Partout en Afrique noire, la chefferie est une institution autour de laquelle se greffent et se cristallisent des rivalités et des enjeux multiples : enjeux liés au mode d’accès au trône, enjeux liés à la gestion des projets de développement, enjeux fonciers, enjeux liés au mode de dévolution successorale, etc. A des degrés divers, toutes les chefferies du Niger connaissent ces problèmes. Le plateau du Zigui (département de Dosso) fait partie des régions du pays où l’histoire de la chefferie, est mal connue. De ce fait, elle est controversée et suscite beaucoup de commentaires.
S’agissant de l’histoire de la chefferie de Dosso, il y a un grand déséquilibre entre les connaissances sur la période coloniale et les connaissances sur l’histoire précoloniale. Ce déséquilibre est tel que pour certains nigériens, l’histoire du Zigui commence avec la colonisation. Aujourd’hui encore, c’est cette vision et cette perception qui est véhiculée et médiatisée. L’histoire locale, telle que transmise de génération en génération, connue de tous dans le Zigui, accordant une large place à l’histoire précoloniale, n’a pas fait l’objet d’études universitaires approfondies. Aucune thèse d’histoire n’a été soutenue sur la province historique du Zigui. Aussi, peu de personnes, connaissent le mode de transmission du pouvoir dans le Zigui précolonial.
Le Zigui a une histoire et une coutume régissant la succession des Zarmakoye
Le système, de nos jours un peu galvaudé et appelé « Dosso-Dosso », était un processus original et égalitaire par conséquent démocratique. Sous l’autorité et la supervision du Sandi, chef du clan des Sabiri, premier occupant de la cité le mode de succession au trône reposait sur l’alternance du pouvoir au sein des quatre (4) lignages représentant les quatre (4) premiers quartiers de la cité : Kwarategui, Mangué-kwara, Oudounkoukou et Sirimbey. A l’époque précoloniale, de Tagour Gana (17ème siècle) le fondateur du 1er royaume, au Zarmakoye Attikou Marou (1896-1902), aucun prince n’a été Zarmakoye sans qu’il n’ait été auparavant investi Yarima. Lorsqu’on intronise un prince Boukar-Fu (Oudounkoukou, Kwarategui, Sirimbey et villages issus), parallèlement un autre prince de la lignée Bouyaki-Fu (quartier Manguékwara et villages issus) est investi Yarima. Yarima était la deuxième personnalité de la cour, le dauphin, successeur élu du Zarmakoye. Le Yarimatarey régulait ainsi l’alternance entre le Boukar-Fu et le Bouyaki-Fu d’une part, et d’autre part, l’alternance entre les principaux quartiers à l’origine de la cité de Dosso. Ce système a été interrompu par le colonisateur.
· manipulation d’une histoire
En matière de chefferie traditionnelle, après la mort d’un souverain, la dévolution successorale désigne le transfert du patrimoine (au prime abord le pouvoir politique) à ses héritiers. Afin d’identifier tous les héritiers légitimes, il faut dresser (ou se référer) à une généalogiste dynastique crédible.
Dans le cas qui nous concerne, l’irruption des autorités administratives dans le domaine de l’histoire en se substituant aux historiens (puisque aucun historien n’est consulté), crée une confrontation voire même une compétition entre l’histoire officielle (celle des gouvernants) et l’histoire authentique (celle de la recherché historique).
Comme cette histoire est peu connue, on assiste depuis l’indépendance à des formes d’instrumentalisation et de manipulation. Comment se caractérise cette instrumentalisation ? La première forme d’instrumentalisation du passé par les pouvoirs publics consiste à ignorer la vérité historique et à proposer une autre vision de l’histoire. On forge ainsi un autre mode de transmission du pouvoir dont l’objectif est de légitimer l’exercice du pouvoir et la légitimité de ceux qui l’exercent. Ce mode d’instrumentalisation du passé pour légitimer un pouvoir est vieux comme le monde. C’est ce procédé qu’utilisaient les jurisconsultes romains, des siècles avant notre ère. Après la falsification des généalogies dynastiques, on procède à l’effacement des noms, la destruction des documents, de statuts, des monuments qui font référence aux dynasties ou lignées concurrentes. A Dosso, sur 5 (cinq) siècles d’histoire, nous n’avons que les tombes des Zarmakoye ayant régné depuis la colonisation.
Hier, la généalogie dynastique officielle du palais royal s’estompait à partir de la colonisation (1902). Aujourd’hui, signe de progrès, elle va jusqu’au milieu du 19ème siècle (le règne de Kossom, le père de Aouta), continuant ainsi d’ignorer les 15 (quinze) premiers Zarmakoye de la dynastie depuis le Grand Tagour Gana. Ainsi, du passé des princes rivaux, faisons table rase. Un professeur d’histoire, également agrégé en droit disait : « De toutes les disciplines des sciences sociales et humaines, le droit et l’histoire sont les plus têtues ». Ironie du sort, souvent, des juristes sont utilisés par les pouvoirs pour mutiler l’histoire. Parait-il qu’en droit, les désirs de nos princes peuvent être érigés en loi. Mais l’histoire est têtue. « Chassez le naturel, il revient au galop ». Et, Heureusement, on ne peut, indéfiniment, tordre le cou à l’histoire.
· La gestion de la dévolution successorale à Dosso depuis l’indépendance
En 1962, après la mort du Zarmakoye Hamani Saidou connu sous le nom de Hamani Gnawaize (frère ainé du Zarmakoye Issoufou Saidou et du Sultan Maidanda), le pouvoir de Diori Hamani avait aussi tordu le cou à historie, mais sans maquillage. Le tout puissant Ministre de l’Intérieur de l’époque, Djambala Yansambou Maiga, qui avait déjà signé l’arrêté de nomination du nouveau chef (Zarmakoye Abdou Aouta) à son arrivée à Dosso, aurait tenu ce discours ; « Population de Dosso, je connais votre choix, malheureusement il n’est pas celui du RDA, aussi, je lui ai préféré un de nos militants, un autre prince de Dosso »
Jusqu’à la conférence nationale, le statut des chefs traditionnels et les procédures de nomination des chefs ont très peu changé. A partir de 1993, les conditions et procédures de nomination des chefs traditionnels sont précisées par les dispositions de l’ordonnance n°93-28 du 30 mars 1993 portant statut de la chefferie traditionnelle en République du Niger. Puis, en 2015, une nouvelle loi est adoptée ; il s’agit de la loi 2015-01 du 13 janvier 2015 portant statut de la chefferie traditionnelle en République du Niger. Selon les dispositions de cette loi, les chefs coutumiers sont élus par un collège électoral au scrutin majoritaire uninominal. Cette élection est entérinée par un arrêté du Ministre de l’Intérieur. Toutefois, en ce qui concerne les sultans et les chefs de province, la loi précise : « les chefs de province et les sultans sont désignés selon le mode de nomination consacré par leur coutume respective ».
Aux yeux des pouvoirs publics, à travers ces dispositions, le souci du législateur est d’adapter les conditions de nomination des chefs traditionnels au contexte démocratique dans lequel évolue notre pays depuis la conférence nationale. C’est dans ces conditions qu’ont été élus ou désignés les chefs coutumiers disparus depuis la promulgation de ces textes de loi. Mais, lorsqu’il faut un chef de province à Dosso, la cité des Zarmakoye a toujours eu droit à un traitement spécial ne respectant pas la coutume.
La chefferie coutumière du Zigui, un cas spécial
S’agissant du cas de la chefferie coutumière du Zigui, en 1998, les autorités ont poussé le ridicule jusqu’à proclamer haut, très haut, par la voix des ondes qu’il s’agit d’un cas spécial. En effet, un communiqué du Ministre en chargé de l’administration territoriale, lu sur les ondes de la Voix du Sahel et qui n’a été repris par aucun média public ou privé, a essayé de justifier la procédure de nomination exceptionnelle à la tête de cette chefferie « exceptionnelle ». Le communiqué, lapidaire, incohérent et offensant, a fait preuve d’une méconnaissance totale des modes de désignation des Zarmakoye. On peut résumer en ces termes l’idée retenue par les nigériens qui ont écouté le fameux communiqué radiodiffusé : « de la colonisation à nos jours, les chefs de Dosso ont toujours été nommés par l’autorité politique. En procédant ainsi, nous respectons la coutume des Zarma de Dosso. La logique est ainsi respectée depuis la première nomination d’un Zarmakoye par l’administration coloniale, en 1902 ».
Dans l’opinion publique nigérienne, personne n’ignore l’existence des enjeux politiques locaux et nationaux, encore moins les groupes de pression internes et externes. On comprend aisément pourquoi les autorités procèdent unilatéralement à la nomination des Zarmakoye en dépit des règles coutumières appliquées avant la colonisation. L’accaparement du processus par les pouvoirs publics méconnaît (ou feint de méconnaitre) cette réalité socio-historique en écartant systématiquement les candidatures des princes des trois autres quartiers pour ne légitimer que les candidatures provenant d’un seul quartier.
En 1998 puis en 2000, le scénario s’est répété lorsqu’il s’agissait de désigner un successeur au Chef de province de Dosso. Il convient de rappeler qu’en août 2000, la volte-face du Ministre de l’Intérieur qui, à la suite de l’arrêté (N° 226/MI/AT/DAPJ/SACR du 9 août 2000) publié par voie de presse et portant liste des candidats (19 au total dont 9 issus de quartiers autres que Sirimbey) à la Chefferie de la Province de Dosso. Le Ministre de l’Intérieur demandait à la Cour d’Etat que : « L’étude préliminaire des dossiers reçus a conclu à la légitimité de l’ensemble des candidatures (les 19 cités plus haut), plusieurs réactions nous sont parvenues à propos de cette liste, j’ai préféré suspendre la procédure en attendant de recueillir votre avis sur la légitimité des candidats du point de vue juridique et conformément à l’Ordonnance 93-028 du 30 mars 1993, portant Statut de la Chefferie Traditionnelle. A suivi « sa brève genèse de cette chefferie » où le Ministre s’est érigé en historien pour s’exprimer en ces termes : « Avant la colonisation la province de Dosso n’existait pas ; il s’agissait d’une chefferie de village ; la province a été créée par le colonisateur et le premier chef a été nommé par l’administration coloniale. Etant donné que les prétendants à la candidature venant des autres quartiers n’ont jamais eu de chef issu de leurs familles après la création de la province, il m’a semblé qu’ils ne peuvent pas prétendre légitimement à être candidat »
Dans les deux cas, les arguments évoqués ne reposent sur aucune réalité sociologique encore moins un fondement historique. Ces propos peuvent être traduits en ces termes : « s’agissant de la dévolution successorale des Zarmakoye, la communauté coutumière Zarma de Dosso n’a pas de coutume, si elle existe, elle date de la colonisation ; en faisant comme le colonisateur, nous respectons la coutume ». Qu’il s’agisse du communiqué de 1998 du ministre en charge de l’administration territoriale ou de la correspondance du mois d’août 2000 du ministre de l’intérieur au Conseil d’Etat, dans les deux cas, au-delà de l’ignorance de l’histoire et des pratiques coutumières d’une population, il s’agit de propos méprisant à l’endroit de toute une communauté coutumière, de ses origines et de sa culture.
Mais soyons prudents. Pour éviter toute interpellation par un juriste ou un politologue, dans ces courts extraits, nous n’allons développer que des arguments historiques pour démontrer l’ignorance et la mauvaise foi qui caractérise le raisonnement officiel.
·Premièrement : toute l’argumentation des pouvoirs publics repose sur l’idée selon laquelle, la province a été créée par le colonisateur. Cela suffit pour justifier l’élimination des autres candidats.
Soit, acceptons le raisonnement : la province de Dosso a été créée pendant la colonisation. Pourquoi cette assertion n’est pas étendue aux autres provinces (aujourd’hui sultanats) créées, elles aussi, par le colonisateur ? Il s’agit des chefferies du Katsina (Maradi) et du Gobir (Tibiri). Il y a là, manifestement deux poids, deux mesures dans l’application de la loi portant statut de la chefferie traditionnelle au Niger.
·Deuxièment : il n’appartient pas à un Ministre de l’intérieur de dire depuis quand date une chefferie coutumière. Cela ne relève ni de sa compétence ni de ses prérogatives. L’Université Abdou Moumouni de Niamey, depuis sa création dispose d’un département d’histoire créé à cet effet. Si le Ministre de l’intérieur de l’époque l’avait souhaité, un simple étudiant en licence d’histoire (BAC+3) peut, à partir d’une technique dite de la « durée moyenne des règnes », élaborer et analyser la généalogie dynastique des Zarmakoye du Zigui. Le Ministre en question allait savoir que depuis sa création il y a 5 (cinq) siècles, le Zarmakoytarey dit Boukar- Benda (héritier légitime du grand Tagour) a eu 3 (trois) capitales. La capitale a été déplacée deux fois dans l’histoire, (de Kobi à Goudel au 17ème siècle, puis de Goudel à Dosso au début du 18ème siècle). La chefferie a connu 26 souverains du grand Tagour (le fondateur du 1er royaume Zarma post-migration) au Sultan Maidanda Seydou Djermakoye.
·Troisièmement : Contrairement à une idée répandue, le Zarmakoye Aouta, 19ème de la dynastie (Boukar-Benda) n’est pas sorti par miracle d’un chapeau de magicien. Il n’était pas sans lien avec la chefferie coutumière du Zigui. Sa désignation par les français a été possible grâce à son statut de prince de Sirimbey. Son père Kossom a régné de 1855 à 1865. Le colonisateur, dans son intérêt (mais aussi celui de Aouta Kossom), a juste accéléré son couronnement au détriment du Yarima de Oudounkoukou, prince héritier légitime. L’idée selon laquelle une nouvelle chefferie du Zigui est créée en 1902 par un prince (dont le père a régné cinquante ans auparavant) relève au mieux de l’ignorance, au pire de la manipulation de faits historiques attestés. Comprenons-nous, Aouta n’a pas créé une nouvelle chefferie. Il fut certes un prince de Sirimbey, mais le colonisateur l’a imposé pour succéder à Attikou (1896-1902) au sein d’une dynastie régnante, celle des « Boukar-Benda ». Ainsi, Si l’on suit le raisonnement du ministre de l’intérieur, historiquement nous sommes en présence d’une nouvelle chefferie Zarma crée en 1902. Cependant, les pouvoirs publics n’affirment pas avoir supprimé et enterré la chefferie coutumière authentique du Zigui héritée de Mali Béro et du Grand Tagour. Pourquoi ne pas dire clairement à la population du Zigui « circulez, il n’y a rien à voir, l’ancienne chefferie coutumière n’existe plus. Elle est enterrée avec toute son histoire, sa culture, son mode de succession, ses 18 Zarmakoye qui se sont succédé ; une nouvelle chefferie a commencé avec la colonisation ; c’est elle qui est légitime à nos yeux »
Que conclure ?
De la part des pouvoirs publics, une autre attitude, salvatrice celle-là, existe : face à la superposition de « deux chefferies coutumières », l’une réelle, l’autre fictive, l’une coutumière et d’origine précoloniale, l’autre de création coloniale (dit-on), les pouvoirs publics peuvent, dans un élan souverainiste, laisser à la communauté coutumière du Zigui de choisir librement et démocratiquement sa véritable chefferie et y appliquer sa coutume.
Par Professeur Emérite Boureima Alpha Gado
Université Abdou Moumouni de Niamey
Département d’Histoire