(Niamey et les 2 jours) - Cette année 2021 marque le 10è anniversaire de la guerre du sahel. Ce conflit asymétrique oppose depuis une décennie, les États du Sahel à savoir le Burkina Faso, le Niger et le Mali à des groupes armés terroristes notamment l’État islamique au grand Sahara et des cellules d’Al-Qaeda. Épicentre de cette guerre, la zone des trois frontières est devenue le théâtre d’affrontements quotidiens dont les populations civiles sont des victimes collatérales. Dans un rapport paru ce 17 juin, le portail d’information humanitaire Reliefweb est revenu sur les schémas qui se dessinent dans chaque pays.
Niger : Un risque accru de guerre communale
Au Niger, la situation sécuritaire a connu une grave détérioration sur les 5 dernières années. Si le pays reste beaucoup moins envahi par les groupes djihadistes que ses voisins, il doit néanmoins faire face au groupe État Islamique et à Al-Qaeda dans les régions de Tillabéry et de Tahoua ainsi qu’à Boko Haram dans la région de Diffa. Région jusque-là épargnée, Maradi est devenue le théâtre d’activités de groupes armés spécialisés dans le vol de bétail et pourrait rapidement devenir un prochain front djihadiste.
L’année 2021 a été marquée par une augmentation des attaques dirigées contre les civils. Le bilan fait état de plus de 400 civils tués et de dizaines voire de centaines de milliers de déplacés. À l’origine de cette situation, une résistance de plus en plus forte des populations face au paiement de la Zakat, impôt islamique imposé par les djihadistes. Autre raison, la multiplication des groupes d’autodéfenses que les groupes terroristes perçoivent comme une défiance à leur autorité et qu’ils accusent de collaborer avec les forces de l’ordre. Ajoutées à tout ceci, les rivalités entre communautés Peuls, Touareg et Djerma conduisent souvent à des exactions communautaires dont profitent les insurgés islamistes. Par exemple, pour se défendre face aux incursions de djihadistes à majorité Peul, des anciens rebelles Touaregs et des tribus arabes ont créé une milice d’autodéfense à Inkotayan. En représailles, les terroristes du groupe État islamique ont commis quelques semaines plus tard, le massacre de 140 civils, principalement des Touaregs à Tillia.
Les troupes françaises se sont largement appuyées sur les milices d’autodéfense pour combattre les terroristes. Les résultats de cette stratégie se sont révélés désastreux et les groupes djihadistes en ont profité pour se renforcer en recrutant de nouveaux combattants dans les communautés se sentant marginalisées. Actuellement, des dizaines de milices d’autodéfense communautaire se sont formées pour contrer la montée en puissance des groupes djihadistes. Cette situation renforce la méfiance entre les communautés, Djerma, Peuls et Touaregs et la multiplication des violences font craindre le déclenchement d’une guerre communale.
Mali : Un conflit sur plusieurs fronts.
Comme son voisin burkinabè, le Mali est confronté à plusieurs foyers djihadistes et est engagé dans un processus de négociation avec les insurgés. Si les offensives de la force Barkhane et du G5 Sahel ont considérablement affaibli le groupe État islamique et les cellules d’Al-Qaeda, celles-ci continuent de mener une guerre sur plusieurs fronts contre les autorités. Les attaques contre les forces de l’ordre se sont généralisées dans les communautés frontalières et plusieurs localités continuent d’échapper au contrôle de l’État alors que cette guerre prend de plus en plus une dimension communautaire, de l’avis de spécialistes. Les communautés bambaras accusent les Peuls d’être des djihadistes et les affrontements entre les groupes d’autodéfense Dogon et les Peuls membres des cellules djihadistes ont augmenté.
Les fragiles accords de cessez-le-feu obtenus entre les milices ou entre l’État et les groupes djihadistes ne sont pas respectés dans de nombreux cas, du fait de l’un ou l’autre camp.
Le récent coup d’État plonge le Mali dans une nouvelle ère d’instabilité. De nombreux partenaires au développement ont annoncé une diminution ou un arrêt de l’aide au pays. La France pour sa part, a suspendu ses opérations militaires dans le pays. Dans les rues de Bamako, les manifestants scandent des slogans favorables à la Russie. Le pays de Vladimir Poutine pourrait bien devenir le prochain acteur majeur dans la crise sahélienne.
Burkina Faso : Entre négociations et fragiles cessez-le-feu
Contrairement au Niger, le Burkina a enregistré une baisse des décès de civils liés aux violences djihadistes sur les trois dernières années. Des campagnes militaires menées conjointement avec les soldats des pays voisins et des forces de l’opération Barkhane ont permis de réduire la capacité du groupe État islamique et des cellules d’Al-Qaeda dans le pays.
Parallèlement, le pays a initié des discussions avec les djihadistes. Ces pourparlers ont notamment pu aboutir à un cessez-le-feu dans la ville de Djibo où l’élection présidentielle a pu se tenir en 2020. En outre, le gouvernement a adopté une position ferme vis-à-vis des milices locales, du moins en apparence.
Les négociations n’ont toutefois pas abouti à des accords dans de nombreuses régions et les groupes djihadistes ont commencé à administrer les larges territoires qu’ils occupent en se substituant à l’État notamment dans la province de Soum, désertée par l’armée à l’issue d’une offensive djihadiste en 2019.
Les quelques accords obtenus ont volé en éclats en février 2021 lorsqu’une série d’attaques ont eu lieu entre les cellules d’Al-Qaeda et les combattants volontaires faisant resurgir les tensions entre communautés Peuls et Mossi. Dans de nombreuses localités comme Koumbri, les combattants volontaires encore appelés VDP composés essentiellement de jeunes issus des communautés sédentaires se sont attaqués à des éleveurs Peuls.
En riposte, Al-Qaeda composée essentiellement de Peuls, a attaqué la ville dont il est parvenu à prendre le contrôle en avril dernier. Cette situation a marqué la reprise des hostilités avec l’armée dans de nombreuses provinces du pays. Si les lignes de front bougent sans arrêt, le conflit au Burkina Faso demeure pour le moment sans issue. Récemment au cours d’une sortie médiatique suite à l’attaque de la ville de Solhan qui a fait au moins 160 morts, le ministre de la Défense Chérif Sy a déclaré qu’à part les combattants volontaires et les contres offensifs de l’armée, il n’avait aucun autre plan pour lutter contre le terrorisme.
Dès le début de l’insurrection djihadiste, la France, ancienne puissance coloniale de la région et la plupart des États du Nord, ont apporté une aide multiforme aux trois pays. Mais l’opération Barkhane dont le président français a récemment annoncé la fin, a été sévèrement critiquée pour ses résultats mitigés.
Les États-Unis, autre acteur majeur dans la région, possèdent des sites de lancement de drones de renseignement à Agadez et de drones armés à Dirkou. Toutes ces puissances étrangères travaillent en étroite collaboration avec les forces du G5 Sahel. Cette dernière, sous-financée, peine à remplir le rôle de super gendarme qui lui est dévolu.
Le bilan humanitaire de cette guerre est lourd. Plus de 30 millions de personnes auraient besoin d’une assistance d’urgence selon les estimations de l’ONU et l’arrivée de 60 000 mercenaires venus de Libye ne risque pas d’améliorer la situation.