L’une des variantes de « l’argent sale », c’est la rente tirée de la contrebande. Les cartels s’en servent tel un cheval de Troie pour parvenir à leurs fins. Le Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’ouest (Giaba) révèle les différentes modes opératoires de cet autre aspect du blanchiment.
« Monsieur Marlboro », ce surnom est donné à l’ex-leader d’Aqmi Mokhtar Belmokhtar en raison de ses implications dans le trafic transfrontalier de cigarettes contrefaites dans le Sahel. Un produit dont la valeur marchande est, selon l’ONUDC, estimée à 774 millions de dollars ! Aussi, son commerce est lié au financement du terrorisme, trafic d’armes, extorsion de fonds, corruption entre autres.
On estime également que sur la période 2009-2014, le marché du tabac en Afrique et au Moyen-Orient, a enregistré la plus forte croissance en « volume de cigarettes illicites par rapport à l’Union européenne (7,8 et 10,5 milliards d’euros par an) ». Selon l’enquête du Giaba, « Les seigneurs de guerre du Sahara se sont livrés à la contrebande de cigarettes à travers le Sahel pour financer des activités sous la bannière des Signataires par le sang (Lacher, 2013) ». Le rapport note aussi qu’ils ont « été associés à plusieurs opérations lucratives de prise d’otages en Algérie, notamment la capture d’employés dans une centrale de gaz naturel en janvier 2013 ».
Sans doute, la contrefaçon, cette autre forme de blanchiment d’argent, entretient des actes subversifs. « En 2013, le Togo, la Côte d’Ivoire, le Bénin et le Nigeria représentaient plus de 56 millions d’articles contrefaits saisis en un an », peut-on lire dans l’étude. Elle souligne que ces pays figurent parmi les 15 premiers au monde en termes de contrefaçon de droits de propriété intellectuelle. Ce phénomène vieux que le monde n’est pas que lié aux frustrations engendrées par des choix politiques. Il n’est pas non plus l’apanage des États africains. Seulement, son ampleur annihile les efforts des gouvernements de la sous-région ouest africaine aux économies encore balbutiantes.
Les facteurs explicatifs d’un tel phénomène sont aussi nombreux et divers selon les spécificités de chaque pays. L’étude basée sur des données documentaires et recueillies sur le terrain, a dénombré « les liens ethniques, religieux et culturels, la porosité des frontières, l’absence de gouvernement et de gouvernance », les rackets, la corruption entre autres. Elle révèle que les États aux forts taux de secteurs informels (plus de 70% des emplois en Afrique subsaharienne) ne sont pas restés les bras croisés. Des efforts sont déployés. Mais en vain.
Malgré les législations nationales sans cesse renouvelées, les contrebandiers tels des mutants parviennent toujours à échapper aux dispositifs douaniers. Au Sahel par exemple, les brigades anti-contrebande auraient été prises à partie par des milices armées qui chercheraient ainsi à protéger des contrebandiers. Aussi, dans la lutte contre la contrebande, des difficultés ont été ressenties « en particulier pour le Nigeria et les trois pays de l’hinterland que sont le Burkina Faso, le Mali et le Niger ». Des pays qui ont une tradition « des étendues de frontières non surveillées ».
Thérapie textuelle
Le diagnostic étant posé, le groupe d’experts qui a réalisé l’étude exhorte les États à « faire montre de volonté politique et de leadership dans la lutte contre ce fléau ». Il les invite également à intégrer la contrebande de marchandises dans la catégorie d’infractions sous-jacentes de blanchiment d’argent.
D’autre part, le rapport recommande l’harmonisation et l’uniformisation « des lignes tarifaires à travers la région conformément au tarif extérieur commun de la CEDEAO afin de dissuader les velléités de contrebande » et l’établissement d’un couloir douanier interétatique afin de suivre « le flux des recettes des marchandises à travers les frontières », entre autres.