L’ambassadeur de la Fédération de Russie près le Bénin Igor Evdokimov, a réagi après le discours du président français sur sa stratégie pour l’Afrique. Selon le diplomate russe, l’allusion faite à son pays ou à la Chine comme prédateurs en Afrique, n’est d’un leurre dans le cadre d’une tentative désespérée de la France et de l’occident collectif pour « maintenir empire néocolonial ».
1- Dans son discours le président Macron a fait allusion à la Russie et la Chine qui gagnent de l’influence en Afrique et estime qu’elles sont dans une logique de prédation sur le continent par la force militaire et financière. Quelle est votre lecture de cette façon de voir français de la coopération entre l’Afrique et la Russie?
Réponse: La politique de la Russie, ainsi que celle de la Chine, partenaires de longue date de l’Afrique, est pragmatique et repose naturellement sur un équilibre des intérêts nationaux. Nous établissons des relations d’égal à égal et respectons la souveraineté des pays africains et leur droit inaliénable à déterminer eux-mêmes leur politique intérieure et étrangère. Dans le même temps, une concurrence saine et équitable ne fait jamais de mal. C’est la principale différence entre les approches fondamentales de la Russie et celles des anciennes métropoles occidentales, y compris la France.
2- Avec cette obligation apparente de Macron d’exposer la stratégie de la France pour l’Afrique, peut-on en déduire qu’il s’agisse d’une sorte de tentative de reconquête d’une certaine influence perdue sur le continent?
-La Première ministre norvégienne avait reconnu que la coopération de son pays avec l’Afrique est pour stopper l’influence russe et chinoise. Pensez-vous que Macron soit dans la dynamique d’un plan européen contre Moscou et Pékin en particulier?
Réponse: Plus généralement, il s’agit d’une tentative désespérée de l' »Occident collectif » de maintenir son empire néocolonial, qui lui a permis pendant de nombreuses années d’ignorer la souveraineté des pays africains, et pas seulement, et de continuer à piller leurs populations. Aujourd’hui, surtout après que les chemins entre la Russie et l’Occident se sont séparés sans que ce soit notre faute, les pays occidentaux sont confrontés à l’urgence de trouver des nouvelles sources des ressources vitales pour soutenir leurs industries et développer leurs économies et, de préférence, à un coût minimal. Leur objectif est désormais de résoudre, pourrait-on dire, des problèmes existentiels. En témoignent les outils qu’ils utilisent, pour la plupart « antisportifs » : « lois » restreignant les activités de la Russie en Afrique, sanctions, listes d’exclusion, menaces, chantage.
Il est clair que les habitudes sont difficiles à changer, c’est pourquoi le renforcement du partenariat de la Russie avec l’Afrique est perçu dans un certain nombre de capitales occidentales comme un affront personnel. D’où leur travail actif auprès des Africains pour contrer notre pays sur le continent. Cependant, la Russie jouit auprès des Africains d’une réputation élevée et bien méritée de partenaire et d’ami fiable, prêt à venir en aide dans les situations difficiles. À notre avis, il sera difficile pour Paris de s’y opposer.
Comme l’a déclaré le Ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, lors de sa visite de travail au Mali en février 2023, nous assistons à une récurrence de la mentalité coloniale sur le continent africain, à des tentatives de construire des relations « à l’ancienne », celles du « maître » et de l' »esclave ». Avec la grande majorité d’autres pays africains, nous pensons que les anciennes métropoles devraient oublier comment elles ont conquis et exploité le territoire et le continent. Elles devraient s’habituer au fait que le monde a changé. La Déclaration de 1960 sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux n’était pas une imitation de la diplomatie, mais un document approuvé à l’unanimité par l’Assemblée générale des Nations unies. En tant que telle, la Déclaration est contraignante. Les anciennes métropoles devraient respecter les décisions adoptées sur une base universelle et connaître leur place dans le format actuel de développement des relations internationales.
3- Le discours de Macron est resté pour le reste assez confus et réelle proposition pour un partenariat gagnant gagnant entre Paris et l’Afrique. Qu’en avez-vous pensé en tant que diplomate?
Réponse: Je ne veux pas m’attarder sur le discours d’Emmanuel Macron. Je peux parler au nom de mon pays. Nous construisons des relations avec l’Afrique en dehors du contexte de l’influence française – passé, présent et futur. Nous sommes intéressés par ce que pense l’Afrique – l’Union africaine, les pays individuels. Nous sommes intéressés par leur opinion. Contrairement à la France, notre position de principe n’a jamais changé, que ce soit à l’époque soviétique ou dans la Russie d’aujourd’hui. Nous avons toujours considéré les pays africains comme des partenaires souverains et indépendants. Avec chaque pays, nous avons nos propres relations. Nous n’avons pas besoin de conseils de Paris.
Pour conclure, je voudrais répéter encore une fois les mots de Sergueï Lavrov. Il a dit qu’Il n’y a rien à ajouter quant à savoir par qui et comment sont traités les besoins et les intérêts des pays africains. Nous n’avons rien à cacher et nous n’avons rien à avoir honte. Nous étions à l’origine de la libération de l’Afrique du « joug colonial ». L’Union soviétique a été l’un des principaux initiateurs de la Déclaration de 1960 sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux. Comme nous l’avons vu ces derniers temps, la rechute des instincts coloniaux suscite une réaction qui est décourageante pour les illusions de nos partenaires occidentaux qui ne veulent pas accepter que la marche de l’histoire nous a finalement amenés à respecter les principes de la Charte des Nations unies sur le respect de l’égalité souveraine des États.