La récente condamnation au Niger de deux journalistes d’investigation pour avoir relayé les conclusions d’une ONG internationale marque un tournant très inquiétant dans la répression de plus en plus dure qu’exercent les autorités contre les médias critiques, a déclaré Amnesty International le 13 janvier 2022.
Le 3 janvier, un tribunal de la capitale Niamey a condamné deux journalistes renommés, Samira Sabou et Moussa Aksar, respectivement à un mois et deux mois de prison avec sursis, pour avoir relayé les conclusions d’un rapport de mai 2021 de l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée (GITOC), basée à Genève. Selon ce rapport, une énorme quantité de drogue saisie par les autorités nigériennes avait ensuite été rachetée par les trafiquants en utilisant des moyens illicites.
Les deux journalistes ont été condamnés au titre de la Loi sur la cybercriminalité de 2019, dont les autorités se servent pour faire taire les voix dissidentes au sein des médias et de la société civile – avec des termes tels que « diffamation au moyen de communications électroniques » et « diffusion d’informations dans le but de troubler l’ordre public ». Ils ont également été condamnés à des amendes comprises entre 90 et 170 euros.
« Samira Sabou et Moussa Aksar sont depuis longtemps dans le collimateur des autorités nigériennes simplement parce qu’ils font leur travail essentiel de journaliste. Cette condamnation bafoue leur droit à la liberté d’expression et menace la liberté des médias dans le pays. La diffamation ne devrait pas constituer une infraction pénale », a déclaré Ousmane Diallo, chercheur sur l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International.
Samira Sabou, qui est également présidente de l’Association des blogueurs pour une citoyenneté active (ABCA), a partagé les conclusions du rapport de la GITOC, ainsi que le lien, sur sa page Facebook en mai 2021. Moussa Aksar, qui est rédacteur en chef du quotidien L’Évènement et président de la Cellule Norbert Zongo pour le Journalisme d’Investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO), a publié les résultats dans un article de presse qu’il avait écrit en mai également.
Leur avocat Ahmed Mamane a déclaré : « Leur condamnation représente un danger pour la liberté de la presse au Niger. La Loi sur la cybercriminalité de 2019 est régulièrement invoquée par le pouvoir judiciaire pour poursuivre et intimider les journalistes qui traitent de questions nationales sensibles. Le pouvoir peut ainsi contourner la loi dépénalisant les délits de presse et poursuivre les journalistes pour diffamation ou diffusion d’informations susceptibles de troubler l’ordre public, lorsqu’ils traitent de sujets litigieux. »
L’Office nigérien pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS) avait réfuté les conclusions du rapport de la GITOC le 28 mai 2021 – des démentis qui ont également été publiés par les deux journalistes, selon leur avocat.
En mai 2021, des policiers ont arrêté Samira Sabou à son domicile et l’ont conduite à l’OCRTIS, où elle a été interrogée en l’absence de son avocat et sans être officiellement informée des charges retenues contre elle.
Au cours de l’année 2021, Samira Sabou et Moussa Aksar ont été convoqués à plusieurs reprises par l’OCRTIS et interrogés sur les raisons pour lesquelles ils avaient publié le rapport de la GITOC. Tous deux ont ensuite comparu le 9 septembre 2021 devant le tribunal de grande instance de Niamey. Lors de leur procès en décembre, le procureur général a requis une condamnation le 27 décembre, alors qu’aucune plainte officielle pour diffamation n’avait été déposée contre les deux journalistes.
« La condamnation de Samira Sabou et Moussa Aksar est un recul inquiétant pour la liberté de la presse au Niger. Il ne fait plus aucun doute que la possibilité de rendre compte librement de sujets sensibles est désormais soumise à la volonté des autorités nationales, a déclaré Ousmane Diallo.
« Or, il incombe aux autorités de veiller à ce que les médias puissent faire leur travail librement et de protéger les journalistes et les blogueurs·euses contre les attaques, les menaces ou le harcèlement judiciaire. »
Complément d’information
En mai 2021, Moussa Aksar a été condamné pour diffamation pour avoir relaté des détournements de fonds publics au sein du ministère de la Défense entre 2017 et 2019. Il a été condamné à une amende de 315 euros et a reçu l’ordre de verser 1 580 euros.
Entre juin et juillet 2020, Samira Sabou a été détenue pendant 48 jours, alors qu’elle était enceinte, à la suite d’une plainte en diffamation déposée contre elle par le fils de l’ancien président, parce qu’elle avait publié sur Facebook des informations concernant le scandale de détournement de fonds au ministère de la Défense. Le 28 juillet 2020, le tribunal de grande instance de Niamey a classé l’affaire sans suite et Samira Sabou a été libérée.