En violation des normes internationales pour les élections et des lois nationales, les principales minorités ethniques du Cameroun ont été disqualifiées de la course au Sénat. Elles ne comptent plus que sur Paul Biya pour rétablir cette injustice en les intégrant parmi les trente qu’il va nommer.
Ahmadou Ahidjo, la quarantaine entamée, membre de la communauté Fulani, communément appelée Bororo dans la région de l’Ouest, n’a pas figuré sur la liste des candidats de son parti aux sénatoriales. Bien avant que la liste de ce parti ne soit rejetée, il avait été recalé par sa hiérarchie. «Le bureau politique du Rdpc ne m’a pas sélectionné alors que j’étais le seul Bororo ayant déposé sa candidature dans la région de l’Ouest. Ce n’est pas normal.
On ne tient pas compte de la protection des minorités, comme le prescrit la Constitution du 18 janvier 1996 », se plaint-il. Aucune trace d’un candidat issu de cette minorité ne sera visible sur les listes du Sdf et de l’Udc, finalement concurrentes dans cette région. Pareil dans la région voisine du Nord-ouest, où les bororos sont pourtant nombreux dans les banlieues de Kumbo, Sabga et Jakiri.
Sur l’ensemble du territoire, les minorités ethniques nationales ont été lésées et ne décolèrent pas. Ibrahim Sardou Nana, représentant des Bororos, Alawadi Zelao, représentant des Montagnards et Helene Mondo Aye, représentante des pygmées du Cameroun, ont adressé un mémorandum, le 16 mars, au président de la République. Ils y dénoncent à raison la marginalisation des minorités et des autochtones. « Les partis politiques ont rarement pris en compte les candidats issus des minorités et les populations autochtones dans la constitution de leurs listes », décrient-ils.
En outre, les femmes, qui forment la moitié de la population, ne constituent que le tiers des candidats. Quant aux handicapés, ils n’y figurent pas du tout. A en croire Oscar Moussinga, responsable culturel et sportif de l’association sports et arts pour personnes handicapées, « nous n’avons pas connaissance de l’existence de personnes handicapées sur les listes à notre niveau. Et même les collègues handicapés des autres associations nous ont dit qu’ils n’ont pas été approchés», déplore-t-il
Et pourtant la loi les y oblige
Les défenseurs des minorités et des peuples autochtones plaident pour la réparation de ce qu’ils considèrent comme une « injustice de trop ». A raison : le pacte international relatif aux droits civils et politiques signé et ratifié par le Cameroun dispose que tout citoyen a le droit et la possibilité «d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays». En outre, « les Etats parties prenantes au présent Pacte s’engagent à assurer le droit égal des hommes et des femmes de jouir de tous les droits civils et politiques énoncés dans le présent Pacte».
Par ailleurs, selon le code électoral local, les déclarations de candidatures doivent mentionner « les indications sur la prise en compte des composantes sociologiques de la circonscription dans la constitution de la liste ». Ce qui n’a pas été respecté par la plupart des partis candidats aux dernières sénatoriales, qui ont ignoré les minorités et les autochtones.
Paul Biya au secours
Pour Marie Rose Nzié, chef de la division de la communication à Elecam, «ce sont les partis politiques qui constituent les listes. Elecam les valide ou les disqualifie. Pour le cas d’espèce…S’agissant des composantes sociologiques, la constitution de la liste peut se faire en fonction des critères linguistiques, de religion, du handicap, etc. Le code électoral n’est pas précis à ce sujet. Les associations qui se plaignent doivent plutôt se rapprocher des partis politiques », conseille-t-elle.
Expert électoral, Abdoulkarimou estime que « le code électoral n’est pas précis sur la question. Le législateur compte simplement sur la bonne foi des partis politiques. Lesquels courent d’ailleurs le risque d’être sanctionnés dans les urnes par les groupes qui ne sont pas représentés dans les listes ».
L’absence des minorités ethniques au Sénat, tout comme la faible représentativité des femmes viole les dispositions du pacte international relatif aux droits civils et politiques. Comme bonnes pratiques, la Commission européenne a quelques suggestions : « des sièges spécifiques peuvent être réservés aux candidats de groupes nationaux minoritaires pour assurer une représentation du groupe…des efforts sont entrepris pour encourager les candidatures des groupes sous-représentés… un soutien spécial est offert aux candidats exposés de fait à la discrimination, par exemple un appui particulier ou des formations ».
En attendant, Ahmadou Ahidjo compte sur Paul Biya. Il l’invite à tenir compte des minorités dans les 30 nominations qui complèteront la liste des sénateurs. Les associations de défense des minorités et des autochtones abondent dans ce sens. Plus explicite, Justine Diffo, la présidente de More Women in politics demande que 15 des 30 sénateurs qui seront nommés par le président de la République soient des femmes.