L’émergence d’un populisme radical au Sahel devient progressivement un nouveau facteur d’instabilité dans la sous-région. Par des exhortations simplistes, ce populisme radical cherche à instrumentaliser et travestir la noble idée du panafricanisme dont les pères fondateurs ne pourraient se reconnaitre dans les contre-valeurs mises en avant par certains activistes actuels. On assiste en effet à un dévoiement de l’idée panafricaniste, réduite à un verbiage émotionnel dont le contenu illustre la difficulté de ses auteurs à s’affranchir du complexe de dominés grâce à une démarche pouvant aboutir à une véritable émancipation.
Il est pour le moins révélateur des limites de la nouvelle approche panafricaniste de constater son incapacité à s’imaginer sans maître protecteur sur la scène internationale. Brandir le drapeau d’un pays tiers en substitution à celui qui est décrié est un aveu de l’acceptation et de l’intériorisation de cette posture de dominés éternels, comme si l’on appréhendait un vide qu’il faudrait nécessairement combler. Les activistes néo panafricanistes devraient proposer une vision propre permettant d’asseoir une véritable souveraineté fondée sur la légitimité d’une adhésion inclusive et éclairée des communautés.
En rejetant toute la responsabilité de la déliquescence de certains Etats sur l’Occident, les nouveaux panafricanistes ne réalisent pas qu’ils révèlent implicitement les insuffisances et les défaillances des élites à construire des institutions et conduire des politiques publiques qui répondent réellement aux aspirations des peuples. Le patriotisme tel qu’il est défendu par ces néo-panafricanistes ne parvient pas à dépasser les schémas voulus par ceux qu’ils dénoncent, se privant parallèlement de toute réflexion autour de ce qui peut faire patrie. Les modes de gouvernance et les organisations socio-politiques traditionnels sont dévalorisés, quand bien même ils paraissent plus adaptés pour assurer l’épanouissement et le développement des peuples. On observe par exemple, que ces panafricanistes hésitent à interroger la matrice de la domination sur laquelle reposent les frontières actuelles, issues non pas de la volonté souveraine des peuples, mais des logiques coloniales destinées à façonner le continent à l’image des représentations et des agendas des puissances dominantes d’alors. Ils reprennent à leur compte et se revendiquent de constructions étatiques artificielles qu’ils se gardent de questionner, s’écartant eux-mêmes de la relation à leur propre histoire. Aussi longtemps que cette question demeurera taboue, nombre de pays africains, notamment francophones, seront sujets à l’instabilité et aux guerres intestines. La refondation des États, devenue incontournable pour espérer les mettre enfin sur la voie du développement, devrait nécessairement passer par la reconnaissance de la légitimité de la volonté des peuples à déterminer librement leur mode de gouvernance et les termes de la coexistence avec les autres peuples dans les espaces partagés.
Les animateurs de cette nouvelle vague populiste gagneraient en crédibilité s’ils proposaient une ligne idéologique reposant sur un véritable projet politique susceptible d’offrir un nouvel élan permettant au continent de réaliser son potentiel et d’en faire un authentique acteur sur la scène internationale, et non un simple objet de convoitise du reste du monde.
L’hostilité à la France et à l’Occident ne saurait tenir lieu de viatique du panafricanisme sans prendre le risque de n’être que gesticulation agglomérant essentiellement autour d’elle des frustrations multiformes, y compris de ceux qui ne parviennent pas à obtenir des visas pour ces pays.
Les autorités françaises actuelles réalisent que les pratiques mafieuses aux relents colonialistes utilisées par certains cercles ont fini par saborder le potentiel sur lequel la France aurait pu construire des relations saines et durables avec ses anciennes colonies. La France a fini par perdre tout contact avec les peuples sahéliens. Elle a mis du temps à comprendre que ses rapports avec les seuls systèmes politiques, qu’elle a mis en place et protégés depuis les indépendances, ne suffisent plus à maintenir sa position et à protéger ses intérêts au Sahel. Si la France semble aujourd’hui en difficulté, c’est aussi parce qu’elle a choisi d’ignorer les peuples et de traiter exclusivement avec des cercles de légalité, qu’elle a elle-même fabriqués et qui sont le plus souvent en décalage avec les réalités socioculturelles des territoires concernés.
Les pays africains, dans l’affirmation de leur souveraineté et dans le souci de faire appel à tout partenariat qui pourrait contribuer à leur développement, diversifient déjà leurs relations internationales et ont toujours développé des politiques de coopération avec les autres pays du monde, y compris avec les pays émergents, au gré des opportunités et du dynamisme de leur politique étrangère.
Le drame du Sahel est l’absence de projet politique susceptible de sortir la Sous-région du chaos actuel. La fixation sur la France évite de questionner la responsabilité des élites dans la situation actuelle. La quasi-absence de tout débat sur les questions structurelles et de la gouvernance montre que le Sahel risque de connaître encore des jours sombres mettant en péril la survie des États actuels. Au Mali et au Niger par exemple, les classes dirigeantes ne parviennent pas à comprendre que la survie de ces pays passe nécessairement par l’élaboration d’un pacte national qui lie les communautés pour faire nation. Elles se satisfont d’une navigation à vue et de la recherche de boucs-émissaires pour expliquer et éclipser leurs propres insuffisances.