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Entretien avec le ministre nigérien du Commerce sur les bénéfices réels de la ZLECAf pour le Niger et l’Afrique

Publié le samedi 30 mars 2019  |  Niamey et les 2 jours
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© Le Sahel par DR
Monsieur Sadou Seydou, ministre du Commerce et de la Promotion du secteur privé
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Pour une intégration économique efficiente sur le continent africain, l’Union africaine a institué l’accord sur la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). Celui-ci ambitionne à terme de créer un marché commun africain afin de booster son développement. Toutefois, au-delà de la bonne volonté des uns et des autres de voir ce marché opérationnel, certains obstacles freinent encore l’atteinte de cet objectif. Sadou Seydou (photo), ministre nigérien du Commerce et de la Promotion du secteur privé, explique dans cet entretien les avancées déjà enregistrées en vue de la mise en place de la ZLECAf, ainsi que les avantages concrets de cet accord.

Niamey et les 2 jours : L’accord sur la Zone de libre-échange continentale africaine a été institué par les Etats africains. Parlez-nous de cet accord ?

Sadou Seydou : Avant de rentrer dans le vif du sujet, j’aimerais rappeler que l’Afrique compte 55 Etats avec autant de marchés et les 84 km de frontières constituent des barrières au commerce et des difficultés en matière d’investissement avec des réglementations nationales multiples et diverses.

L’Afrique pèse pour seulement 4 % dans le commerce mondial et le commerce intra-africain se situe autour de 17 %.

Pour y remédier, déjà en 1991, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine ont adopté le traité d’Abuja instituant la Communauté économique africaine. Le processus de la ZLECAf entre dans le cadre de cette vision de « l’Afrique que nous voulons ». La ZLECAf constitue la première étape pour la construction du marché commun africain.

En janvier 2012, lors du 18ème Sommet de l’UA, les chefs d’Etat et de gouvernement décidèrent de commencer les négociations sur la ZLECAf en 2015 avec 2017 comme date indicative pour la conclusion d’un accord. Lesdites négociations ne débutèrent qu’en février 2016.

Face à la lenteur du processus des négociations, le 28ème sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine de janvier 2017 a désigné SEM Issoufou Mahamadou, président de la République du Niger, champion du processus de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf).

Le processus de la ZLECAf comporte deux phases : la première phase, celle en cours, porte sur les négociations relatives au commerce des marchandises, au commerce des services et aux règles et procédures de règlement des différends. La deuxième phase des négociations concernera les investissements, la politique de la concurrence et la propriété intellectuelle.

Véritable outil de développement pour l’Afrique, la ZLECAf a pour objectifs de : renforcer la compétitivité à tous les niveaux, et plus particulièrement au niveau de l’industrie et des entreprises, par l’exploitation des possibilités d’économie d’échelle ; surmonter la dépendance à l’égard des exportations des produits primaires et promouvoir la transformation sociale et économique pour une croissance inclusive, une industrialisation et un développement durable, conformément à l'Agenda 2063 ; réaliser le potentiel de développer et d’accélérer la diversification sans cesse croissante et le dynamisme du commerce intra-africain.

N2J : Quels sont les progrès réalisés par la ZLECAf depuis son adoption à Kigali, il y a un an ?

SS : Le 21 mars 2018, lors du 10ème sommet extraordinaire de l’Union africaine, SEM Issoufou Mahamadou, champion de la ZLECAf, soumettait à la signature de ses pairs les documents suivants : l’accord portant création de la ZLECAf ; le protocole sur le commerce des marchandises ; le protocole sur le commerce des services ; et le protocole sur les règles et procédures sur le règlement des différends.

Concernant les annexes se rapportant au protocole sur le commerce des marchandises et celui sur les règles et procédures en matière de règlement des différends, plus d’une dizaine d’annexes ont été finalisées et adoptées. Il ne reste que l’annexe sur les règles d'origine qui sera finalisée au plus tard en juin 2019.

Quant au commerce des services, les secteurs prioritaires suivants seront ouverts à la libéralisation : les services financiers, de télécommunications, de transport, touristiques et aux entreprises.

Par ailleurs, il y a lieu de souligner que bien que la ZLECAf ne soit pas encore opérationnelle, des résultats commencent à être enregistrés.

D’abord, la tenue de la première foire commerciale intra-africaine, du 11 au 17 décembre 2018 au Caire (Egypte), qui a drainé 1 086 exposants et qui a dépassé tous les objectifs assignés, tant en ce qui concerne le nombre de visiteurs que le volume des transactions.

Et ensuite, l’initiative pour la création de la plateforme continentale sur le commerce électronique en partenariat avec la diaspora africaine qui permettra d’aider les jeunes à créer 600 000 petites et moyennes entreprises en quatre ans.

N2J : Où en est-on avec la mise en place de la ZLECAf ?

SS : Lors de la présentation du 5ème rapport d’étape de SEM Issoufou Mahamadou, le 10 février 2019, la situation des signatures et des ratifications se présente comme suit : 52 sur 55 Etats membres de l’UA ont signé l’accord de la ZLECAf ; 18 ont ratifié et déposé leurs instruments auprès de la commission de l’UA.

Selon les dernières informations à notre disposition, deux autres pays (l’Ethiopie et le Maroc) viennent de ratifier l’accord. La procédure de notification de leurs instruments à la Commission de l’Union africaine est en cours.

N2J : Le président Issoufou Mahamadou qui est le champion de la ZLECAf est convaincu de son lancement officiel en juillet prochain lors du sommet de l’UA. Que pourra en tirer l’Afrique de manière concrète ?

SS : Faut-il le rappeler ? L’article 23 de l’accord portant création de la Zone de libre-échange continentale africaine précise que cet accord entre en vigueur trente jours après le dépôt par vingt-deux Etats signataires de leurs instruments de ratification auprès du président de la Commission de l’Union africaine. Au regard des engagements des Etats membres, le président a bon espoir que le nombre requis de 22 instruments sera réuni et que l’accord entrera véritablement en vigueur à Niamey, en juillet 2019.

A titre exceptionnel, un sommet dédié à l’entrée en vigueur officielle sera organisé à Niamey à la veille du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine. L’occasion sera saisie pour non seulement célébrer le premier anniversaire de la signature de l’accord de la ZLECAf, mais aussi statuer sur le choix du siège et l’organigramme du secrétariat de la ZLECAf.

A propos de la position africaine dans les négociations commerciales internationales SEM Issoufou Mahamadou a insisté que « la finalité, pour nous, est une Afrique avec un marché unique, parlant d’une même voix, conformément à notre vision d’une Afrique intégrée, prospère et en paix, dirigée par ses propres citoyens et représentant une force dynamique sur la scène mondiale ».

Aussi, la ZLECAf sera le moteur de l’industrialisation du continent, dans la mesure où elle stimulera la compétitivité et placera ainsi notre économie intégrée dans une position plus forte pour accroître sa part dans les flux commerciaux mondiaux. Elle développera et renforcera le partenariat au niveau des secteurs privés et permettra ainsi aux secteurs de production de devenir compétitifs et faire face à la concurrence.

Elle mettra en place les conditions appropriées pour l’émergence des chaînes de valeur régionales en vue de la transformation structurelle des économies et servira de tremplin aux PMI/PME exportatrices pour pénétrer le marché international.

Elle attirera les investissements par la définition de politiques sectorielles crédibles, des efforts en matière de transparence, le recours constant aux innovations technologiques, l’amélioration de l’accès aux biens d’équipement et intrants, produits à moindres coûts, la diversification, etc.

On note que les secteurs industriels qui bénéficieraient le plus de la réforme de la ZLECAf, en matière d’expansion du commerce, sont le textile et l’habillement, les cuirs et peaux, le bois et le papier, les véhicules et le matériel de transport, l’électronique et les métaux.

En ce qui concerne les secteurs agricoles, les bénéficiaires immédiats sont les filières porteuses : la viande, les produits laitiers, les légumes, les fruits, le sucre, etc.

N2J : Et le Niger, quels bénéfices pourra-t-il tirer de la ZLECAf ?

SS : Pour un pays comme le Niger, les gains sont à plusieurs niveaux.

Un gain diplomatique et politique : ce processus tant attendu et voulu par les Africains a été conduit sous l’impulsion de SEM Issoufou Mahamadou. Au-delà de la reconnaissance à sa personne pour tous les efforts qu’il a déployés, c’est le Niger qui gagne en visibilité et en notoriété.

En outre, le Niger gagne en accès au marché. Les produits nigériens peuvent potentiellement être exportés dans tous les pays africains. Cela pourra induire l’émergence d’entreprises nationales et la création d’emplois notamment.

Pour les consommateurs, la suppression des droits de douanes améliorera leur pouvoir d’achat.

Mais pour tirer profit des avantages, il y a des défis à relever notamment en matière de capacités d’offre commerciale, de respect des normes techniques et des standards.

N2J : Quels profits en vue pour le secteur privé nigérien, pour les opérateurs économiques d’une manière générale ?

SS : Je voudrais souligner que fondamentalement, la ZLECAf est un cadre mis en place par les Etats, mais au bénéfice du secteur privé. Je viens de vous citer certains des avantages pour la fluidité des affaires en Afrique. Comme l’ont relevé les études, je pense que le secteur privé nigérien pourra trouver son compte dans plusieurs domaines dont la filière cuirs et peaux qui peut devenir une véritable chaîne de valeur. Des efforts ont été faits pour l’amélioration de la qualité de la production tant au niveau des sociétés modernes que des structures traditionnelles tournées vers l’exportation.

La filière viande gagnera en gains de compétitivité relativement aux produits provenant des partenaires extérieurs. Mais des efforts sont en train d'être menés en matière de traçabilité pour répondre aux exigences de modernisation des infrastructures d’abattage et de chaîne de froid, de l’élimination du surcoût dû aux nombreux intermédiaires, etc. Egalement l’oignon, pour lequel nous disposons de certains avantages, mais il faut travailler sur la pénétration de marché hors CEDEAO. Il y a aussi le niébé, etc.

N2J : Quelles sont les mesures, les dispositions à prendre par le Niger pour tirer le maximum de profit de cet instrument ?

SS : Sur instructions des plus hautes autorités de notre pays, nous nous sommes engagés dans un processus comportant les actions suivantes : L’élaboration d’une stratégie nationale ZLECAf comportant des études sectorielles et de compétitivité ; la campagne de sensibilisation pour une meilleure appropriation de la ZLECAf tant à Niamey qu’à l’intérieur du pays ; l’organisation d’un forum national sur la ZLECAf regroupant toutes les parties prenantes (administrations publiques, institutions de la république, structures et organisations du secteur privé, la société civile et le milieu académique, etc.)

Dans le même ordre d’idée, le gouvernement accompagnera les producteurs et les acteurs du secteur privé afin de mieux les préparer aux effets et aux impacts de l’ouverture commerciale. Cependant, il convient de souligner que dès son entrée en vigueur, le démantèlement tarifaire des 90% s’étalera sur 10 ans.

N2J : La Zlecaf prévoit une élimination des droits de douane ainsi que toutes les barrières pouvant entraver le commerce. Comment le Niger pourra-t-il compenser ces pertes ?

SS : Effectivement, le démantèlement tarifaire induit des pertes de recettes. Mais dans le contexte de la ZLECAf, il faut relativiser. En effet, étant membre de la CEDEAO, l’essentiel des importations africaines du Niger proviennent de cet espace en franchise de tout droit de douane, par conséquent le démantèlement tarifaire induira des pertes très limitées. Bien que les pertes de recettes soient moindres, elles seront compensées en moyen et long termes par les gains engendrés par l’expansion de la part des exportations.

Propos recueillis par Sandrine Gaingne
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