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“Au Niger tout juge est magistrat, mais tout magistrat n’est pas juge“
Publié le lundi 2 decembre 2013   |  actuniger


M.
© Autre presse par DR
M. Marou Amadou, Ministre de la justice, garde des sceaux, Porte-parole du Gouvernement


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A la question qui m’a été posée de savoir la teneur de cette maxime je souhaite répondre avec beaucoup de sympathie sur ce qu’est le métier du juge proprement dit, sans paraître bien sur égocentrique. Mes quelques expériences en tribunal, aux cotés de certains magistrats me permettent sans doute de me faire relayeur de leur métier pour lequel j’ai tant d’admiration.

Dans son rapport rendu le 30 novembre 2012 au garde des sceaux, le bureau des états généraux de la justice, en procédant à un état des lieux de notre système judiciaire, relevait le nombre insuffisant des magistrats. Selon ce rapport, l’effectif actuel des magistrats en activité est de trois cent soixante (360) pour une population estimée à 15 millions d’habitants, soit un ratio d’un magistrat pour 41 667 habitants alors que la norme des Nations Unies est d’un magistrat pour 20 000 habitants.

Plusieurs explications sont proposées parmi lesquelles d’abord la difficulté du concours d’accès à l’ENAM (Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature) puisque c'est l'un des plus, ce qui fait que les étudiants en droits s'orientent plutôt vers des professions moins difficiles d'accès, ensuite la recherche par les étudiantes de métiers permettant un plus grand épanouissement intellectuel, puisque le corps de la magistrature est réputé exclusivement réservé aux hommes, les populations restant sensibles à l’autorité féminine, de surcroît le risque de corruption couramment évoqué par beaucoup de jeunes étudiants, au surplus la mauvaise gestion des ressources humaines (cas des magistrats à la maison depuis 02 ans ;

qui sont sans poste défini, en contradiction avec les dispositions statutaires), enfin l’absence de possibilité de reconversion dans le corps de la magistrature aux avocats, inspecteurs des finances et du trésor pour palier l’insuffisance comme cela se fait dans d’autres pays dans un souci de spécialisation.

Le concours d'accès est effectivement difficile. Mais il reste accessible à tout étudiant qui travaille régulièrement pendant toutes ses années de faculté, et qui, et c'est souvent là que certains décrochent, est disposé et surtout capable, dans la dernière ligne droite avant le concours, de s'investir complètement dans la préparation, ce qui exclut de nombreuses activités de loisirs pendant quelques mois. Mais une période d'efforts intenses avec à la clé un travail exceptionnel pendant plusieurs dizaines d'années, cela peut valoir le coup.

Il y a sans doute aussi une insuffisante connaissance du métier de magistrat (du siège ou du parquet). Si le grand public entend de temps en temps parler d'un magistrat chargé d'un dossier (donc le juge en charge d’examiner le dossier selon qu’il soit juge d’instruction, juge des mineurs, juge chargé des affaires civiles et coutumières, juge au tribunal ou juge des référés…) commenté par les medias, le travail quotidien d'un magistrat est rarement montré ou explicité.

Cela d'autant plus que l'essentiel du travail se passe en dehors de l'audience, dans l'étude d'un dossier et la rédaction d'une décision ou d'un acte de procédure. Le magistrat étudie l'affaire, seul ou en délibéré avec d'autres magistrats selon la nature de l'affaire et celle de la juridiction saisie (les audiences civiles des TGI et les audiences d’assises périodiques généralement).

Au ministère public (appelé aussi parquet), les magistrats (procureurs et substituts) étudient les plaintes dans leur bureau, échangent avec les enquêteurs, rédigent des réquisitoires. Pour eux aussi l'audience n'est qu'une partie de leur activité. L'essentiel du travail est réalisé loin des regards du public. D'où, sans doute, de nombreuses fausses idées sur l'activité des magistrats.

Le débat autour de la rémunération des magistrats est délicat. Cette rémunération va d'environ 500 mille francs cfa en début de carrière à 800 mille francs après 25 années d'ancienneté, pour monter jusque un million et plus pour les postes en haut de la hiérarchie.

Certains soulignent la relativement faible rémunération, surtout en début de carrière, au regard de la longueur des études, du niveau du concours d'entrée, et des responsabilités exercées. De telles remarques sont compréhensibles, surtout pour ce qui concerne les rémunérations en début de carrière alors que dès sa prise de fonction le nouveau magistrat exerce pleinement toutes ses responsabilités et rend des décisions qui, pour les justiciables, sont aussi importantes, si ce n'est plus, que celles de la cour de cassation.

D'autres font remarquer que par comparaison avec le salaire moyen des nigériens, les magistrats n'ont pas à se plaindre, d'autant plus qu'ils bénéficient d'une sécurité de l'emploi qui a sa propre valeur.

Certains, enfin, font valoir non sans quelques raisons que ce n'est pas forcément une mauvaise chose que ceux qui sont plus attirés par l'argent que par l'intérêt pour un métier, le sens du service public, et l'état d'esprit qui doit en découler, préfèrent aller voir ailleurs.

Il n'empêche que le métier de juge est un métier exceptionnel. Etre juge c'est tous les jours intervenir dans la vie de ses concitoyens, pour régler les conflits qui les opposent, et cela dans tous les domaines : civil, social, familial, rural, pénal etc.

C'est apporter des solutions à des conflits parfois vifs et par voie de conséquence réduire les tensions, c'est rétablir des équilibres quand l'un s'est positionné au détriment de l'autre, c'est mettre fin à toutes sortes d'injustices dans tous les domaines de la vie, c'est veiller au respect des droits de chacun, c'est protéger les uns contre les agressions des autres, c'est accompagner et aider des personnes en difficulté, c'est analyser et faire évoluer le droit dans un environnement social, juridique et humain en constante évolution.

Etre juge, c'est accueillir, c'est permettre aux personnes concernées de s'exprimer, c'est écouter, s'interroger en permanence, douter souvent, tenter de comprendre toujours, essayer de faire la part des choses entre la sincérité, l'erreur et le mensonge. C'est découvrir chaque jour toutes les facettes, parfois surprenantes, quelques fois stupéfiantes, de la nature humaine.

C'est aussi et surtout, pour les juges du siège, alors que chacun, particulier ou professionnel, vient proposer une solution, prendre la décision finale (Un des pouvoirs qui le distingue du magistrat du parquet qui lui ne rend pas de décision au fond).

Mais cela n'est pas tout. Etre juge offre d'autres avantages qui se surajoutent à ceux qui viennent d'être mentionnés.

Les juges ont la possibilité au cours de leur carrière d'exercer dans plusieurs juridictions et donc dans plusieurs régions du Niger. Même si cela génère parfois quelques difficultés, notamment pour les enfants ou quand les conjoints exercent une profession libérale, cette possibilité de découvrir plusieurs fois de suite un nouvel environnement, de nouveaux collègues et interlocuteurs, de nouvelles pratiques, de nouvelles problématiques, apporte au juge un enrichissement professionnel et personnel particulièrement bénéfique.

Le changement de région s'accompagne souvent d'un changement de fonction. Par exemple le juge des enfants devient juge aux affaires familiale, civiles et coutumières ou substitut du procureur. Le juge d'instruction devient président de tribunal. Le juge d'instance devient juge au tribunal, le juge des mineurs devient juge d’instruction. Et les fonctions changent encore quand le magistrat passe du tribunal de grande instance à la cour d'appel. Cela permet d'avoir une vision transversale des problématiques de justice, bien au-delà du domaine de compétence de la première fonction exercée. C'est également un très fort enrichissement professionnel.

Le magistrat du siège n'a pas de hiérarchie fonctionnellement parlant. Même si dans toute juridiction il y a besoin d'un président en charge de l'organisation et du contrôle du bon fonctionnement des services, au moment de traiter un dossier et de prendre une décision le juge du siège ne reçoit de consignes de personnes et sa liberté est en pratique véritablement totale. Les quelques dossiers politiques surmédiatisés ne doivent pas tromper. Ils ne sont en rien le reflet de l'activité quotidienne des 360 magistrats nigériens.

Etre magistrat ce n'est pas seulement une profession. C'est aussi un état d'esprit et un engagement.

C'est un métier difficile, d'une part à cause du manque de moyens au sein de l'institution judiciaire, manque qui empêche de produire des prestations de qualité maximale, d'autre part à cause de l'ampleur des responsabilités qui impose de s'interroger en permanence sur ce que l'on fait et sur ce que l'on décide.

Mais tout ceci rend le métier de magistrat très exceptionnel. Cela mérite quelques efforts avant et au moment de passer le concours d'entrée. Pour ceux qui ont réussi, la récompense qui suit va bien au delà des espérances.

M. AMADOU ADAMOU Bachir

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