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Discours prononcé par M. Diori Hamani, devant l’Assemblée Nationale présidée par M. Boubou Hama, le jeudi 18 décembre 1958, peu avant la proclamation solennelle de la République du Niger : ‘’Si nous sommes séparés les uns des autres par des nuances politiques, un dénominateur commun nous unit tous : c’est l’amour que nous portons à ce pays, à ses populations et au développement heureux de notre Territoire’’, déclarait le Président Diori Hamani

Publié le lundi 21 decembre 2020  |  Le Sahel
Diori
© Autre presse par DR
Diori Hamani
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Le jeudi 18 décembre 1958, l’Assemblée Nationale, en session extraordinaire, a écouté le discours prononcé par le Président Diori Hamani consacrant ainsi la naissance de la République du Niger. Ce discours hautement historique retrace l’appartenance du Niger à la Communauté franco-africaine avec son territoire bien délimité. Nous vous proposons ci-dessous, l’intégralité du discours prononcé par le Président Diori Hamani.

“Monsieur le président,

Messieurs les conseillers,

Deux fois déjà, le 28 septembre 1958 et le 14 décembre de ce mois, les populations du Niger, par leur vote, ont exprimé l’orientation de la politique qu’elles voudraient voir suivre dans l’ensemble du Territoire. L’attachement profond à la France et à la Communauté franco-africaine, quel magnifique hommage à la mission accomplie dans ce pays depuis soixante ans par tous ceux qui, explorateurs, bâtisseurs, pacificateurs, militaires, fonctionnaires de tous grades, missionnaires, ont fait que les enfants de ce pays veulent témoigner toute leur gratitude à l’œuvre réalisée dans tous les domaines! C’est le meilleur hommage que l’on puisse rendre à un pays colonisateur, à la France toujours égale à elle-même, dans tous les pays où flotte son drapeau.

Pour nous, la Métropole restera toujours la France de la révolution de 1789, la France des Droits de l’Homme et du Citoyen, la France de 1848, la France de la Conférence de Brazzaville, la France de la Constitution de 1946, la France de la Constitution de 1958 dont le libéralisme, sous l’impulsion du Général De Gaulle, permet aux Territoires africains toutes les perspectives d’émancipation. Ces six décades de présence française se traduisent, au Niger, par la lutte contre les endémies, la lutte contre l’analphabétisme, la lutte contre les épizooties de toutes sortes. Les longues étapes de l’évolution africaine, jalonnées par Brazzaville, 1946, la Loi-Cadre, ont abouti à la Constitution de 1958.

Aujourd’hui, en l’espace de soixante ans, les enfants de ceux qui, les armes à la main, s’opposaient parfois à la pénétration française, sont appelés à diriger les affaires de leur pays. L’ensemble des populations du Niger a voulu une politique de sincérité et de collaboration avec la Métropole française. La liste d’Union n’a pas d’autre objectif que de réaliser cette politique cohérente que veut l’immense majorité de nos populations, politique qui va dans le sens de l’histoire, dans la marche sûre de l’humanité vers des destinées meilleures.

Les perspectives d’avenir, depuis le 28 septembre, sont plus optimistes. Il nous appartient, à l’heure présente, de développer plus avant notre plate-forme politique du plus grand rassemblement de toutes les bonnes volontés favorables à l’édification d’une Communauté durable, et cela doit rejoindre l’orientation de la politique générale dans le monde. Nous sommes sûrs que nos compatriotes, qui constituent aujourd’hui l’opposition, s’associeront à nous dans un travail fructueux que souhaitent les masses laborieuses de nos campagnes et de nos villes. Si nous sommes séparés les uns des autres par des nuances politiques, un dénominateur commun nous unit tous: c’est l’amour que nous portons à ce pays, à ses populations et au développement heureux de notre Territoire.

Nous sommes convaincus que lorsque l’atmosphère de la campagne électorale aura été oubliée, il s’établira entre nous une volonté de collaboration sincère qui aboutira à cette stabilité politique indispensable pour une œuvre constructive durable, au profit de l’immense majorité des populations de ce pays. Nous en sommes d’autant plus persuadés que le statut que nous allons choisir, en accordant l’autonomie totale, nous met ainsi à l’abri de l’intrusion des partis de la Métropole ou des syndicats qui, par leurs luttes, ont parfois contribué à creuser un fossé artificiel entre des hommes animés d’une même volonté de bâtir. Si nos amis de l’opposition veulent sincèrement se rallier à la politique de la Communauté franco-africaine, aucune possibilité de division ne régnera désormais dans ce territoire. La tâche à accomplir est encore très importante.

Certes, les réalisations sont très belles dans ce pays depuis plus de soixante ans, mais n’oublions pas qu’en ce monde moderne, où l’évolution suit l’accélération de l’histoire, l’élan d’émancipation s’est emparé également du Niger. Deux courants traversent aujourd’hui le monde moderne. Le premier, qui nous touche de très près, c’est cette volonté irrésistible de tous les pays sous-développés, autrefois colonisés, d’évoluer vers l’indépendance totale.

Le deuxième courant se trouve au contraire dans les pays développés de l’Europe et de l’Amérique, lesquels s’élèvent vers les grands Ensembles. Si bien que les pays anciens recherchent à se regrouper pour devenir plus forts, et ce, en se conformant au sens de l’histoire. Nous pensons que la véritable indépendance est celle qui libère, qui élève son niveau de vie, permet à sa personnalité de s’affirmer, respecte la liberté à la fois de l’individu et des Groupements.

Pour aller dans le sens de l’histoire des pays qui, depuis plusieurs centaines d’années, ont réalisé le stade de Nation, l’ont dépassé, ont atteint la conception de grands Ensembles, nous pensons qu’il nous faut également évoluer dans le sens de ces grands Ensembles économiques et politiques. Ce sont les raisons fondamentales de notre choix de la Communauté franco-africaine. Ce choix est conforme à la fois à l’intérêt bien compris des populations africaines, et va également dans le sens de la grandeur de la France Métropolitaine.

D’un côté, une Métropole française disposant de techniciens, de capitaux importants, et dont le génie créateur a rayonné à travers l’Humanité ; de l’autre côté, une Afrique jeune, forte numériquement de ses populations, forte également de la richesse de son sol et de son sous-sol. C’est la rencontre de ces deux Forces de la Métropole et de l’Afrique, fécondée dans un ensemble, qui doit réaliser, nous en sommes convaincus, dans les années à venir, la prospérité commune à la Métropole et aux Etats africains.

Dans une perspective plus lointaine d’ailleurs, nous savons que la Métropole elle-même, malgré ses grandes possibilités, ne pourra pas toute seule parvenir à faire fructifier toutes les immenses richesses, encore insoupçonnées, de l’Afrique noire, mais l’idée heureuse de la Communauté européenne viendra également rajouter à l’effort déjà accompli par la Métropole pour le développement de l’Afrique. Sur le plan politique, depuis la Constitution du 5 octobre, nous pouvons affirmer que tous les Territoires, qui ont choisi la Communauté, disposent des attributs de l’Indépendance. Ainsi donc, nous croyons que notre position de synthèse, tout en donnant satisfaction au besoin d’indépendance qui s’est emparé des peuples autrefois colonisés, des peuples des pays sous-développés, rejoint l’évolution mondiale des pays développés, c’est-à-dire l’évolution vers les grands ensembles économiques, politiques et culturels. C’est donc en partant de ces données fondamentales qu’il faut établir une politique au Niger, politique économique, politique sociale, et – à partir des données essentielles – harmoniser le développement de ce territoire avec l’évolution économique des territoires qui l’entourent; nous pensons notamment à la Haute-Volta, à la Côte d’Ivoire, au Soudan et au Dahomey. Bien qu’un puissant courant économique existe à l’heure actuelle, entre le Niger et le Dahomey, des spécialistes des questions économiques pensent que le Niger gagne à renforcer ce courant par des échanges orientés également vers la Haute-Volta, la Côte d’Ivoire, avec le port d’Abidjan, moderne, bien installé, et par lequel les bateaux gagnent deux jours sur le parcours Abidjan-Cotonou. Le grand handicap qui menace l’économie du Niger, c’est sa situation géographique, loin de la mer, et faisant frontière avec le Nigeria sur près de 2.000 km.

L’économie de tout le Niger est tournée vers le Nigeria britannique. Notre pays de la zone franc a son économie dominée par la zone sterling. Toute politique économique, qui ne tient pas compte de cette donnée essentielle, risque de perturber sérieusement l’avenir du Niger. C’est la raison pour laquelle, à côté de l’opération hirondelle, nous pensons que l’orientation du courant économique vers la Côte d’Ivoire pourrait contrebalancer à la fois le courant qui s’établit vers le Nigeria et l’autre courant, non moins important, qui draine une bonne partie des affaires Niger Ouest vers le Ghana.

Pendant longtemps encore, la richesse dominante de ce territoire sera l’agriculture; agriculture de subsistance et agriculture d’exportation, cette dernière étant dominée surtout par la commercialisation des arachides dont le tonnage s’accroît d’année en année. A côté de la richesse que représente cette agriculture, il reste l’immense cheptel qui couvre tout le Niger. Un grand débouché va s’ouvrir dans ce territoire avec l’organisation du marché de la viande qui intéresse déjà, non seulement les pays côtiers, mais encore certains pays d’Europe. A l’instar de ce qui s’est passé dans les régions du Nigeria du Nord, l’organisation du commerce de la viande peut être très bénéfique pour ce pays, mais cela suppose l’installation de chambres frigorifiques, l’exportation de la viande par avions-cargos, ou alors, dans une perspective plus lointaine, la création de conserveries de viande qui seront exportées en Europe.

Dans le même ordre d’idées, les industries animales découlant du commerce de la viande: l’industrie des cuirs et peaux, le tannage, sont autant de sources de richesses qu’il appartient de développer dans ce pays.

Pendant longtemps encore, le sous-sol restera la grande inconnue. Certes, nous faisons partie de l’OCRS, mais les perspectives minières ont été surtout heureuses dans la zone algérienne. La zone du Sahara, qui borde notre territoire, peut révéler certainement, dans un avenir prochain, d’autres ressources.

Pour le moment, en dehors des salines de Bilma et dans certaines régions du territoire, les prospections restent insuffisantes. Un autre aspect de la politique dans ce Territoire a trait à la poussée démographique. Le Niger est un pays où la population s’accroît dans des proportions assez importantes, puisque le chiffre atteint est de 2,5%.

La situation à l’intérieur des terres, le manque d’eau fait du problème de l’hydraulique pastorale et de l’hydraulique humaine, un problème encore plus important et plus urgent à résoudre que celui de la scolarisation, domaine dans lequel le Niger reste le pays le plus en retard avec 4 % d’enfants scolarisés, chiffre le plus faible de tous les Territoires africains de l’Ouest.

Dans ce domaine également, une tâche sérieuse doit être accomplie. Et ici, je ne vous cache pas que le déséquilibre qui a été marqué entre la formation des jeunes gens et celle des jeunes filles est à la base de ce grand retard dans la scolarisation.

Aussi longtemps que l’éducation des femmes de ce territoire n’aura pas rattrapé celle des hommes, aucun élan ne sera réalisé dans la lutte contre l’analphabétisme. C’est par l’évolution de la femme que l’on fait évoluer tout un pays. Cela me permet d’aborder maintenant un autre chapitre : l’évolution ne doit pas se retourner forcément contre les traditions de ce pays. Notre Société nigérienne est fière de ses traditions. Ici, la chefferie traditionnelle fait partie intégrante de la société africaine, au même titre que le baptême, le mariage ou la cérémonie d’imposition du nom. Les masses ont condamné les exactions, mais jamais la chefferie en tant qu’institution: chefferie de province, de canton, de groupement, de tribu, de village, de quartier… La Chefferie traditionnelle évolue; elle a évolué, et elle évoluera pour s’inscrire dans le grand courant émancipateur qui s’est emparé de l’Afrique nouvelle. Notre rôle est de l’aider à suivre ce courant progressif. C’est l’intérêt de la chefferie, c’est notre intérêt à tous de voir des chefs participer à ce grand courant émancipateur. Pendant la campagne électorale, au sein de l’Assemblée comme dans le gouvernement, nous avons voulu reconstituer le visage de ce Territoire, dans lequel collaborent, côte à côte, des hommes de toutes conditions et des représentants de toutes les couches sociales, décidés à lier le sort de leur pays à celui de la France dans une grande Communauté durable. Monsieur le président, Messieurs les conseillers, par votre vote de tout à l’heure, vous avez voulu – comme les populations – donner au gouvernement, constitué après le Référendum du 28 septembre, le sens d’une politique d’amitié dans la fraternité. Le gouvernement voudrait être digne de cette confiance, et nous ferons en sorte que le Niger devienne un Etat libre et indépendant dans l’amitié avec la France.

Vive le Niger !

Vive la communauté Franco-Africaine
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