Deux morceaux de savon, de l’eau de javel et un ‘’petit cadeau’’ en numéraire pour les filles de Salle. C’est ce que doit apporter chaque femme qui part pour un accouchement dans nos maternités notamment publiques. Légale ou illégale, normale ou illégitime, cette pratique est bien connue des ménages. Pourtant le Niger a décrété depuis plus d’une décennie la gratuité des soins pour les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans. Cette pratique qui s’apparente à de la corruption dans le secteur de la santé cause beaucoup de torts surtout en milieu rural où les revenus des ménages sont très faibles. Et malheureusement, cette pratique banale cache d’autres comportements plus préjudiciables à l’équité dans l’accès aux soins : trafic d’influence, racket déguisé, favoritisme, mauvais accueil et mépris pour les plus démunis etc. Dans la capitale Niamey comme dans les centres de santé en région, les usagers s’en accommodent à contre cœur. Cas de Dosso.
Les agents de santé que nous avons rencontrés refusent d’admettre l’évidence. Cependant, cela ne change en rien la réalité.Une sage-femme à la maternité du quartier Lacouroussou de Dosso nie catégoriquement l’existence de cette pratique. Par contre, une vendeuse en pharmacie donne une autre version sur la pratique. Quoiqu’il en soit, les témoignages des usagers concordent.
Assise sur un banc et pensive, une vieille dame (ayant voulu garder l’anonymat) confie qu’elle est dans ce centre depuis la veille avec une jeune future maman en travail. La quinquagénaire ne cache pas son mécontentement et sa frustration quant aux pratiques qui se font dans le centre. En effet, a-t- elle expliqué, la jeune femme qu’elle a accompagnée est un cas social dont le mari a beaucoup de mal à joindre les deux bouts. «Ainsi, connaissant la coutume des deux morceaux de savons, le mari de la jeune femme m’a remis 5.000 FCFA. J’ai payé 5 morceaux de savons et de l’eau de javel afin de remplir les conditions exigées dans le centre», explique-t-elle. Ayant passé la nuit là-bas, elle a affirmé avoir remis les deux morceaux à la sage-femme et garde les 3 autres dans un sachet qui contenait déjà quelques morceaux de tissus qui devaient servir à couvrir le bébé et un chemisier qui a été offert à la future maman par une bonne volonté.
Mais, le sachet avec son contenu a disparu de la salle. «Ce qui m’a beaucoup choqué c’est le fait qu’en plus des autres morceaux de savon, les morceaux de tissus ainsi que le chemisier ont été pris alors qu’auparavant nous avons donné les deux morceaux de savon exigés. Cette femme, son mari n’a rien; alors comment allons-nous faire ?», s’interroge-t-elle, ajoutant que malgré le fait que ces morceaux de savons aient été remis, si par malchance, le mari ne glisse pas de ‘’petit cadeau’’ après l’accouchement, au prochain retour sa femme en payera les frais, autrement dit elle recevra un mauvais accueil. «Plus tu as la main large, mieux on s’occupe de toi, c’est ça la réalité», confie-t- elle avec un sourire triste.
Tout comme cette dame, beaucoup de femmes ont été confrontées à ce problème. Une autre dame rencontrée à la sortie du centre, affirme qu’elle a vécu pire dans une maternité de la place où l’accueil laisse beaucoup à désirer. La première phrase sortie de sa bouche est «Di ne sin da norou, ni sin da mehsanni» autrement dit «si tu n’as pas d’argent, tu n’as pas ton mot à dire». Elle témoigne que cette pratique de morceaux de savon et ‘’petit cadeau’’ est devenue une habitude au point où quand on ne l’a pas, on se force de l’avoir de peur de faire face aux ‘’représailles’’ des agents de santé ou des filles de salle.
En outre, ce qui se passe dans les villages est encore plus choquant. Maimouna native de Fada Zeno et vivant à Gnouga a confié que pour un accouchement au CSI de son village, il faut en plus des deux morceaux de savon payer 2500FCFA et aussi apporter deux bidons d’eau qui servira soit disant à laver la salle d’accouchement. Ainsi, chaque femme doit apporter cela au risque de subir le courroux du médecin qui, n’hésiterait pas à se rendre chez les usagers pour réclamer ‘’son dû’’ s’est-elle indignée. «On est obligé de trouver l’argent avant l’accouchement sinon on sera négligé et ignoré. On peut même accoucher dehors, cela ne leur dira rien», a confié Maimouna.
A l’hôpital de Dosso également cette pratique se fait, mais sous une autre forme, selon les explications d’une vieille dame qu’on a surnommée ‘’Ina’’. Cette femme, visiblement triste, vient juste de l’hôpital où elle a perdu la jeune maman qui n’avait pas encore fini sa quarantaine. «On nous a prescrit une ordonnance comportant des médicaments couteux que le mari, malgré ces faibles moyens, a payé.Cet argent aurait servi à payer du lait au nourrisson», s’est-elle plainte. Auparavant, elle a soutenu que rien que le lit d’hospitalisation lui est pratiquement ‘’vendu’’. «À cela s’ajoute le fait que pour voir un médecin, il faut glisser des ‘’dessous de table’’ si on veut être vite prise en charge», déplore-t-elle.
Force est de constater que ces pratiques gangrènent de plus en plus le secteur de la santé. Elles ne sont pas sans conséquences. En effet, ce sont ces pratiques qui expliquent la désertion des centres surtout en milieu rural à cause de ces coûts illégaux. Elles favorisent aussi l’accouchement à domicile sans assistance médicale engendrant ainsi souvent des complications et même la mortalité infantile.
Les agents de santé reflétaient autrefois une image positive qui évoque la
compassion, mais aujourd’hui,ils sont perçus comme des ‘’croque mort’’, des ‘’sans cœur ‘’ du fait du comportement de certains d’entre eux. Les usagers se plaignent de plus en plus des pratiques corruptives déguisées qui ont cours dans les centres de santé. Face à cette situation plus qu’agaçante qui a des répercussions sur les prestations de soin, les usagers espèrent que des décisions idoines seront prises par l’Autorité compétente qu’est la HALICIA afin d’éradiquer ces pratiques dans les centres de santé censés être des havres de secours et de compassion mais hélas transformés par certains agents en véritables centres commerciaux.
NDLR : Cet article a été réalisé dans le cadre d’une résidence d’écriture organisée par la HALCIA sur le journalisme d’investigation