Des troupeaux de dromadaires présentant un bon embonpoint aux côtés des petits ruminants tout aussi grassouillets paissant paresseusement. Imperturbables. Dans un décor de verdure. Le tout sous le regard d’un jeune berger en équilibre sur un pied s’appuyant sur un bois servant à la fois de baguette de commandement, d’arme de correction des bêtes rétives et d’ outil de self défense dans cet environnement où la menace est omniprésente…
En ce mois de septembre, les irhazers, ces vastes vallées riches en natron, arrosées par les eaux dévêlant des hauteurs des montagnes de l’Air plus à l’Est sont couvertes d’un manteau vert d’herbacées et d’espèces arbustives qui constituent des délices pour le bétail.
Ces terres de pâturage se trouvent à la confluence des sables du sud (Tadarast) et des argiles du Nord (Ighazer) dans la région d’Agadez, Nord du pays.
Depuis des siècles, selon un cycle bien réglé s’organise la plus grande transhumance du Niger dite « cure salée » dans la localité d’In Gall au mois de septembre au cours de laquelle d’immenses troupeaux remontent au Nord pour libérer les zones de culture au Sud et aller brouter les pâturages natronnés et se désaltérer aux eaux des sources salées.
Ces pâturages et ces breuvages sont réputés pour leurs multiples vertus nutritionnelles et curatives, selon les spécialistes.
« Il est en effet essentiel pour le bétail - chèvres, moutons, vaches et dromadaires - de compléter l’herbe fraîche par des apports en sel minéraux. Cette grande réunion est l’occasion pour les éleveurs de satisfaire les besoins des animaux mais aussi de célébrer la grande fête annuelle de la cure salée », estime le Vice maire de la Commune d’In Gall , Ahmed Moussa Nounou.
Cette transhumance est un mode séculaire de gestion de terroir dans un contexte de compétition agriculture/élevage dans un environnement soumis à la pression de l’homme et des bétails, le pays étant sous les effets de changements climatiques et d’une forte croissance démographique, de l’ordre 3,9% par an.
Pour l’occasion, des pasteurs du Niger mais aussi de la sous-région (Cameroun, Tchad, Nigeria, Mali, Mauritanie, Burkina Faso) s’y retrouvent dans l’irhazer pour la cure au sel de leurs animaux mais aussi pour perpétuer une tradition ancestrale autour de la vie nomade.
On y assiste au guerouwol , séance d’ exhibition de la beauté masculine et féminine des peuls borroro au cours de laquelle sont désignés les miss et … les master de beauté.
Cette communauté des pasteurs pour l’éternel cultive un culte de la beauté humaine à la limite de l’hédonisme où les liens matrimoniaux se rompent au gré des coups de cœur. Ici, la femme choisit son conjoint, selon des canons dont seule celle-ci a le secret : éclat des sourires, grâces des gestuelles et mimiques.
Sous le poids de l’islam, la pratique ‘’d’enlèvement d’épouse’’ serait en régression, dit-on.
La beauté est aussi magnifiée par les notes envoutantes de tende (tambour touareg) qu’accompagnent des pirouettes virevoltantes des danseurs, stimulés par les youyou des femmes et la voix de la soprano.
C’est l’étalage de la grâce et de la souplesse, expression de la subtilité et de la force physique, dans un milieu hostile exigeant la conjugaison du physique et du mental.
Les fantasias de chameliers, des ânières aux montures richement harnachés renseignent sur la fusion homme/bête dans le désert et exposent un savoir vivre et savoir-faire – travail de cuir, habitat adapté, beauté féminine-.
Du haut de leurs montures, les méharistes, les yeux abrités derrière de turban au double ton dont l’indigo et le corps enveloppé dans un boubou ample ont les charmes et le magnétisme d’un amenokal (chef de tribu touareg). Quant aux femmes parées de leurs plus beaux atours, on les croirait sorties des contes de mille et une nuits. Le sublime se dispute avec l’éclat sur fond de bling bling des parures.
La cure salée est aussi doublée d’une dimension politique qui donnait l’occasion d’une grande rencontre dite ‘’Amanen’’ où les nomades réunis autour des autorités coutumières, réglaient les conflits qui existaient entre les différentes confédérations touaregs qui renouvelaient leur allégeance à l’autorité du Sultan.
Cette dimension de la fête était depuis la nuit des temps la plus importante car elle permettait de régler les problèmes essentiels des populations nomades. Les autorités trouvent une occasion unique de rencontrer les chefs des tribus.
Aujourd’hui, sous la République, ce rassemblement magnifie des valeurs citoyennes. On y assiste à des échanges directs entre les autorités et des acteurs communautaires.
Pour l’occasion la petite ville d’In Gall, 10.000 habitants, 150 Km de la capitale régionale Agadez et plus de 800 Km de Niamey, devient la Mecque du pastoralisme où convergent des éleveurs, des officiels, des touristes, des services publics, projets et des nombreux festivaliers.
Des ‘’side events’’ s’organisent autour de symposium, de foires, de campagne de marketing, des audiences foraines pour des pièces d’état civil, des séances de vaccination animale et humaine.
Des problématiques de l’heure sont discutées, dont la lutte contre le terrorisme, la cohésion communautaire.
Cette année la pandémie de la COVID 19 qui était à la base du report de l’édition 2020 s’y est invitée avec une campagne de vaccination in situ.
Cette 56e édition de la Cure salée a été rehaussée par la présence du Président de la République Mohamed Bazoum qui a assisté aux festivités de cette fête des éleveurs dans la commune d’Ingall et effectué des nombreuses rencontres.
Un tel rassemblement fait aussi des bonnes affaires pour des multiples vendeurs ambulants et étalagistes.
Des boutiques d’occasion, des kiosques improvisés donnent à la localité les allures d’un souk, le temps des évènements, ce qui constitue une source de revenu de la population locale et de la mairie.
L’élevage au Niger, avec plus 30 millions de têtes de bétail, constitue à la fois une source de sécurité alimentaire, de revenu et d’emploi. Il assure l’emploi de plus de 87% de la population, procure 11% du PIB et 35% du PIB agricole. Cette activité est la seconde source de revenu d’exportation du pays après les industries extractives, selon le ministère de l’élevage.
Toutefois, son potentiel est sous-exploité et il reste pour l’essentiel une activité traditionnelle dominée par la transhumance.