La Démocratie nigérienne, en trente années de parcours, est jalonnée de péripéties faites de coups d’Etat et de crises politiques multiples qui ont bouleversé l’échiquier politique qui a été le plus instable durant les trois dernières décennies. On fait et on défait. On commence et on recommence ; c’est à croire que jamais l’on est sûr de ce que l’on fait dans le pays. Le Niger vit dans et par le doute depuis tant d’années, hésitant à avancer car presque jamais convaincu de ce qu’il fait et de ce qu’il doit faire. Mais depuis le dernier coup d’Etat qui a envoyé le MNSD et son Tandja aux vestiaires, le pays amorce une nouvelle marche non moins incertaine, non moins tragique car jamais les principes de la démocratie n’ont été bafoués que sous le règne des socialistes qui avaient pourtant fait croire qu’ils pourraient être les meilleurs démocrates pour gouverner mieux, consolider l’Etat de droit et promouvoir les libertés pour lesquelles ils sont devenus les fossoyeurs les plus impitoyables. Mais ils avaient la chance d’avoir une opposition qui, quand même forte par son encrage populaire et électoral, reste la plus minable, la moins intelligente, la moins inspirée pour savoir porter ses combats sur des stratégies mieux élaborées. Mais cette opposition, au-delà d’un tel défaut pour savoir bien penser son combat, est aussi fragile par sa cohésion précaire du fait de sa composition hétéroclite avec des acteurs qu’un hasard a surpris dans le camp de l’opposition, incapables d’assumer un tel choix pour savoir lutter avec conviction au sein d’une opposition mieux organisée et ayant les moyens de sa lutte.
Il y a quelques jours, la Cour de la CEDEAO, tranchant le litige pour lequel Mahamane Ousmane demandait son arbitrage, donna une douche froide à l’Opposition nigérienne, désormais désorientée pour ne plus comprendre ce qu’elle a à faire. Depuis, Nafarko fitun faux bond au camp politique qui le soutenait pour opter pour un tel choix que l’on sait d’avance inopérant. Et comme il fallait s’y attendre, la Cour a rendu son verdict et il est d’autant cinglant pour Ousmane, son avocat et tous ceux à qui ils faisaient croire à l’issue heureuse de cette « démarche républicaine », démarche qui a fini par donner l’impression que l’ancien président roulait les siens dans la farine. L’intéressé lui-même, après la douche froide, ne parla pas, s’inclinant par son silence devant la sentence qui lui cloue le bec, avant de réagir quelques dix jours après que son avocat – lui aussi tardivement– pour assommer ceux qui l’ont soutenu avec un discours qui déroute ceux qui avaient cru à son combat : la substance de son intervention est de dire que c’est fini, Bazoum est désormais le président et tout le monde n’a qu’aller se chercher ailleurs. Point d’opposition !
Bazoum, lui, et son camp ne pouvaient que jubiler. On se rappelle que dès l’annonce des résultats et quand l’opposition sortait des griffes pour le combattre, Bazoum appelait son challenger qu’il prétend être pour lui un « grand-frère » qui ne saurait aller dans une confrontation avec lui, au nom de la « fraternité réinventée par une conjoncture politique » qu’il évoquait opportunément et qu’en sus, il lui disait qu’il est prêt à tout lui concéder pour faire la paix autour de son pouvoir contesté. La bonne parole était-elle si alléchante et belle, que l’homme put ne pas se battre, et défendre sa victoire qu’il disait avec la solidarité de ses soutiens qu’il n’acceptera jamais qu’un autre lui arrache. Une de ses vidéos, le confirme et est partagée ces derniers jours sur les réseaux sociaux comme pour lui faire entendre qu’il n’a pas tenu parole et qu’il aura trompé ses alliés. Mais tant pis, peut-on entendre ici et là.
L’homme politique n’est pas fiable. Une autre belle leçon que les Nigériens, apprennent à leur corps défendant. Par sa parole, Mahamane Ousmane a achevé l’Opposition et toute éventualité de lutte pour les Nigériens et ce à un moment où, pour le pays, tout est dans l’incertitude avec cette insécurité qui gagne du terrain, cernant la capitale et avec ces scandales qui se multiplient et qui n’en finissent pas.
Puisque Ousmane a enterré la hache de guerre, que reste-t-il au reliquat de l’Opposition à faire ?
Peut-elle se recentrer autour d’un autre pôle maintenant que Mahamane Ousmane « tue » le combat ? L’Opposition doit donc forcément se restructurer pour mieux penser aujourd’hui son combat au nom de la démocratie qui ne peut avoir de sens dans un unanimisme débridé surtout quand, dans le pays, les problèmes sont énormes pour ne pas concevoir que tous se taisent et renoncent à sa battre pour ouvrir une autre voie au peuple et à la démocratie. Pour autant, un tel choix vital pour la démocratie ne peut pas être celui d’un certain extrémisme.
Il est vrai que le contexte du pays appelle à une autre attitude qui donne plus de chance à fédérer les Nigériens autour de l’essentiel afin de faire en sorte que ce pays menacé de toute part soit préservé et qu’on ait la chance de sauver l’existence même de l’Etat et construire l’avenir. Lorsque, le président nigérien partant dans les départements de Téra et de Gothèye le jeudi passé, les Nigériens découvrent les images d’un Ali Téra, il n’en fallait pas plus pour voir la toile s’enflammer avec certains qui apprécient l’attitude faite de tolérance et peut-être de reniement de l’homme méconnaissable par rapport à ses vieux discours qui lui ont coûté une déportation et la prison, d’autres peuvent voir en lui, rien qu’un traitre qui abdique et renonce ses vieux combats, peut-être parce qu’aujourd’hui fragilisé dans ce pays où il ne sait plus rien faire, et où il doit apprendre, pour survivre, à se soumettre. Si tel est le cas, c’est son choix et il l’assumera devant l’Histoire et devant les hommes. Mais c’est peu lucide que de croire que cet homme puisse régler les problèmes de ce pays, les profondes divisions qui le traversent depuis des années.
Nous voudrions avoir la faiblesse de ne pas croire à une telle perception de son attitude. Peut-il avoir compris, comme beaucoup de Nigériens, que ce pays est allé loin dans ses divisions au point de courir les risques dommageables de grandes déchirures pour comprendre l’urgence et la nécessité d’un tel discours nouveau, conciliant de sa part pour aider à réparer, à apaiser, à réconcilier, à unir et ce quand même, sa voix ne porte pas trop, même dans son Téra natal pour être le héraut de l’Evangile qu’il porte depuis sa sortie de, prison où, pour certain, il est employé à bosser pour un autre. Pour s’en convaincre, l’on ne peut que lire les réactions autour de sa nouvelle parole qui irrite bien de Nigériens, une attitude de la part de Nigériens qui montre bien que le problème reste profond dans le pays et que l’ancien héros des réseaux sociaux ne peut réussir à régler la tension. Le problème est moins avec lui qu’avec le système qu’il essaie d’aider à sortir la tête de l’eau car la Cour de la CEDEAO a beau aider à rassurer Bazoum et Mahamane Ousmane a beau éteindre les flammes de la lutte, il reste que le pays est lui, garroté à ses malaises, et à ses rancunes, profondément divisé.
Le régime n’a aucune chance à aider son nouvel ouvrier tant que pour la mission somme toute noble, il ne l’aide pas en posant des actes courageux qui peuvent montrer que le régime et devant lui, Bazoum lui-même, serait décidé à aller dans un tel sens. Or, en l’espèce l’on ne peut que douter d’une telle volonté politique chez les socialistes quand on peut se rappeler qu’il y un peu plus d’une semaine, Kalla Moutari, appelait – croyant qu’ils sont suffisamment nombreux à pouvoir gouverner seuls –son régime à se débarrasser d’allies inutiles, de » faux amis » qui ne leur apporteraient que des problèmes, des divisions en leur sein. D’ailleurs, l’on peut se demander si les populations que Bazoum Mohamed est allé rencontrer, peuvent, dans le contexte qui est le leur du fait de l’insécurité, avec en plus ce sentiment de l’abandon, entendre ces bonnes paroles prêchées lorsqu’elles ne peuvent pas voir, des gestes forts, un courage politique de la part du premier magistrat pour « rassembler » et « continuer », pour réconcilier et rassurer.
Le sourire qu’on peut voir de Bazoum, saluant Ali Téra, est un signe de tolérance qu’on aurait aimé vrai, mais qu’on voit rarement sur la champ politique nigérien avec des hommes qui ont réduit l’adversité politique à de l’inimitié. Il est vrai que, revenant d’exil à la suite du décès de sa mère, l’on avait vu le même Bazoum accompagné de Hassoumi, aller chez Hama Amadou pour lui présenter des condoléances et lui exprimer leur compassion, un geste magnanime qui avait, à l’époque, été apprécié des Nigériens qui y avaient vu un signe de concorde et de détente dans les relations du régime avec l’homme qu’il avait appris à haïr plus que tout au monde, et l’on avait enfin cru que ces hommes qui se sont montrés d’une rare versatilité, auraient changé radicalement pour s’habiller enfin de leur humanité. La vérité est qu’ils restaient eux-mêmes, inchangés, et inchangeables. Se peut-il donc que les Nigériens quittent leurs hypocrisies pour savoir n’avoir qu’un seul visage, celui de l’humain, pour donner à notre pratique politique, à notre démocratie, par-delà tout ce que l’on pourrait voir par une certaine vision machiavélique de la politique, une dimension morale qui donne à croire que la politique est essentiellement une chose de l’homme, de l’humain, non une chose qui vient de la part animale de notre biologie.
Face aux défis, à une histoire qui s’écrit aujourd’hui avec beaucoup de sang et de larmes, il y a à reconsidérer des postures politique pour savoir mieux regarder l’homme, même adversaire, en homme, en partenaire, en allié qui ne vise aussi qu’une chose : le bien de l’homme et de la nation.
Nous ne pouvons pas continuer dans les mêmes violences de nos discours de haine, dans les mêmes incompréhensions de nos intransigeances, pour réapprendre à mieux vivre ensemble. De ce point de vue, le message d’Ali Téra est bien audible. Mais à condition que celui aux côtés desquels il marche depuis quelques temps, et qui lui ont fait le plus grand mal qui n’oubliera jamais de sa vie, lui facilitent la tâche en aidant les coeurs à se rapprocher, à se pardonner, à mieux se comprendre, pas pour comploter contre la démocratie et le pays, mais pour traverser les moments incertains qui sont les nôtres, les moments que l’on vit et qui risquent si l’on ne fait pas attention de nous perdre… L’Histoire interpelle.