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Orpaillage dans le désert du Ténéré : La fièvre de l’or dans la vallée du Djado, en dépit de l’enclavement et les risques sécuritaires

Publié le vendredi 27 mai 2022  |  Le Sahel
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© Autre presse par DR
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Dans un contexte de conjoncture économique et sécuritaire préoccupant, dans le Kawar (Région d’Agadez), une nouvelle activité inattendue émerge soudainement au début de l’année 2014 dans ce grand nord nigérien : l’orpaillage, après la découverte d’un premier site dans la vallée du Djado. Quelques mois plus tard, un deuxième site, Tchibarakaten, fut mis en exploitation, à une trentaine de km de Chirfa (Département de Bilma). Au même moment, plusieurs petits gisements furent découverts dans le massif de l’Aïr. La soif de l’or, accompagnée d’une certaine frénésie et fièvre du métal jaune, s’empara alors de nombreux nigériens et étrangers en quête de fortune. C’est cette aventure que cet article retrace en décrivant les principaux sites d’orpaillage et leurs animateurs. Il aborde ensuite les relations entre les communes, les commerçants et les orpailleurs, puis examine les conséquences politiques, religieuses, économiques, sociales et environnementales de l’orpaillage dans cette zone désertique du Kawar.

Au Niger certaines zones recèlent de grandes potentialités en matière de ressources minérales et en particulier d’or. A Tillabéri, Maradi, Agadez et peut-être Niamey, sur des kilomètres, s’étendent d’immenses bassins sédimentaires et d’anciens massifs montagneux potentiellement aurifères. L’or est exploité artisanalement ou rarement industriellement dans ces zones. Mais, depuis quelques années, en raison de son cours élevé, les prospections aurifères clandestines se multiplient et se sont étendues aux régions désertiques jusqu’alors peu prospectées. Le Niger connait ainsi de véritables ruées vers l’or dans ces régions. Nigérians, Burkinabé, Ghanéens, Centrafricains, Maliens, Tchadiens, Nigériens, etc, se ruent vers ces zones prometteuse. C’est le cas de la zone de Kawar, qui depuis 2014 accueille des milliers d’orpailleurs de tout acabit. Une ruée qui peut bien être un eldorado pour certains mais aussi un enfer pour d’autres. Ces ruées vers l’or, au Kawar, ont pris naissance dans un contexte sécuritaire marqué par des attaques de bandits armés, des trafiquants d’armes, de drogues et de migrants. Le contexte économique est lui marqué par une crise de la production nigérienne d’uranium, affectée par la chute des cours mondiaux de celui-ci. L’ouverture de la mine d’Imouraren, qui devait rapporter des recettes supplémentaires au Niger et créer des emplois dans la région d’Agadez, a dû être ajournée. L’agriculture et l’élevage pastoral y demeurent aléatoires, car soumis à la variabilité du climat et à l’instabilité des régimes fonciers. Les flux marchands vers la Libye et dans une moindre mesure l’Algérie ; qui avaient autrefois conféré à la zone une relative prospérité, diminuèrent fortement en raison de l’insécurité et de la guerre civile libyenne, tandis que le tourisme saharien et l’artisanat touareg périclitèrent avec l’arrivée des djihadistes et le départ des touristes. Aussi, au début de l’année 2014, hormis le trafic de drogues qui a quelques retombées sur l’économie locale et les activités liées au passage de migrants subsahariens en route pour la Libye puis éventuellement l’Europe, l’économie de la région et d’Agadez et donc celle du Kawar, était en léthargie. Les autorités et les diplomates étrangers étaient alors inquiets de la montée d’un chômage persistant affectant notamment la frange la plus jeune de la population : que faire pour éviter qu’elle n’écoute les sirènes djihadistes ? Comment et à quoi l’occuper pour lui procurer des revenus ? Telles étaient les questions que se posaient les responsables nigériens et les chancelleries occidentales, dépourvus de solutions et craignant une contagion des conflits maliens, libyens et nigérians au Niger.

Une manne aurifère qui vient à point nommé !
Dans cette conjoncture préoccupante, une manne inattendue est soudainement apparue au début de l’année 2014 avec la découverte d’or dans la vallée fossile principale du Djado (Département de Bilma). Quelques mois plus tard, le site de Tchibarakaten, proche de la frontière algérienne, fut à son tour découvert et mis aussitôt en exploitation. Après d’intenses prospections, plusieurs petits gisements furent mis à jour au même moment dans le massif de l’Aïr. Une soif de l’or sans précédent au Sahara s’empara alors de nombreux Nigériens et étrangers en quête de fortune. C’est cette aventure qui débute dans les principaux sites d’orpaillage, avec ses multiples et divers animateurs. La zone du Kawar étant difficile d’accès, avec ses grandes dunes de sables, souvent coupantes, ses routes rocailleuses, son aridité, sécheresses et fortes chaleurs, ses nuits glaciales, donc ses conditions climatiques insoutenables et surtout une zone considérée comme dangereuse, car parcourue par des groupes djihadistes et des trafiquants, il s’agit là d’un terrain fermé pour toute recherche, seuls les orpailleurs qui, poussés par la soif du métal jeune, ont droit de cité. Situé dans la vallée fossile du Djado et dans la commune de Chirfa (plus de 1.000 kilomètres au nord-est d’Agadez), ce site aurait été découvert, le 13 avril 2014, selon la Direction régionale des mines et du développement industriel d’Agadez, par un certain Amadou Maman Barka, un Toubou nigérien (46 ans) auparavant expulsé du Tchad avec deux amis avec lesquels ils se livraient à l’orpaillage dans le massif du Tibesti. Réinstallés à Chirfa, ils s’aperçurent que les collines du Djado présentaient les mêmes caractéristiques géologiques que les sites aurifères du Tchad et de ce fait renfermaient peut-être aussi de l’or. Cette région étant une zone militaire, Amadou Maman Barka et ses deux compagnons demandèrent au préfet une autorisation pour s’y rendre, prétextant la perte d’un chameau. À l’aide de détecteurs de métaux rapportés du Tibesti, leur prospection s’avéra fructueuse si bien que le petit groupe s’enrichit vite et fit venir des connaissances pour qu’elles participent à la fête. Cet afflux de population alerta les autorités, le gouverneur de la région d’Agadez diligentant une mission sur place pour se rendre compte de la situation afin de prendre des mesures pour organiser l’activité et assurer la sécurité du site (600 militaires y furent dépêchés). Selon la même source, l’or extrait, de jour comme de nuit, est de type alluvionnaire, massif et de qualité supérieure, car révélant une teneur de 22 carats. Il se présente sous la forme de pépites de poids variables pouvant atteindre jusqu’à 300 grammes et situées dans des roches détritiques mélangées à des galets de quartz. Pour les identifier, les orpailleurs utilisent des détecteurs de métaux à bobine exploratrice. Dès qu’ils sonnent, ils procèdent à l’extraction de l’or en décapant et en creusant les surfaces prometteuses sur une profondeur ne dépassant guère 60 cm, à l’aide d’outils rudimentaires (pelles, pioches, etc.), le terrain étant meuble. Aucun traitement chimique des roches n’est nécessaire : « même avec la langue, tu peux voir si c’est de l’or » dit un ancien orpailleur qui précise « qu’il faut juste retirer le sable et la poussière ». Par la suite, de grands commerçants arabes acheminèrent, depuis la Libye, des engins de travaux publics pour traiter des surfaces plus importantes, pratique désormais interdite, car ayant de graves conséquences sur l’environnement (arrêté n°00153/MMI/DGMG/ DEMPC du 8 juin 2016). La découverte du gisement aurifère fut suivie de celle d’une multitude d’autres, tous alignés sur plus d’une centaine de kilomètres, le long d’une ample vallée (50 km de large environ) fossile peu ensablée vers le nord-ouest jusqu’à Emi Lullu. Elle provoqua une première et véritable ruée vers l’or. Affluèrent des Nigériens, dont surtout des Toubous, mais aussi des « retournés de Libye », c’est-à-dire des gens qui ont fui ce pays du fait de la guerre. Des Tchadiens et des Soudanais aguerris à l’orpaillage en zone désertique, des subsahariens provenant surtout des pays sahéliens ainsi que des commerçants et des prospecteurs libyens. La population sur les sites dépassa en deux semaines les 10.000 personnes, tous de sexe masculin (à partir de 14 ans) puisque les témoignages recueillis mentionnent l’absence de femmes sur les sites. Au Djado, l’or est alluvionnaire et donc peu profond et même parfois affleurant, d’où un orpaillage extensif et très mobile. Ces caractéristiques sont restées malgré l’afflux de population et les sites se sont déplacés au fur et à mesure que le terrain était décapé de façon systématique. Le détecteur de métaux est l’outil nécessaire et souvent unique. Outre les orpailleurs, des vendeurs de nourriture, d’eau, d’essence, de charbon, d’outillage, d’animaux, de véhicules 4×4, de matériels et d’outillage s’installèrent à proximité du site principal, créant ex nihilo le marché le plus important au nord-est d’Agadez. Des restaurants, des salons climatisés équipés de téléviseurs et des centres de santé ont été créés grâce aux groupes électrogènes. Voyant là une source importante de revenus, de nombreux transporteurs principalement Toubous se sont mis à faire la navette entre le Djado, Dirkou, Bilma et Agadez tandis que d’autres acheminent l’eau depuis Chirfa (80 km du site principal). En outre, certaines sources dénoncent la corruption, qui touche certains agents de l’État chargés de la sécurité et de la perception de taxes qui profitent de l’éloignement de la zone et de sa faible présence pour gagner de l’argent en toute impunité. De leur côté, selon toujours ces sources, des chefs coutumiers, des leaders communautaires et même des hommes politiques locaux instaurèrent une série de taxes informelles. « Ils délivrent ainsi de faux laissez-passer et permis d’exploiter en recourant à tout un système de prête-noms afin que des étrangers puissent se livrer à l’activité», notent ces sources. Enfin, l’or attira toute une population de bandits de tout acabit si bien qu’il semble impossible d’assurer le maintien de l’ordre sur les sites et les pistes. Les autorités décidèrent donc de la fermeture du site le 29 novembre 2016 (les orpailleurs avaient eu délai d’un mois pour le quitter) par crainte de rixes entre orpailleurs d’origines différentes et face aux actes de banditisme qui se produisaient quotidiennement en raison de l’intense circulation d’armes dans la zone. Cette date a été finalement reculée au 28 février 2017. Des dizaines de camions transportant jusqu’à 300 personnes ont reconduit plus de 10.000 orpailleurs à Agadez et sur les sites aurifères de l’Aïr. «L’enjeu est important : il s’agit pour l’État de ‘‘nationaliser’’ l’orpaillage, c’est-à-dire d’expulser les étrangers pour tarir une source possible de migration économique puisque le Djado se situe à proximité d’axes migratoires conduisant en Algérie et en Libye, mais aussi en Europe», estime Abou Garka, un fonctionnaire convertit en orpailleur, rencontré sur place. Il ajoute que la fermeture du site est peut-être ainsi liée aux fortes pressions exercées par l’Union Européenne (UE) pour inciter le Niger à stopper l’immigration subsaharienne qui le traverse, car le pays reçoit, chaque année, des fonds à cet effet. «Les orpailleurs sont en effet soupçonnés par les autorités et l’UE, le plus souvent à tort, d’avoir un projet migratoire en Europe et de s’arrêter dans le Djado pour y reconstituer leur capital avant de poursuivre leur route vers la Méditerranée», indique Abdou Garka.

Par Mahamadou Diallo (onep), Envoyé Spécial
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