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Les illusions perdues de nos guerres irrégulières par Marc Eichinger

Publié le mardi 2 juin 2020  |  lévènementniger
Mali/Minusma
© Autre presse par DR
Mali/Minusma : une patrouille des casques bleus nigériens repousse une attaque complexe à Ménaka
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« II est impensable de mettre des soldats en danger dans l’espoir hypothétique de sauver d’autres personnes. (…) Ils n’ont pas vocation à se jeter dans la gueule du loup. » C’est ainsi que le général Bruno Le Ray justifie l’inaction des militaires présents au Bataclan. Ils n’ont pas assisté les policiers de la BAC (Brigade Anti Criminalité) qui sont allés seuls sous le feu des kalachnikovs.

La France a beaucoup de généraux mais elle n’aura jamais qu’un Général. Que nos pères doivent se retourner dans leur tombe quand un navire de croisière le Costa Deliziosa se voit refuser de débarquer plus de 400 Français à Marseille sous prétexte que la destination finale c’est l’Italie, pays le plus à risque en Europe en ce temps de pandémie.

Quel naufrage civique nous impose un gouvernement paniqué qui nous explique ad nauseam que ce n’est pas la girouette qui tourne, mais le vent qui change de sens pour justifier son incurie. Presque aucun autre pays européen n’a demandé à ses citoyens de remplir des autorisations de sortie. Nous n’avons plus que des gens qui rêvent d’interdire, de contrôler les accès, le mode de vie. Le Covid a permis au système hospitalier d’avoir gain de cause dans son combat budgétaire, il aura fallu ce drame pour qu’on l’écoute enfin.

Comment financer notre reconstruction post Covid sans hypothéquer davantage l’avenir de nos enfants ?

Dans un rapport qui a particulièrement marqué les esprits, le général Flynn, responsable du renseignement américain, précisait en 2010 : « Huit ans après le début de la guerre en Afghanistan, la communauté du renseignement américain n’est que marginalement pertinente pour la stratégie globale. Ayant concentré l’écrasante majorité de ses efforts de collecte et de son cerveau analytique sur les groupes insurgés, le vaste appareil de renseignement est incapable de répondre aux questions fondamentales sur l’environnement dans lequel les forces américaines et alliées opèrent et sur les personnes qu’elles cherchent à convaincre ».

Dix ans plus tard, l’échec est consommé. Autant que les deux trillions de dollars dépensés en Afghanistan par les contribuables américains. La source de cet échec n’est pas seulement militaire, mais d’abord et avant tout à rechercher dans la corruption qui sévit dans ce pays. Le même constat pourrait être fait pour expliquer la situation en Irak, une zone que je connais bien pour y avoir traqué les détournements des fonds de la reconstruction.

La France peut-elle éviter de commettre la même erreur dans le Sahel ? Peut-on arrêter une opération qui ne soutient que des kleptocrates ?

En juillet 2014, l’opération « Serval », légitime face à la détresse de la population malienne face à l’avancée des groupes terroriste islamistes, cédait la place à « Barkhane » pour sécuriser les pays du Sahel. Barkhane, c’est ainsi que se nomment les dunes de sable formées par le vent du désert. Six ans plus tard, malgré les aménagements, les renforcements, les opérations coup de poing et plus de trois milliards d’euros dépensés, le général Lecointre ne voit toujours que du sable. L’activité terroriste ne baisse pas d’intensité et continue de frapper régulièrement les pays de la zone.

Après plusieurs semaines d’informations dévoilées par la presse du Niger sur la corruption au plus haut niveau de l’État, le procureur général de Niamey s’apprête à instruire 177 dossiers de détournement de fonds du budget de la défense nigérien qui ont eu lieu pendant trois ans, de 2016 à 2019. L’ancien ministre de la Défense Kalia Moutari et plusieurs membres du gouvernement du président Issoufou sont soupçonnés d’avoir signé des contrats bidon ou surfacturés à hauteur de 700 millions d’euros. Les noms d’officiers de haut rang de l’armée nigérienne sont également mentionnés, ainsi que des acteurs du monde politique nigérien.

Ces derniers sont parfaitement connus des services de police et de renseignement français. Petit Boubé, alias Aboubacar Hima, alias Style Féroce, possède un palais dont les photos révélées par Mondafrique ont valu au reporter une sérieuse menace de mort. La débauche de colonnades, de luxe, de marbre laisse rêveur quand on connaît les conditions de vie de la population nigérienne qui compose avec les coupures d’eau et d’électricité.

J’ai travaillé sept ans au Niger, de 2013 à janvier 2020. J’ai vu ce pays, déjà l’un des plus pauvres de la planète, s’enfoncer chaque jour un peu plus dans la pauvreté, affrontant la faim et le chômage. J’ai pu constater la corruption exponentielle, les fonds de projets d’infrastructure détournés. Autant de phénomènes qui permettent à l’islamisme intégriste et au terrorisme de voir leurs actions monter en flèche.

Le Niger a une population qui augmente de presque un million d’habitants par an, alors qu’elle dépend du Programme Alimentaire Mondial. Les écoles coraniques sont largement plus nombreuses que les écoles d’enseignement laïque. La faim, la souffrance, la vie avec un dollar par jour, qu’il faut mendier, sont le quotidien de la majorité de Nigériens qui comprennent ce qui se passe autour d’eux.

Peut-on qualifier de terroriste celui qui refuse une vie de misère pour se révolter contre des kleptocrates au pouvoir ? Comment lui refuser une raison et une chance de mourir ? Quand un homme vaut moins qu’un chien, peut-on lui reprocher de vouloir mordre ?

Détourner les fonds de la Défense du pays le plus pauvre du monde assène une double punition. Non seulement cet argent ne sert pas à nourrir un ventre vide, mais il ne permet pas aux militaires nigériens d’assurer le minimum de sécurité auquel tout le monde aspire.

Depuis plusieurs années, le Parquet national financier a pu voir comment l’argent d’Areva a été détourné au Niger. Bien sûr, le dossier de l’« uraniumgate », une fausse opération de trading d’uranium, montre que d’anciens de la DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure) ont été à la manœuvre. Mais, il y a aussi l’argent des projets d’infrastructures promises en 2014, comme un immeuble à 10 millions d’euros à Niamey qui n’a jamais été terminé et qui a vu sur les « rails Bolloré ». Des rails en forme de cicatrice sur le visage de la capitale et sur lesquels aucun train n’a jamais roulé. Et que dire de l’argent versé pour reconstruire la « route de l’uranium »…

Localement, l’ambassade de France accueille « les attachés culturels » de la DGSE, mais aussi les gendarmes et autres militaires de la DRSD (Direction du renseignement et de la sécurité de la défense, des officiers de liaison de la force « Barkhane ». L’État français avait tous les moyens sur place pour avoir connaissance de ces détournements et y mettre fin. Pourtant, personne n’a empêché que les moyens nécessaires aux forces armées nigériennes ne disparaissent dans des paradis offshore.

Personne n’a rien vu, vraiment ? Personne ne s’est interrogé sur la vente par la Russie d’hélicoptères Mi-171 Sh très largement au-dessus du prix catalogue ? Aucun rapport n’est remonté pour atterrir sur le bureau de Florence Parly, la ministre de la Défense ?

En laissant la corruption gangrener les États du Sahel, la France commet une faute irréparable. Nous en paierons un double prix : d’autres morts parmi nos soldats et ceux de nos alliés, une inflation de la facture pour le contribuable français. Est-il nécessaire d’enfoncer le clou dans le cercueil en rappelant que le seul opposant au président Ibrahim Boubacar Keïta, dit « IBK » a été kidnappé au Mali le jour des dernières élections ? Ce même Mali qui a une frontière avec la République de Guinée dirigée par le « Professeur Alpha Condé », 82 ans qui a fait donner la garde présidentielle contre la population pour s’assurer un troisième mandat. Dans les rues de Conakry, on le voit déambuler comme un pantin pathétique en assurant la population que boire de l’eau chaude et mettre de la pommade mentholée dans le nez protège du Covid.

Notre chef d’état-major le général Lecointre porte le même uniforme que le général Bruno Le Ray du Bataclan, et vraisemblablement les mêmes médailles. Il ne met pas nos soldats dans la gueule du loup, simplement dans une impasse. Nous avons notre pays à reconstruire, nos emplois à sauver, nous n’avons plus d’argent pour soutenir les kleptocrates et la Francafrique des voyous.

Cette Francafrique d’avocats véreux, d’anciens diplomates, de sans scrupule, provoque des conflits régionaux. Pour prendre à l’autre, il suffit de donner une petite enveloppe offshore et de partager le butin. Ils accumulent comme les Cricetomys, ces gros rats africains qui ramassent n’importe quoi dans leur terrier juste par plaisir. La population se révolte, elle mange ces rats, et nous obtenons une guerre irrégulière.

Regardez la guerre en face ! Vous n’avez plus sur notre planète que des guerres entre une coalition d’armées de métier institutionnelles contre des civils. Demain ces armées seront remplacées par des soldats de fortune. Pas de prime OPEX, pas de cérémonie, pas de retraite, des produits consommables, on utilise et on jette. Dans le nord du Nigeria, un contrat de trois mois pour 90 hommes à 400 dollars par jour et du matériel d’occasion fournit par Excalibur19 a permis de réduire largement le territoire des djihadistes de Boko Haram. Mais la pauvreté a repris le dessus. Les guerres irrégulières sont des batailles contre la famine, la pauvreté, l’illettrisme. Un sac de riz et le recrutement peut commencer.

Plus besoin d’aventures, d’attitudes chevaleresques, de courage pour les vraies armées modernes. Les films de guerre de demain remplacent la sentinelle par une caméra thermique à détecteur de mouvement qui déclenche une alarme et un tir automatique. Le code d’honneur est remplacé par des lignes de code. Tout est devenu drone, les chars, les avions, les sous-marins, l’intelligence artificielle n’a pas de béret sur la tête. Cette armée-là vit dans des conteneurs climatisés bien loin du théâtre d’opération.
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