On connaissait la réalisatrice nigérienne Aicha Macky à travers ses documentaires dans lesquels elle aborde des sujets tabous comme c’est le cas dans « savoir faire le lit » en 2013 où il est question des non-dits de l’éducation sexuelle dans sa société ; « l’arbre sans fruit » sorti en 2016 portant sur le délicat problème de l’infertilité dans les couples. Mais dans le documentaire Zinder son premier long métrage qui vient de sortir, la réalisatrice porte sa caméra sur un sujet un peu moins personnel, mais toujours en phase avec la tradition documentaire. Aicha Macky s’est efforcée dans ce film de montrer de l’intérieur la vie des «Palais», ces lieux de retrouvailles de jeunes, devenus des gangs tristement célèbres pour leurs violences. L’avant-première nationale de ce documentaire produit par Clara Vuillermoz ; Ousmane Samassekou& Éric Winker en coproduction avec Point du jour-les films du Balibari ; Tabous production ; Corso films, a eu lieu le 18 juin dernier au Centre International de Conférence Mahatma Gandhi de Niamey.
C’est en quelque sorte un choc qui est à l’origine du documentaire Zinder. Surprise, voire choquée de découvrir au hasard d’un voyage le tableau sombre à travers lequel un journal a présenté la jeunesse de Zinder en référence aux gangs du quartier Kara Kara, une image pour elle en déphasage de ce qu’est sa ville, Aicha Macky a cherché à comprendre et finalement à faire voir une réalité insoupçonnée pour les uns, préoccupante pour d’autres. Après un processus qui aura duré huit ans, la réalisatrice sert le long métrage « Zinder », du nom de la ville qui l’a vu naitre et grandir. Ce n’est pas à la découverte de la beauté de cette ville, qui fut la première capitale de la colonie du Niger jusqu’à son transfert à Niamey en 1926, que nous mène Aicha Macky. Il s’agit plutôt d’une immersion dans les «Palais», ces groupes de jeunes tristement célèbres pour leurs violences, de Kara Kara, un bidonville créé il y a une cinquantaine d’années à la périphérie de Zinder pour recaser des malades de la lèpre et devenu au fil du temps un quartier à part entière de la ville.
Immersion chez les «Yan Palais»
Un plan général où on aperçoit un enfant dont le regard suit un cerf-volant, à partir des hauteurs d’une colline qui surplombe les habitations, annonce le documentaire. Mais le calme de ce beau plan va vite contraster avec le fond musical et la scène qui suivent, avec l’apparition d’un jeune baraqué sur une moto pétaradante, brandissant un drapeau marqué de la croix gammée. Siniya ou Hitler ; Ramsès ; Bawo ; Tchikara ; Américain, sont entre autres les surnoms dont s’affublent les protagonistes du film, appelés «Yan Palais» ou «les enfants des palais», juste pour s’affirmer, terroriser les gens. Pourquoi ces jeunes se sont ainsi singularisés (radicalisés)?
Cette question que pose la voix off demeure tout au long du film. Pour Siniya, leur attitude s’explique par l’alphabétisme, le manque d’éducation, le désœuvrement, toutes choses qui les ont privés des chances d’être comme les autres. Le documentaire plonge le spectateur dans l’ambiance et les décors des «Palais», avec les parties de thé, de chicha et d’autres excitants ; d’exercices de musculation ou d’aguerrissement. Il y a aussi des détours au quartier Toudoun Jamous au cœur de Zinder, coin surtout connu pour ses bars et ses maisons closes.
Repenti et reconverti dans l’activité de taxi moto, Bawo confesse non sans regret ses forfaits. À ses heures perdues, il prête une oreille attentive aux prostituées victimes de violences. Repentis, également Siniya Hitler ; Ramsès un jeune dont l’aspect hermaphrodite en est une autre singularité, veulent aussi tourner le dos à leur passé, même si leur nouvelle activité, le trafic illégal et la vente du carburant avec tous les risques à braver, n’est pas des plus enviables. Malgré tout, ces jeunes se donnent la main pour matérialiser un projet d’entreprise de gardiennage, autour duquel Siniya veut fédérer ses camarades y compris ceux qui sont derrière les barreaux et qui espèrent rompre avec le cycle vicieux. Ce n’est pas que cela le documentaire Zinder; on y trouve des scènes de vie «ordinaire» : Ramsès qui reçoit la bénédiction de sa maman avant de prendre la route périlleuse pour le trafic du carburant ; Bawo le père de famille qui cause avec ses enfants de retour de l’école ou Siniya qui attend son premier enfant…
Une sonnette d’alarme
Œuvre cathartique ? Travail de dénonciation ? Sans faire oublier les souffrances des uns et sans occulter les rêves et espoirs des autres, Aicha Macky a su aborder un phénomène délicat. Par la façon de réaliser son film, ses choix techniques, sans glisser dans la stigmatisation et évitant d’offrir aux personnages l’occasion de se justifier, elle a donné à voir un phénomène complexe, préoccupant pour les parents, la société, les autorités…
À la question «pourquoi ces jeunes se sont ainsi singularisés (radicalisés) ?», s’ajoutent d’autres interrogations. Comment est-on arrivé à cette situation dans une ville, un pays où depuis toujours les valeurs sociales et religieuses imposent à tous de freiner la moindre velléité de dérapage de quelque enfant qu’elle vienne ? Doit-on alors voir les responsabilités des familles, de la société, des autorités pour avoir manqué à leurs devoirs et responsabilités d’éducation, de moralisation, consistant à éduquer et guider les enfants ? Tant que ces préoccupations ne sont pas bien gérées, nos sociétés ne seront pas à l’abri des dérives évoquées dans ce documentaire. Et le sujet du film peut se trouver partout, pas seulement à Kara Kara. En effet, si ici il s’agit des enfants qui n’ont pas eu une intégration sociale du fait entre autres de leur milieu, de la pauvreté des parents, on a aujourd’hui dans nos villes des exemples des fils à papa éduqués, formés qui sont devenus incontrôlables du fait du laisser-aller des parents, de la société et qui mettent en danger la vie des paisibles populations, s’en tirant souvent à bon compte.
L’Etat a certes le devoir d’éduquer, de sécuriser les citoyens, mais aucune raison, ni la pauvreté, encore moins l’opulence ne peuvent dédouaner les parents de leurs devoirs et responsabilités quant à la conduite de leurs enfants. L’œuvre “Zinder” résonne ainsi comme une sonnette d’alarme, un appel à tous pour que chacun à son niveau assume sa partition afin de prévenir des phénomènes comme lui des «Yan Palais» qui ne sont manifestement pas spontanés.