Située dans le nord-ouest du Niger à la frontière avec le Mali et le Burkina, la région de Tillabéry est confrontée ces dernières années à une amplification des menaces sécuritaires, démographiques, climatiques et humanitaires. Des défis qui affectent négativement et considérablement les populations confrontées à une explosion des attaques armées et des conflits communautaires, le chômage des jeunes, le déplacement des populations et la détérioration de leurs conditions de vie. Pour appuyer les efforts des autorités, le Fonds des Nations Unies pour la Paix (United Nations Peace Building Fund, UNPBF), a financé la mise en œuvre d’un programme de stabilisation et de la consolidation de la paix dans la zone nord de Région. Le projet qui est mis en œuvre par l’UNICEF, le FNUAP et l’UNCHR, vise à renforcer l’inclusion des jeunes et des femmes dans les mécanismes de prévention des conflits à travers une approche multisectorielle avec comme objectif principal, le renforcement de la résilience des populations. Sur le terrain, les résultats sont assez satisfaisants comme nous avons pu le constater lors d’une visite de presse dans la zone en janvier dernier.
« J’ai 32 ans et j’étais conducteur de mototaxi avec quoi je gagnais ma vie et prenait en charge ma famille. Mais depuis que l’Etat a interdit la circulation des véhicules à deux roues, je n’ai plus aucune source de revenu. Ma femme avec qui j’ai un enfant m’a même quitté et franchement je peux vous le dire en toute sincérité, je suis tenté comme beaucoup de mes amis de rejoindre un des groupes armés qui opèrent dans la zone car on dit qu’on peut se faire beaucoup d’argent avec eux…». Ce témoignage émouvant mais tout aussi bouleversant est celui d’un des premiers interlocuteurs que nous avons rencontré à Téra, dans la région de Tillabéry, à quelques kilomètres de la frontière burkinabé et pas très loin de la zone des trois (3) frontières où opèrent depuis des années, plusieurs groupes terroristes. Depuis 2017, et pour faire face à la multiplication des attaques armées d’assaillants qui viennent le plus souvent du Mali voisin, le gouvernement a placé la zone sous état d’urgence avec l’interdiction de la circulation des engins à deux roues pourtant très prisés dans la zone au regard des services qu’ils offrent à la population.
Tillabéry, une zone instable confrontée à de multiples vulnérabilités
Pour mesurer l’ampleur du calvaire quotidien des populations de la zone nord de la Région de Tillabéry, il faut le vivre ne serait-ce que quelques jours. La région est, en effet, avec celle de Diffa, et dans une moindre mesure celle de Tahoua, l’une des plus affectées par les menaces sécuritaires que connait le Niger depuis quelques années. Un contexte qui a engendré plusieurs chocs qui sont venus s’ajouter aux défis multiples de développement dont fait face déjà le pays.
Le Niger possède, en effet, l’une des populations les plus dynamiques et les plus jeunes du monde. Le pays est affecté par des urgences chroniques, récurrentes et soudaines, qui sont aggravées par des vulnérabilités multidimensionnelles, des chocs climatiques et des déplacements de population en raison de l’insécurité née des opérations des groupes armés non étatiques dans les régions frontalières. Le taux de croissance démographique engendré par une forte fécondité qui est de 3,9% est le plus élevé du monde. La population est caractérisée par une forte proportion de jeunes avec deux nigériens sur trois qui sont des jeunes de moins de 25 ans (66% de la population) et 33% des nigériens sont des jeunes compris entre 15 et 35 ans.
Les jeunes désœuvrés et sans perspectives découvrent des groupes terroristes –MUJAO, AQMI, EIGS) comme un puissant modèle de valorisation individuel. Les principaux indicateurs portant sur les opportunités d’emploi décrivent une population peu occupée (41,6% de la population âgée de 15 à 64 ans est employée en 2008) et essentiellement tournée vers une économie de substance. Les taux de chômage relativement faibles (2,4% de la population active et 2,3% des 15-24 ans en 2008) ne reflètent que partiellement les difficultés rencontrées sur le marché du travail, caractérisé par le sous-emploi et le faible revenu.
Située dans le nord-ouest du Niger, dans la zone du Liptako-Gourma, à la frontière avec le Burkina et le Mali, la région de Tillabéri est l’une des régions les plus affectées par l’amplification des menaces sécuritaires du pays.
A coté de ces facteurs de vulnérabilité, s’ajoute une porosité des frontières qui expose toute la bande ouest aux attaques des groupes terroristes affiliées principalement à Al –Qaida et l’Etat islamique notamment la zone frontalière avec le Mali et le Burkina Faso. L’insécurité grandissante dans cette zone du sud communément appelée le Liptako-Gourma affecte directement les régions de Tahoua et de Tillabéry, au Niger.
La région de Tillabéry est devenue très instable en raison de nombreuses attaques meurtrières attribuées à des groupes jihadistes, visant régulièrement des positions de l’armée et des camps de refugiés. Selon l’analyse conjointe de risque de vulnérabilité et priorisation conduite par l’OCDE, il ressort que plus de 10.000 personnes déplacées de décembre 2017, et plus de 40.000 personnes dans 43 villages de la région pourraient être déplacées si l’insécurité se détériore davantage. Les raids fréquents et l’instabilité ont également mis à rude épreuve les opérations de secours, notamment dans le nord et l’est du Mali.
Dans ce contexte, le gouvernement du Niger met de plus en plus l’accent sur les approches multisectorielles, qui peuvent être utilisées pour faire face aux situations d’urgence récurrente en insistant sur la lutte contre les causes profondes, l’atténuation des risques et l’amélioration de la préparation. Il s’agit de viser à terme, le renforcement de la résilience de la population.
Implication des jeunes et des femmes pour la consolidation de la paix
Dans le cadre de l’appui aux efforts du gouvernement pour la stabilisation et la consolidation de la Paix dans la zone nord de Tillabéry, le Niger a obtenu un financement du 2.500.000.000 USD du Fonds des Nations Unies pour la consolidation de la Paix (UN Peace Building Fund, UNPBF) pour notamment renforcer l’inclusion des jeunes et des femmes dans les mécanismes de prévention et de gestion des conflits. Il s’agit plus spécifiquement de renforcer la résilience des populations à travers des mécanismes communautaires de résolution pacifique fonctionnels qui impliquent les jeunes, les femmes, les élus et les leaders, tout en offrant des opportunités d’insertion socioéconomique aux jeunes.
Le projet « Implication des jeunes et des femmes dans la résolution pacifique des conflits communautaires » intervient dans sept (7) communes de la zone nord de Tillabéry (Abala, Ayorou, Inates, Sanam, Tondikiwindi, Makalondi et Téra).
Le projet « Implication des jeunes et des femmes dans la résolution pacifique des conflits communautaires » intervient dans sept (7) communes de la zone nord de Tillabéry (Abala, Ayorou, Inates, Sanam, Tondikiwindi, Makalondi et Téra). D’une durée initiale de 18 mois, la mise en œuvre du projet a qui s’est étalée de janvier 2019 à décembre 2020 été prolongée de six (6) mois à cause des restrictions décidées par les autorités suite à l’apparition de la pandémie du Covid-19. Il est mis en œuvre à travers une approche multisectorielle et intégrée par trois (3) agences des Nations unies : l’UNICEF, l’UN HCR et l’UNFPA. L’UNICEF et le FNUAP ont ainsi apporté leur expertise technique dans la gestion et la résolution des conflits et leur expérience dans la mobilisation des autorités religieuses et traditionnelles pour la réalisation des droits des communautés. De son coté, l’UNCHR a apporté son expertise au niveau local au niveau du volet autonomisation entrepreunariale du projet.
Le projet a été mis en œuvre avec l’implication de partenaires clés notamment les ministères sectoriels et leurs démembrements au niveau régional et départemental et communal (Ministère de la Femme et de la Protection de l’Enfant, Ministère de la Jeunesse et des Sports, Ministère de l’Enseignement Professionnel et Technique…) et les autorités locales, coutumières et administratives. A cela s’ajoute des partenaires non gouvernementaux notamment l’ONG FAD pour le compte de l’UNICEF, ONG APPADN, ONG REPSFECO et FAD pour l’UNFPA et enfin, ADES pour le compte de l’UN HCR.
«Ce projet nous a été d’une grande utilité dans la gestion et la prévention des conflits. Avant ce projet, les jeunes et les populations de Téra vivaient dans la psychose et de la méfiance à cause de l’insécurité. Aujourd’hui, les activités du projet ont permis de créer un climat de confiance chez les populations et de les rassurer, de rapprocher les jeunes à travers des échanges interactifs sur la Collectivité puis les populations et les forces de défense et de sécurité (FDS) à travers les activités civilo-militaires ». M. Hamma Mamoudou, Maire de la Commune Urbaine de Téra.
Des résultats à fort impact sur le terrain
Les activités réalisées dans le cadre du projet « Implication des jeunes et des femmes dans la résolution pacifique des conflits communautaires dans la zone nord Tillabéry » sont de diverses natures et ont visé principalement l’amélioration de la résilience des populations à travers l’implication des jeunes et des femmes dans la promotion de la paix et de la cohésion sociale ainsi que de permettre à plus de 500 jeunes filles et garçons vulnérables de 15 à 24 ans et issus des zones à conflits à se prendre économiquement en charge.
Dialogue intergénérationnel à Abala.
Les interventions multisectorielles ont essentielles portées sur des activités à travers les « Makarantas » (écoles coraniques traditionnelles) ayant permis de toucher les maitres (les malam ou marabouts) et les élèves afin qu’ils réalisent très tôt le rôle positif dans le maintien de la paix dans leurs communautés ; le renforcement du leadership des jeunes en leu donnant les moyens de contribuer à la pérennisation ainsi qu’un travail technique fait avec et autour des mécanismes de prévention et de gestion de conflits pour leur standardisation et leur bon fonctionnement. Il s’est aussi des interventions qui ont visé à améliorer la contribution des jeunes (filles et garçons) dans la sensibilisation de leurs pairs sur la problématique de la circulation illicite des armes à travers les audiences publiques, les émissions radios et les thé-débats, et aussi la formation professionnelle des jeunes leur ouvrant la voie pour leur autonomisation économique.
Au regard de l’impact sur le terrain, les résultats sont satisfaisants comme nous l’avons pu le constater lors d’une mission sur le terrain et surtout comme en témoignent les principaux bénéficiaires ainsi que les autorités.
Makaranta à Tourikoukey dans la commune de Téra
Près de 1300 jeunes garçons et filles de 10-14 ans dans les écoles coraniques informelles (Makaranta), issus des zones à conflit ont reçu un renforcement de capacité sur les dangers de l’enrôlement dans les groupes djihadistes et la diffusion des idées positives sur la consolidation de la paix, le genre et droits humains. Ces Makarantas des 7 communes d’interventions du projet ont reçu des appuis en diverse nature et les maitres formés.
Emission radiophonique animée par des jeunes sur les ondes de la radio Liptako de Téra. 150 émissions radiophoniques contenant des messages de paix ont été formulées par des jeunes avec les animateurs et animatrices locaux et diffusées dans les différentes localités.
Melle Hindou Yacouba, 13 ans, conseillère junior à Abala : « Les formations m’ont permis de comprendre mon rôle et de le jouer au mieux dans la prévention et la gestion des conflits en tant que jeune».
Dans le cadre des activités, 630 jeunes de 15 à 24 ans sur différentes thématiques tels que la culture de la paix, les violences basées sur le genre (VBG), la gestion et la prévention des conflits, le Genre et les droits humains, la Citoyenneté, le plaidoyer et la communication, le leadership et la vie associative. Ces jeunes ont été transformés en agent vecteurs de changement porteur de message de paix avec comme mission de dissuader les autres jeunes à rejoindre les mouvements armés terroristes et à s’engager dans la contribution au maintien de la coexistence pacifique dans leurs localités. Et pour ce faire, plusieurs activités ont été menées notamment des séances de sensibilisation, des opérations de salubrité ou des matchs de football entre jeunes de différentes communes.
Des jeunes en pleine séance d’échanges et d’animation à Abala.
Quinze (15) espaces citoyens ont été redynamisés et équipés (panneau solaire, wifi, chaises, nattes, matériel de sonorisation) et sont tous fonctionnels et organisationnels dans les 7 communes d’interventions du Projet. Plus de cent (100) activités ont déjà été menées ou organisées dans ces espaces par ces jeunes et leur ainés, notamment des séances de sensibilisation, des dialogues intergénérationnels, des échanges entres filles et garçons ainsi que d’autres initiatives communautaires.
A Téra, par exemple, 90 jeunes ont été formés comme « ambassadeurs de paix ». « Ce sont eux qui véhiculaient les messagers de paix et de cohésion sociale au cours des audiences publiques, les débats radios et thé-débat, dans les fadas et autres espaces publics », nous a confié Massaoudou Mohamed, 23 ans), Maire junior de Téra et bénéficiaire du projet.
«Grace à ce projet, nous avons bénéficié d’une série de formations qui m’ont permis de comprendre que le changement social passe par une bonne communication car c’est elle qui fait passer le message. Aussi, j’ai particulièrement aimé la formation sur la prévention et la gestion des conflits parce qu’elle m’a permis d’être plus proche de nos communautés avec lesquelles nous discutons régulièrement des préoccupations qui les concernent ». Melle Latifa Oumarou, jeune bénéficiaire du Projet à Téra.
Aussi, toujours dans le cadre de la mise en œuvre du Projet financé par l’UNPBF, cent (100) thé-débats ont et audiences publiques ont été organisées dans les fadas et regroupements de jeunes autour de la problématique dans les localités cibles notamment sur les conséquences de la prolifération des armes, l’implication des jeunes dans les instances décisionnelles.
De jeunes apprenantes dans un centre de formation professionnelle.
500 jeunes filles et garçons (dont 30% de filles) issus des zones à conflits ont bénéficié d’une formation professionnelle qui leur permet de se prendre en charge.
En plus des « Makaranta », le Projet a consisté en la vulgarisation de l’argumentaire islamique sur la consolidation de la Paix.
Il faut noter qu’en plus de ces activités, les interventions du Projet financé par l’UNPBF a consisté en l’élaboration et à la validation d’une standardisation des mécanismes de prévention et de gestion des conflits ainsi que l’adoption et la vulgarisation par les mécanismes mis en place de sept (7) codes communautaires de prévention et de gestion des conflits. Aussi, une stratégie pour la Zone du Liptako-Gourma qui valorisé les spécificités communales sur la problématique de la circulation illicite des armes a été également élaborée et vulgarisée.
« Ce projet a été vraiment bénéfique pour la population et contribue aux efforts de paix des autorités nationales et locales pour la paix et le développement dans cette région très affectée par de multiples crises », témoignent M. Issa Modi, secrétaire général de la préfecture d’Abala et membre du Comité départemental de paix qui a mis l’accent sur la particularité du projet, « car en plus d’occuper les jeunes, ils ont été formés et responsabilisés ce qui a permis d’éveiller leur conscience citoyenne mais aussi d’offrir des opportunités à beaucoup d’entre eux». Un sentiment partagé par les leaders religieux et coutumiers de la zone du projet car quand ce qui fait l’unanimité dans ces zones, c’est que sans la paix, il n y a pas de développement et surtout que la paix n’a pas de prix.