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, le latin était une langue d’enseignement à côté des dialectes locaux, et le français de manière rudimentaire. La Révolution française voit dans le français le ciment de l’unité nationale et veut qu’elle remplace les nombreux dialectes. Ceux-ci, de manière progressive lui céderont la place. En 1839, la loi Guizot exige que « l’instruction primaire comprend nécessairement les éléments de la langue française »

Il y a seulement quelques siècles, le français n’était qu’une langue vulgaire parlée par quelques centaines de milliers de locuteurs. Il s’est imposé à la France entière, avant de se répandre dans le monde et de rassembler une cinquantaine de pays à travers le monde, dans une communauté linguistique. Les langues africaines, à condition que nous créions les conditions de leur essor, peuvent parcourir le chemin que le français a emprunté pour rayonner.

L’éducation est le foyer qui, par ses émanations nourrit les différentes activités des peuples. Parce qu’elle leur apporte la lumière, elle doit être considérée comme un soleil qui se lève sur les peuples et qui permet aux peuples de se lever et de sortir des ténèbres. C’est le soleil de l’éducation qui en répandant ses rayons de savoir, de savoir-faire, de connaissances et de compétences, permet aux peuples de vaquer aux tâches de développement.

L’éducation éveille à la citoyenneté; le citoyen participe à la vie de la cité, à celle du pays; il s’intéresse à celle du continent. Il veille à ses droits, aux droits et obligations de ses concitoyens. Il se soucie de la manière dont les affaires publiques sont menées, de la manière dont les biens communs sont gérés. Pour l’Afrique qui devient, l’éducation est le foyer de l’avenir. C’est en effet l’éducation qui élève l’homme dans son humanité, c’est elle qui, en cultivant ses qualités intellectuelles, morales et physiques, en forgeant sa personnalité, le prépare à la vie. C’est par le truchement de l’éducation que les peuples se retrouvent, se reconnaissent, se réconcilient avec eux-mêmes et avec les autres. C’est l’éducation, par les connaissances, les savoirs et les savoir-faire qu’elle leur apporte, les compétences qu’elle développe, qui leur permet de prendre leur vie en charge, de la transformer, et donner une direction à leur existence.

L’éducation libère les peuples des pesanteurs intérieures, celles des croyances, des traditions et des mœurs; elle les libère les peuples des liens de sujétion, de subordination et d’inféodation noués à l’extérieur. Les peuples éduqués ne supportent pas le joug de l’esclavage, ils sont réfractaires à la tyrannie et abhorrent les dictatures. Sachant que les richesses de leurs sols et de leurs sous-sols constituent leurs propriétés, ils n’admettent leur appropriation ni par des élites et des classes particulières, ni par des intérêts ou groupes d’intérêts étrangers. Ils veillent à l’exploitation, à la transformation et à la distribution des richesses. Ils mettent fin à l’extraversion de leur économie, en faisant en sorte qu’elle serve leurs besoins avant de servir les intérêts des autres.

Quel est le moyen de se connaitre, de se reconstruire et de mettre fin à l’aliénation? Quel est le moyen de se libérer des fers de l’intérieur et des chaines de l’extérieur? Qu’est-ce qui nous permet de participer de manière responsable à la politique, à l’économie et à la culture? Qu’est ce qui nous permet d’œuvrer avec succès au développement, de conquérir la liberté, et de clamer l’égalité avec les autres? À toutes ces questions, une seule réponse : l’Éducation.

Farmo M.
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