Face à la levée de boucliers des consommateurs provoquée par la dernière hausse des tarifs des communications, l'Autorité de régulation (ARCEP) a demandé aux opérateurs, au cours d'une réunion tenue ce lundi à son siège, de revoir leurs dernières offres de manière à ne pas pénaliser les abonnés tout en respectant le prix plancher fixé par le gendarme des télécoms. Un jeu d'équilibre qui risque de ne pas contenter les consommateurs, lesquels se cherchent de nouvelles alternatives tout en s'organisant pour faire pression sur le gouvernement et les autorités afin que les prix baissent.
Le réveil a été assez brutal hier dimanche 15 janvier pour des millions d'abonnés des principaux opérateurs télécoms du pays. Comme annoncé par certains opérateurs depuis quelques jours, de nouveaux tarifs sont entrés en vigueur à cette date conformément, selon l'annonce, à une directive datant du 30 août dernier de l'Autorité de régulation des communications électroniques et de la poste (ARCEP). La hausse constatée sur certains tarifs a atteint plus de 70% pour certains forfaits notamment ceux de l'internet, ce qui a provoquée une véritable levée de boucliers chez les consommateurs.
En dépit des assurances données par le régulateur sur la libre fixation des prix par les opérateurs dans un secteur libéralisé au Niger, les nouveaux tarifs ont, en effet, de quoi provoqué la colère des clients dont certains ont aussitôt appelés au "boycott" alors que d'autres ont préféré migrer vers les compagnies où les hausses ont été les moins prononcées.
Indexé, le gendarme des télécoms réfute en bloc !
Dans une sortie médiatique la semaine dernière sur la télévision nationale, Tahirou Mamadou, Directeur des réseaux et services de communications à l'ARCEP, s'est mis en porte-à-faux du prétexte servi par certains opérateurs pour l'élaboration des nouvelles offres qui se sont traduites par une hausse des tarifs. Il a en ce sens rappelé les dispositions de l'article 35 de la loi 2018-45 portant réglementation des prix des télécommunications au Niger qui prescrivent la liberté de fixation des tarifs par les opérateurs. "L'Arcep n'a aucun au pouvoir sur la fixation des prix par les opérateurs", a indiqué M. Massaoudou qui a, toutefois reconnu que dans le cadre de sa mission de veille en vue d'assurer l'équilibre du marché et de veiller à la protection des consommateurs, l'ARCEP a réalisé une étude afin d'identifier les problèmes qui freinent le développement du secteur et d'apporter solutions aux goulots d'étranglement relevés. Conformément aux instructions du Président de la République Bazoum Mohamed lors de sa rencontre avec les responsables des compagnies télécoms opérant au Niger le 07 mai 2021.
Selon le Directeur des réseaux et des services d'information de l'ARCEP, cette étude a permis, entre autres, de constater une prolifération des promotions communément appelées "bonus", ce qui impacte négativement la transparente visibilité des consommateurs sur la visibilité des offres des différents opérateurs. "Il a été constaté une telle abondance des offres promotionnelles dites "bonus" que le client se retrouve lui-même perdu", a commenté Tahirou Massaoudou. C'est en ce sens qu'afin d'assurer la viabilité du secteur et permettre aux abonnés de se retrouver sur les offres et la qualité des services, que le gendarme des télécoms a décidé de recourir à la fixation de ce prix plancher pour les opérateurs à travers notamment la réduction de l'abus des offres promotionnelles qui ne sont pas forcément profitables aux utilisateurs. Pour l'autorité de régulation, la fixation de ce prix plancher ne veut pas dire donc une hausse des tarifs pour les utilisateurs comme le laissaient entendre les annonces faites par certains opérateurs et qui s'est par la suite avérée dès le 15 janvier 2023 avec la hausse exponentielle constatée des prix des différentes offres.
Les opérateurs rappelés à l'ordre par le régulateur
Face au tollé général provoqué par cette dernière hausse des tarifs sms, appels et internet, le gendarme des télécoms, l'ARCEP a initié une rencontre ce lundi 16 janvier 2023 à son siège avec les représentants des différentes compagnies de la place (Airtel, Zamani, Moov et Niger Télécoms). A l'issue de la très attendue réunion, l'ARCEP a demandé aux différents operateurs de revoir leurs offres afin de ne pas pénaliser les utilisateurs tout en respectant le tarif plancher.
A l'issue de la rencontre qui a été présidée par la Présidente du Conseil national de régulation et à laquelle ont pris part des représentants de la Primature et du ministère des Télécommunications, les opérateurs se sont engagés à réviser les nouveaux tarifs pour tenir compte des nouvelles directives du régulateur et des autorités. Selon le Directeur général d’Airtel Niger, M. Abdellatif Bouziani, qui parlait au nom des opérateurs du pays, l’adoption de nouvelles tarifications a été faite dans l’incompréhension d’une décision de l’ARCEP en date du 31 août 2022. "Tous les opérateurs étaient unanimes que c’était juste une question d’incompréhension d’une décision qui a été prise il y a six mois, depuis le mois d’août", a déclaré M. Bouziani qui a expliqué que "la décision d’ARCEP a été prise pour revoir un peu les tarifs et faire le ménage dans le marché des télécommunications, pour permettre à tous d’avoir un meilleur service de qualité et offrir les meilleurs tarifs les plus adaptés que tous les opérateurs sont en train d’offrir et permettre aux opérateurs de pouvoir survivre et continuer à investir, à offrir la meilleure qualité de service possible à travers le territoire national ". Par conséquent, a indiqué Abdoullatif Bouziani, " aujourd’hui, on s’est tous mis d’accord pour revenir, que chacun va revenir vers ses équipes pour revoir cette décision et voir comment l’adapter pour être plus près de la décision qui a été prise par le pouvoir public (…) pour offrir les meilleurs tarifs et avec aussi une meilleure qualité le plus tôt possible".
La balle est donc désormais dans le camp des opérateurs qui, à défaut de revenir sur les anciennes offres, vont devoir réajuster leurs prix. Avec l'objectif de contenter les consommateurs qui attendent de voir la suite qui sera donnée à cette rencontre ainsi que la position du gouvernement qui dit suivre avec attention le dossier.
D'ici-là, la riposte est en train de s'organiser chez les utilisateurs qui se plaignent déjà de la léthargie des associations des consommateurs. Plusieurs associations de la société civile se préparent à hausser le ton pour défendre les droits des consommateurs. Il faut dire qu'en l'absence de statistique fiable, les appels spontanés au "boycott" lancés sur les réseaux sociaux à partir de ce lundi, risquent d'avoir qu'un faible impact sur le marché bien que la pression se fait déjà sentir tant sur les autorités qu'au niveau des opérateurs dont certains ont commencé à perdre des clients.
Il importe de souligner qu'au delà de ce jeu de passe que se livet désormais l'Autorité de régulation et les opérateurs télécoms, c'est le gouvernement qui est interpellé. Lors de sa rencontre avec les responsables des différents opérateurs de télécommunications le 07 mai 2021, le Président de la République a brossé un tableau sombre de secteur au Niger dans un contexte marqué par l’essor des économies de plus en plus financiarisées et numérisées. Le Chef de l'Etat avait ainsi regretté que le secteur des télécoms n'ait pas connu ces dernières années, le développement auquel il était promis. "Aujourd’hui les services de télécommunications au Niger sont très chers, plutôt de mauvaise qualité, caractérisés par des faibles débits, un accès très limité et peu vulgarisé" avait déploré le Président Bazoum qui a, à titre d'exemple fait remarquer que le taux de pénétration n’est que de 43% environ au Niger quand il frôle les 100% dans des pays comme le Mali et le Burkina. Le taux de pénétration de l'internet mobile est lui de moins de 20%, alors que dans les pays limitrophes, il se situe à environ 30%. Plus inquiétant encore, avait ajouté le Président Bazoum, le pourcentage de comptes de monnaie électronique actifs n’est que de 3% alors qu’il est de 45% dans des pays dont les économies sont comparables à celle du Niger. Le Président de la République avait alors appelé les opérateurs à plus d'efforts pour développer ce secteur soulignant que, "notre objectif est de donner au peuple nigérien un accès à des services de télécommunications de qualité à un coût abordable et cela particulièrement, au profit des jeunes, des femmes, des petites et moyennes entreprises qui constituent la colonne vertébrale de notre économie, ainsi que son avenir ". Avec cette nouvelle hausse des tarifs, le moins que l'on puisse dire, c'est que les opérateurs ne s'inscrivent pas dans la dynamique prônée par les autorités.