Situé à plus de 1600 km de Niamey, le Kawar regorge de nombreuses potentialités, qui n’attendent que leur mise en valeur. En tant que principale culture de rente, la production de dattes (ou phœniciculture) permet aux Kawariens de subvenir à leur alimentation de base mais aussi à s’en servir comme moyen d’échange (troc) contre certains produits comme les céréales. Outre les revenus qu’ils génèrent, les dattiers contribuent aussi à la satisfaction de certains besoins de cette communauté. En effet, les palmes très résistantes des dattiers sont utilisées pour fabriquer certains ustensiles comme les paniers pour la conversation d’aliments, mais aussi dresser des clôtures pour les jardins. Malgré ces potentialités, l’enclavement de la zone du Kawar dû au mauvais état des routes ou à leur inexistence annihile les efforts d’amélioration des conditions de vie et de travail des Kawariens, tout en les privant de certains avantages qui leurs reviennent de droit. Cependant, des réponses à ces défis existent.
La phœniciculture est la culture du palmier dattier (Phoenix dactylifera L.). Elle est pratiquée depuis des lustres dans les oasis du Kawar (Région d’Agadez). Le parc dattier de cette zone est estimé à près de 300.000 pieds. Ce parc abrite des palmeraies de plus de 300 km de longueur et couvrant les communes de Bilma, Djado, Dirkou et Fachi, qui disposent du plus important parc.
Agé de 48 ans, habitant à Fachi (commune rurale située à 985 kms d’Agadez), Moussa Laouel est marié et père de 10 enfants. Propriétaire d’un jardin de plusieurs ha, il possède 20 palmiers dattiers, qu’il entretient ‘‘comme sa propre famille’’, car c’est sa principale source de revenu. «J’ai hérité cette terre de mon père qui a planté ces dattiers, qui datent d’une trentaine d’années. Aux palmiers dattiers que j’ai hérités, j’en ai planté trois. Cela fait plus de 10 ans que j’ai commencé le travail des dattes. A chaque récolte annuelle, j’arrive à remplir un à deux sacs de 25 kgs par palmiers dattiers, selon la période», explique M. Laouel.
Ainsi, tout calcul fait, Moussa Laouel produit annuellement environs 20 à 30 sacs de 25 kgs de dattes. «Nos dattes, qui sont les meilleures du Kawar, sont vendues essentiellement à Agadez. Les prix des sacs de dattes varient aussi selon la qualité et la période. Les grosses gousses de dates sont vendues à 40.000 FCFA le sac alors que celles qui sont moins grandes se vendent à 20.000 ou 25.000 FCFA à Agadez. Le transport jusqu’à Agadez nous revient à 5.000 FCFA par sac de dattes», détaille-t-il. Au total, Moussa Laouel, le producteur de dattes dit encaisser, annuellement, entre 500.000 à 900.000 FCFA grâce à ses 20 palmiers dattiers. «Certes je gagne beaucoup mais des défis restent. C’est le cas de l’état de la route nous liant à Dirkou, à Agadez pour livrer nos marchandises ou en acheter d’autres. Il nous arrive d’attendre un mois avant de faire une livraison ou de nous approvisionner en quelques biens que ça soit», se plaint ce producteur. En dépit de ces obstacles, M. Laouel dit être satisfait de ce travail de producteur et vendeur de dattes car cela lui permet de joindre les deux bouts et même d’acquérir une moto.
L’enclavement et le mauvais état des routes : le cauchemar des producteurs
Le mauvais état des routes du Kawar est une préoccupation constante chez les producteurs de la zone. Kassoum Abba, un autre exploitant de palmiers dattiers de Dirkou (située à 770 km d’Agadez), indique que, malgré la résistance des dattes à la détérioration et au pourrissement, il y a deux ans il a perdu les 2/3 de sa récolte stockés et bloqués par manque de moyen de transport jusqu’au marché d’Agadez. «C’était une perte sèche de plus de 3.000.000 FCFA. Ce fut une année dure, très dure pour ma famille et moi. J’ai dû m’endetter pour subvenir aux besoins de ma famille. Vraiment l’enclavement et le manque de routes praticables nous coûtent trop, trop cher», s’indigne Abba.
Bintou Ary est une habitante du village d’Aney, situé à 27 kms de Dirkou avec un plat d’arssa à main, elle commente : «Nous produisons des dattes pour notre consommation. Voici un plat d’Arssa, préparé à base de dattes, de farine, d’huile et d’eau bouillie. Ici, le Arssa est notre aliment de base et nous pouvons le conserver une année durant, sans qu’il ne se gâte. Ajouté du lait et vous avez un plat riche et sans pareille», ajoute-elle, le sourire aux lèvres.
L’isolement, l’éloignement et l’enclavement dû au manque et à l’état désastreux des routes, des communes qui composent le Kawar (Dirkou, Fachi, Bilma Chirfa), constituent un vrai obstacle au
développement et à l’épanouissement de cette zone, selon, Mahamat Boubacar Djaram, président du Conseil communal et maire de Dirkou. «Cette position physique du Kawar crée le nid de l’insécurité et des trafics de toutes sortes (migrations, drogues, armes, contrebandes). Cette situation a pour conséquence, une faible compétitivité des produits locaux en raison du coût de transport, le remplacement des activités comme la production de dattes, de sel, de natron, le commerce caravanier, par des nouvelles activités (transports migrants, contrebandes, migrations), ce qui contribue, sans nul doute, à des menaces pour la paix sociale dans notre zone», alerte M. Djaram.
Une cinquantaine de variétés de dattes est cultivée dans le Kawar
Selon les experts, c’est une cinquantaine de variétés de dattes qui sont produites et vendues dans le Kawar. Qu’elle s’appelle Soubour, Youlfodom, Aguiss, Dilo, Tidirchi, Hadip, Korossom, Kroukrouss, Koumannom, Karab, Yamboul, Tamsâa, Gossonto, ou encore Akanirom, la datte kawarienne présente divers aspects. Elle peut être grosse, de couleur brune, de bonne qualité et demi-molle, avec un rendement moyen de 80kg/pied, ou brune, très grosse, de très bonne qualité, demi-molle, avec rendement moyen de 70kg/pied, ou encore grosses, moyennes ou petites de plusieurs couleurs, de différentes qualité, différentes consistances, avec 60 kg/pied comme rendement moyen et produite dans toutes les communes du Kawar, comme la Karab.
Certaines variétés comme Korossom et Koumaanom de Fachi, ainsi que Hadip et Akanirom de Bilma et Yamboul d’Achenouma sont consommés et vendus localement au Kawar, sous forme de fruits frais. «Quarante-huit (48) cultivars ou variétés locales ont été dénombrées dans le département de Bilma. A ces variétés-là, il faut ajouter Barhee et Medjool qui ont été introduites en 2001. Cependant, quatorze (14) variétés sur les 48, apparaissent comme les meilleures. Il s’agit de : Soubour, Youlfodom, Dilo, Tidirchi, Aguiss, Kroukrous, Hadip, Korossom, Koumagnom, Yamboul, Tamsâa, Karab, Akanirom et Gossonto. Pour ce qui est de la productivité, on a pour le département de Bilma, 65 kg/pied en moyenne», souligne Koura Ari, un fonctionnaire de Bilma reconvertit en producteur de dattes.
La phœniciculture ou culture des dattes, un potentiel du Kawar à ne pas négliger
Au Niger le potentiel phoenicicole occupe une place importante dans la chaîne des oasis saharo-sahéliennes et cela est plus visible au niveau de la zone du Kawar. Selon la Direction Régionale de l’Agriculture d’Agadez, le Kawar abrite les zones dites traditionnelles des oasis et de palmiers dattiers, car le palmier dattier y est cultivé depuis plusieurs siècles. Elles comprennent les oasis du Djado, du Kawar, de l’Agram au Nord-est, les vallées de l’Aïr dans le Centre-nord et la palmeraie d’In Gall à l’Ouest d’Agadez. Selon cette source, la culture du palmier dattier (Phoenix dactylifera) y est pratiquée depuis le XIIème siècle. De manière générale, les zones traditionnelles se caractérisent par un niveau de la nappe phréatique de l’ordre de 10 mètres, une phoeniciculture peu maîtrisée par les paysans oasiens, une bonne qualité des dattes.
Les nappes des oasis du Kawar-Agram-Djado, elles se trouvent dans le département de Bilma situé au Nord-est de la région d’Agadez. Les oasis de l’Agram (Fachi) et du Kawar-Djado sont des milieux très particuliers le long de la falaise du Kawar dans l’erg de Bilma. Ce sont de très belles palmeraies abondamment irriguées grâce aux sources et elles constituent un long chapelet s’étirant sur près de 300 km de Fachi à Djado en passant par Bilma. Ce sont des palmeraies très anciennes. Elles sont hétérogènes, en touffe, sans entretien et sans aucun alignement. Le nombre approximatif des palmiers est de 350.000 pieds dans le Kawar. La production des dattes y est importante, environ la moitié de la production annuelle de la région estimée à environ 5.000 tonnes.
Pour Hamissou Insa, un enseignant à la retraite, rencontré à Fachi, les palmeraies de ces
localités, malgré la facilité d’exploitation des ressources hydrauliques, sont mal entretenues et mal exploitées. «Les populations ont l’habitude, faute de technique fiable de conservation, de laisser les dattes sécher de façon trop prolongée perdant ainsi de leur poids, et aussi de leur valeur nutritive (rétrogradation des sucres). L’état phytosanitaire est satisfaisant malgré la présence d’acariose et de la cochenille blanche», estime Insa.
Evoquant les contraintes liées à cette exploitation, le producteur de dattes, Elhadji Brahami, indique que les principaux problèmes des oasis du Kawar-Agram-Djado sont : l’enclavement, qui limite les possibilités d’exploitation commerciale des dattes, le faible niveau technologique et l’absence d’organisations de producteurs bien structurées et encadrées avec plus de probabilité de gagner une portion plus grande de chiffre d’affaires, – une formation continue des dunes mouvantes qui constituent une véritable menace pour les palmeraies et les activités maraîchères, l’absence d’entretien des dattiers. A cela, il faut jouter l’ensablement des palmeraies et des zones de production. C’est le principal problème des palmeraies du Kawar-Djado qui met les populations dans une situation d’insécurité alimentaire permanente, une coupe abusive du bois vert qui menace les maigres réserves de végétation existante.
La nécessité de renforcer les capacités des producteurs
Déclinant quelques perspectives, le maire de Dirkou, M. Boubacar Djaram, suggère de doter les exploitants des moyens de transport pour la commercialisation des dattes vers les autres régions du Niger ; lutter contre l’ensablement des oasis. «Mais pour cela, il serait nécessaire avant tout d’effectuer une étude préalable sérieuse en se basant sur un relevé photographique aérien permettant d’établir un plan d’action réaliste et réalisable. La stabilisation des sables conditionne l’exploitation des jardins et la pratique des sous-cultures et cultures associées. Celles-ci étant absolument nécessaires pour l’existence des populations. Il serait même possible de créer des secteurs de cultures irriguées à l’aide de forage», propose-t-il.
Ce qui permettrait, selon le président du Conseil communal de Dirkou, aux oasis d’améliorer la production des dattes et des cultures maraîchères surtout durant ces dernières années où la ruée vers l’or du Djado a drainé une forte concentration des orpailleurs. Il faut aussi, a en croire M. Djaram, initier des actions d’intensification agricole (périmètre irrigué intensif pour les palmeraies avec sous-cultures et cultures associées qui pourraient porter surtout sur les secteurs de l’Agram-Kawar où la population sédentaire s’intéresse aux problèmes agricoles notamment à Fachi, Chimoundour, Bilma et Séguédine. «Des formations de renforcement des capacités des exploitants et des campagnes de vulgarisation des méthodes culturales appropriées doivent être organisées pour encourager la production des dattiers et des cultures associées», estime l’élu de Dirkou.
Notons qu’un évènement culturel majeur caractéristique se déroule annuellement dans le Kawar : le ‘‘mariage des dattiers’’, opération traditionnelle de fécondation des dattiers qui attire vers cette zone des milliers de personnes dont celles des localités et pays limitrophes. Le Kawar dispose des ressources productives locales dont la valorisation et la bonne gestion pourraient servir d’alternative à l’économie migratoire, afin d’apporter des réponses aux besoins d’une jeunesse tentée par les aventures de toutes sortes. Parmi ces ressources productives locales, on peut noter la datte, le maraîchage, la production de sel et le natron. La datte présente le maillon principal de l’économie kawarienne. Sa valorisation sur toute la chaîne des valeurs : plantation, choix des variétés, respect des bonnes pratiques culturales, amélioration de la qualité de la production, transformation, meilleure organisation du circuit de commercialisation, mise à profit des opportunités nouvelles (énergie solaire et autres), amélioration des conditions de transport, etc., pourrait améliorer les revenus des producteurs et créer de nouveaux emplois pour diminuer l’exode, la migration ainsi que la pauvreté.