L’une de souffrances des populations nigériennes est le départ massif des jeunes gens, les bras valides, en exode. Pendant particulièrement les 9 mois que leur impose la saison sèche, ces jeunes aventuriers vont dans les pays côtiers pour chercher fortune.
Ils reviennent au pays pendant la saison des pluies avant de repartir juste après les récoltes. Cette transhumance est devenue le quotidien des Nigériens, surtout des campagnes. Le hic dans ces déplacements à l’origine temporaire, c’est qu’ils deviennent souvent à long terme et même définitif pour certains. C’est le cas de Anza qui après trois années passées à Abidjan, s’est décidé à rentrer la semaine dernière au Niger, à Zanguio, son village songhaï. A 51 ans, Anza est un vieil homme rangé qui n’était parti à Abidjan que pour une année.
Après, la route en a décidé autrement et il a fini par s’installer, prenant le soin de se faire rejoindre par ses deux épouses et trois de leurs enfants les plus petits. A présent, toute l’aventure est terminée. Anza rentre au Niger avec toute sa famille. Son choix a porté sur une récente compagnie de transport, de beaux et solides bus. Après Ouagadougou, le vin semble presque tiré ; Anza se sent de plus en plus se rapprocher de sa légendaire terre nigérienne. Il était environ minuit et le bus avalait les kilomètres quand soudain, des coups de fusil éclatent : on tire de partout.
C’est la débandade dans le bus où les gens se cachaient sous les sièges. Des pleurs de femmes, des enfants et même des plus couards parmi les hommes. Des fatiha, des versets du coran et des « eh Seigneur » fusent de partout. C’est alors que, prenant son courage à deux mains, Anza rassemble sa petite famille et plonge en dehors du bus. Direction la forêt. Malgré deux enfants chargés sur l’épaule, Anza fuyait tel un lièvre vers les arbres qui l’engloutissent. Il intime aux deux femmes et à un des enfants de prendre une autre direction, histoire de multiplier les chances de pérenniser la progéniture.
Suivi d’un groupe de jeunes ‘’exodants’’ qui jacassaient dans le bus avant la mésaventure, Anza prenait la tête du groupe qui a du mal à le suivre dans ses foulées. Pourtant, Anza avait la tête blanchie par l’âge. Tout en courant, les jeunes ne manquaient pas de lâcher quelques remarques sur la forme de ce vieillard qui leur donne du fil à retordre dans cette course forcée. Les jeunes suffoquaient et haletaient au moment où Anza ne faisait que redoubler de vitesse. Arrivés à une broussaille, les jeunes essoufflés s’arrêtent et proposent à Anza de s’y camoufler. Anza s’arrête, repositionne ses enfants sur l’épaule avant de lâcher : « Encore quelques pas !».
Il engage la course à nouveau au moment où beaucoup de jeunes sont déjà assis pour reprendre leur souffle. Cent mètres plus loin, il redépose ses deux enfants et rejoint le groupe des jeunes. Il leur tend une bouteille d’eau minérale et, tous sont surpris d’où est ce qu’il a pu la tirer. Il leur fait comprendre qu’elle était coincée dans son aisselle durant tout le parcours. Tous étaient ahuris. De l’autre côté, les coups de fusils se sont estompés depuis belle lurette. Plus d’une heure s’est écoulée. Soudain, un haut-parleur se met à débiter : « sortez de la forêt et regagnez vos bus ». Ce sont les militaires appelés en renfort. Anza et son groupe rejoignent le bus.
Ceux qui y sont restés ont été copieusement dépouillés de leur argent. Des blessés sont enregistrés. Le bus repart dans un calme inouï. Les jeunes ne cessent de jeter un coup d’oeil sur Anza. A l’arrivée, un jeune homme s’approche de Anza et lui dit : « Vieux, vous êtes vraiment solide dans les jambes ».