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« L’option d’une intervention militaire de la CEDEAO contre le Niger n’est pas défendable du point de vue juridique » Mme ABDOU ASSANE Zeinabou, Professeure Agrégée de Droit Privé et Sciences Criminelles des Universités du CAMES

Publié le vendredi 18 aout 2023  |  Le Sahel
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© Le Sahel par DR
Mme ABDOU ASSANE Zeinabou, Professeure Agrégée de Droit Privé et Sciences Criminelles des Universités du CAMES
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Professeur, le Niger fait face à un blocus financier et aussi de mouvement de la part de la CEDEAO et de l’UEMOA à la suite des événements du 26 juillet 2023. Ces sanctions prises contre le pays et sa population se justifient-elles dans les chartes fondatrices de ses deux organisations ?

Avant de revenir sur les sanctions prises par la CEDEAO et l’UEMOA contre le Niger, permettez-moi d’abord d’évoquer le contexte dans lequel les événements du 26 juillet 2023 sont intervenus. Nous savons tous que le Niger fait face, depuis des années à une crise sécuritaire majeure due au terrorisme qui a d’ailleurs occasionné le déplacement massif des populations des zones affectées vers les grandes villes. Depuis plus de dix (10) ans en effet, le Niger est en guerre contre le terrorisme : d’abord à l’Est contre Boko Haram qui avait déstabilisé la région de Diffa, ensuite à l’Ouest, la zone des trois frontières dans la région de Tillabéri qui est devenue une zone de non droit où la population, laissée pour compte, est rançonnée, tuée et obligée de payer les impôts par des terroristes sans foi ni loi.

Pour revenir aux sanctions, il faut rappeler qu’elles ont été prononcées suite aux événements du 26 Juillet dernier, par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) tenue le 30 Juillet 2023 qui a demandé aux militaires de restaurer l’ordre constitutionnel en rétablissant Mohamed Bazoum dans ses fonctions. Cette décision était accompagnée d’un ultimatum de sept jours (du 31 juillet au 06 Août 2023). Bien évidemment, il s’agit de sanctions inédites et d’une extrême gravité à divers égards contre notre pays. Elles sont illégales car dépourvues de tout fondement juridique. Au total, neuf (9) sanctions ont été prises en bloc parmi lesquelles on peut citer la fermeture des frontières terrestres et aériennes entre les pays de la CEDEAO et le Niger; la suspension de toutes les transactions commerciales et financières et celles de service entre les Etats membres de la CEDEAO et le Niger. Non seulement, ces sanctions sont illégitimes, inappropriées et inacceptables, mais elles ont aussi des conséquences graves sur les populations durement éprouvées par des années d’insécurité. En plus elles n’ont pas été prises par graduation comme le préconise le protocole additionnel de la CEDEAO. Et d’ailleurs la CEDEAO est une organisation régionale qui œuvre pour la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux conformément à l’article 2, 3 et 6 de son Traité. Au lieu d’œuvrer pour la promotion de la suppression des obstacles entravant cette liberté de circulation, c’est elle-même qui entrave cette liberté. Cela constitue une violation du droit communautaire de la CEDEAO par la Conférence des Chefs d’Etat.

Y’a-t-il des solutions légales pour contourner ses sanctions financières ?

Il n’y a pas que les sanctions financières, il y aussi les autres sanctions notamment les suspensions des transactions commerciales et des transactions de prestations de service qui ont des conséquences graves sur la population.

Pour faire face dans l’immédiat aux diverses sanctions financières imposées par l’UEMOA et la CEDEAO, les autorités nigériennes devront penser à la création d’une monnaie locale virtuelle dans le cadre du Pan-African Payment and Settlement System (PAPSS) pour régler ses transactions. Il fait partie d’un marché régional et continental ouvert, il pourra donc utiliser cette monnaie virtuelle pour conclure des transactions.

Pour remédier dans l’immédiat aux suspensions des transactions citées plus haut, notamment la privation d’électricité car vous n’êtes pas sans savoir que le Nigeria a suspendu la fourniture d’électricité en méconnaissance du contrat de prestation de service qui le lie avec l’Etat du Niger, il est urgent d’avoir une politique locale de production de l’énergie alternative (solaire, électrogène) et inciter la population à réduire sa consommation en électricité. Parallèlement, les autorités doivent accélérer la finition du barrage de Kandadji et étudier la possibilité de construction d’une centrale nucléaire civile pour garantir aux générations futures une souveraineté énergétique.

Pour les produits alimentaires de première nécessité et les produits pharmaceutiques qui commencent à manquer, des solutions immédiates doivent également être trouvées et cela devrait commencer par la sécurisation des voies avec les pays voisins qui ont manifesté leurs soutiens au Niger notamment le Burkina Faso et le Mali afin de faciliter la circulation des biens et des personnes et donc l’acheminement de ces produits vers le Niger. La question de la sécurisation des voies dépendra des dispositifs sécuritaires mis en place de part et d’autre. Dans le même sens, les commerçants nigériens pourront faire passer leurs marchandises par le port de Guinée. Le Mali l’avait fait lorsqu’il était sous embargo.

‘’L’option d’une intervention militaire n’est prévue ni par le Traité révisé de la CEDEAO de 1993, ni par son protocole additionnel de 2001, en l’occurrence le Protocole A/SP1 :12/01’’

La menace d’intervention militaire brandie par certains pays de la CEDEAO est-elle défendable légalement au vue des textes qui fondent la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest ?

L’option d’une intervention militaire de la CEDEAO contre le Niger n’est pas défendable du point de vue juridique. Car, faut-il le souligner, il s’agit d’une option illégale et inappropriée. Elle est illégale car elle n’est prévue ni par le Traité révisé de la CEDEAO de 1993, ni par son protocole additionnel de 2001, en l’occurrence le Protocole A/SP1 :12/01 sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance Additionnel au Protocole relatif au Mécanisme de Prévention, de gestion, de Règlement des Conflits, de Maintien de la Paix et de la sécurité du 10 Décembre 1999. Aussi, la CEDEAO aurait dû s’inspirer des sanctions contenues dans ses textes notamment l’article 45 du protocole précité qui dispose : « 1. En cas de rupture de la Démocratie par quelque procédé que ce soit et en cas de violation massive des Droits de la Personne dans un Etat membre, la CEDEAO peut prononcer à l’encontre de l’Etat concerné des sanctions.

2. Lesdites sanctions à prendre par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement peuvent aller par graduation : l Refus de soutenir les candidatures présentées par l’Etat membre concerné à des postes électifs dans les organisations internationales ; l Refus de tenir toute réunion de la CEDEAO dans l’Etat membre concerné ; l Suspension de l’Etat membre concerné dans toutes les Instances de la CEDEAO ; pendant la suspension, l’Etat sanctionné continue d’être tenu au paiement des cotisations de la période de suspension ».

C’est dire ici qu’une intervention militaire ne fait pas partie des sanctions prévues par les textes de la CEDEAO. Au surplus, l’article 58 du Traité révisé de cette organisation fait obligation aux Etats d’œuvrer à la préservation et au maintien de la paix, de la stabilité et de la sécurité dans la région en privilégiant le dialogue, la consultation, la conciliation, la médiation et autres modes de règlements pacifiques des différends (cf. alinéa 2 (e) de l’article 58). En somme la voie diplomatique doit être privilégiée dans cette situation.

Quelles sont les moyens légaux dont disposent le Niger pour tenir responsables, devant les juridictions internationales, une organisation ou un pays qui intenterait à sa souveraineté ou à son intégrité territoriale ?

La CEDEAO est une organisation régionale dotée d’une Cour de Justice qui a notamment comme missions le maintien d’un environnement juridique favorable à la réalisation des buts et objectifs de la communauté et plus précisément la promotion de l’intégration socio-économique des Etats membres à savoir la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux. Les sanctions imposées par cette organisation au Niger asphyxient économiquement le pays. Il s’agit là d’une violation du droit communautaire qui ouvre la possibilité pour l’Etat du Niger d’engager des poursuites contre la Conférence des Chefs d’Etat pour les décisions qu’elle a prise, mais aussi contre les Etats membres appliquant ces sanctions. C’est l’article 9 du protocole additionnel A/P.1/7/91 de la Cour de Justice de la Communauté. Le Niger peut aussi engager des poursuites contre le Bénin et le Nigeria qui ont suspendu les contrats de prestations de service les liant à l’Etat du Niger. Dans ce sens la Cour Internationale de Justice peut être saisie. Mais si dans les contrats de prestations de service, les juridictions compétentes ont été désignées pour régler ces différents, ce sont ces juridictions-là qui seront saisies ; à défaut de choix, dans chaque cas d’espèce c’est le contrat qui nous renseignera sur la juridiction à saisir.

La posture adoptée par la CEDEAO aura-t-elle un impact sur la lutte contre le terrorisme et la protection des droits des civiles en zones de conflit ? Si oui, que faut-il faire pour préserver les droits des populations ?

Bien évidemment, la posture va-t’en guerre de la CEDEAO qu’on observe depuis quelques années ne résoudra aucun problème politique ou démocratique et n’aura certainement pas d’impact sur la lutte contre le terrorisme. Au contraire, une fois que la guerre aura éclaté personne ne pourra assurer la protection des populations civiles et pire le terrorisme profitera de cette situation pour prendre de l’ampleur. En somme, l’option d’une intervention militaire risquerait de plonger la sous-région dans une instabilité profonde avec des conséquences désastreuses et inestimables comme l’ont prédit la plupart des experts en sécurité. Et lorsque cette guerre sera déclenchée, on ne le souhaite pas, la CEDEAO ne contrôlera rien du tout. A ce moment-là certains pays viendront jouer les pompiers alors même que ce sont eux qui ont attisé le feu.

Professeure, Quel impact durable aura l’attitude des instances communautaires vis-à-vis du Niger sur l’harmonisation des textes et procédures légales en Afrique de l’Ouest ?

La première conséquence et le risque pour ces instances c’est de pousser le Niger et tous les autres pays d’ailleurs qui ont connu le même sort, à quitter cette organisation puisqu’au lieu de défendre les intérêts de ses Etats membres, cette organisation défend d’autres intérêts. Et pire encore, elle fait subir des souffrances atroces aux populations nigériennes. Sinon, comment comprendre cette volonté farouche des Chefs d’Etat de la CEDEAO de vouloir affamer et asphyxier le peuple pour faire pression sur les autorités militaires. C’est absurde. S’agissant de la légalité de ses textes, la CEDEAO doit tout simplement réviser ses textes et y inclure les actes qu’elle voudra appliquer dans l’avenir, il y va de sa légitimité.

Quel type de Gouvernance préconisez-vous pour surmonter cette période de crise au Niger?

Aujourd’hui, le Niger est en train d’écrire une page de son histoire, celle de reconquérir sa souveraineté, son indépendance effective et son autonomie stratégique vis-à-vis de l’impérialisme occidental et de celle-ci dépendra l’avenir du peuple nigérien dans son ensemble.

La Communauté internationale, les associations et ONGs nationales, sous régionales et régionales et les syndicats demandent le retour à un ordre constitutionnel normal. Il est primordial de rappeler ici la nécessité de respecter les principes fondamentaux de l’Etat de droit ainsi que le respect de la souveraineté et l’autodétermination du peuple nigérien. Ce qui implique alors une transition devant conduire au rétablissement d’un mode de gouvernance choisi et voulu par le peuple nigérien. Dans ce sens, il faut noter que le protocole additionnel de la CEDEAO de 2001 prévoit toujours en son article 45. 3 que cette institution « doit continuer de suivre, d’encourager et de soutenir tout effort de l’Etat membre suspendu aux fins de retour à la vie institutionnelle démocratique normale ». Il est important de souligner que depuis les événements du 26 juillet 2023, les autorités militaires bénéficient du soutien populaire et qu’aucune crise sociale n’a été constatée. Au contraire, les manifestations se sont multipliées en leur faveur. C’est dire qu’après la mise en place du gouvernement le 10 Août dernier, les autorités doivent aller vers une consolidation des instances nationales avec la mise en place d’un cadre de concertation national. Pour un retour à la cohésion sociale, il est important de rendre effectif le cadre de concertation national qui est le Conseil Consultatif National prévu par l’ordonnance n°2023-02 du 28 Juillet 2023, qui à mon avis devra être inclusif. Cet organe devrait réunir tous les fils et les filles du pays, toutes les corporations au sein d’un organe pour discuter et décider ensemble des solutions pour la remise sur les rails d’un Niger démocratique. Cette étape cruciale pour la consolidation des instances nationales doit être rapidement mise sur pied car comme on l’a vu, cette crise politique a mis à jour et le ras le bol de la société nigérienne face à la gestion autoritaire du pouvoir déchu.


Propos recueillis par Souleymane Yahaya (ONEP)
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