On désigne par « hydraulique pastorale » la politique de multiplication des points d’eau et de modernisation de l’abreuvage, qui fut mise en œuvre au Sahel à partir des années 1950. Son objectif était de développer et d’intensifier l’élevage extensif en jouant sur un facteur essentiel, l’accès à l’eau. Dans la région de Tahoua, les populations pastorales concernées étaient diverses : Peuls, Touaregs, Haoussa, Zarma ainsi que de nombreuses tribus arabes plus ou moins métissées, nomadisant surtout dans le nord Tahoua et Agadez.
La saison des pluies est la saison faste. Les bêtes reprennent des forces en broutant l’herbe verte ; le lait est plus abondant. L’abreuvage est moins astreignant et devient même inutile quand les animaux boivent d’eux-mêmes aux mares temporaires du voisinage, auprès desquelles se regroupent de nombreux troupeaux. Pour un temps, les éleveurs sont alors dispensés de cette pénible corvée. Mais, dès que les mares s’assèchent, l’abreuvage régulier des bovins redevient indispensable jusqu’aux prochaines pluies. Les chamelles peuvent s’éloigner des points d’eau plus que les vaches, car elles nécessitent un abreuvage moins fréquent et peuvent s’en dispenser totalement à la saison froide où les bergers s’éloignent des campements pour les conduire sur les pâturages du désert. Mais, en dehors de ces périodes, l’élevage est tributaire des puits.
Ceux-ci, dans le système traditionnel, sont creusés par des spécialistes. Si le sol est dur, ils peuvent être très profonds. Mais, s’il est sableux, l’effondrement menace et les puits sont consolidés par un coffrage de bois sur toute leur hauteur. Comme ils sont fragiles, ils ne sont creusés que si la nappe phréatique n’est pas trop profonde. Le coffrage est construit par le puisatier du haut vers le bas, à mesure qu’il creuse. Il utilise des rondins prélevés sur les arbres des environs, et bourre les interstices avec une herbe imputrescible qui retient le sable et retarde l’ensablement du puits. A l’orifice sont ensuite plantées une à trois fourches de bois, selon l’espace disponible.
Selon Moussa Ahmoudou, l’éleveur qui vient abreuver son bétail dispose sur l’une des fourches un axe horizontal muni d’une poulie, sur laquelle tourne la corde de la puisette. Cette dernière, d’abord jetée au fond du puits, est ensuite remontée à la main, si le puits n’est pas trop profond, ou par traction animale. Dans ce cas, l’autre extrémité de la corde est fixée au poitrail d’un âne, d’un bœuf ou d’un dromadaire qui s’éloigne du puits en tirant la corde. Celle-ci tourne alors sur la poulie supportée par la fourche. La puisette est dégagée de la fourche à la main puis transvasée dans un abreuvoir proche, où les bêtes boivent, tandis que l’on relance à nouveau la puisette dans le puits.
Ce travail éprouvant revient fréquemment aux adolescents, garçons ou filles, quand les familles sont pauvres. L’animal qui remonte la corde est guidé par un jeune enfant, tandis qu’un autre surveille les tours d’abreuvage. L’opération se poursuit, puisette après puisette, pendant des heures, dans la poussière et sous le soleil, jusqu’à ce que toutes les bêtes du troupeau familial soient abreuvées.
Cette technique d’abreuvage n’est pas seulement harassante, elle est peu efficace. Le débit souvent faible de ces puits, l’attente nécessaire pour que la puisette se remplisse, le temps pris par sa remontée limitent le nombre d’animaux qu’un berger peut abreuver, même lorsqu’il prolonge son travail tard dans la nuit. De plus, on ne peut abreuver que deux ou trois troupeaux à la fois : l’étroitesse du puits et le petit nombre des fourches limitent celui des puisettes utilisables simultanément. Autre défaut, ces puits traditionnels durent peu. Le va-et-vient des puisettes, auquel s’ajoute le ruissellement d’eaux fangeuses à la saison des pluies, provoquent leur effondrement après deux ou trois ans. Les troupeaux sont alors conduits ailleurs, en attendant qu’un nouveau puits soit creusé, le plus souvent à côté du précédent. Mais, quand le sol est trop dur ou la nappe phréatique trop profonde, les techniques traditionnelles sont impuissantes, ce qui laisse de vastes espaces inexploités.
Techniquement, la création de stations de pompage mécaniques ou de forages artésiens est très nécessaire, et cette politique fut appliquée à vaste échelle. Elle eut des effets immédiats et contribua sans conteste au développement de l’élevage sahélien. Mais elle provoqua en même temps de nombreuses difficultés retracées ici. Les dysfonctionnements entraînés par la surexploitation des motos pompes, la maintenance et la cherté du carburant. Les populations d’Azanidi un village situé à une quarantaine de kilomètres à l’ouest de Kao lancent un cri de cœur. Elles sollicitent de l’Etat la création d’une mini AEP multi villages ou d’une station de pompage pastorale pour leur permettre d’abreuver leurs cheptels et consommer l’eau potable.