La consommation abusive de médicaments de rue ou faux médicaments est un problème récurrent de santé publique qui préoccupe de nombreux acteurs au Niger. Pourtant, ce commerce florissant est monnaie courante dans ce vaste pays du Sahel. Malgré les dispositifs mis en place pour la contrecarrer, la pratique perdure et prospère. Pour le plus grand bonheur de ses adeptes qui engrangent des bénéfices énormes. D’où proviennent ces produits ? Comment entrent-ils au Niger ? Pourquoi ce commerce se développe malgré les mesures prises pour y mettre fin ? Que fait le service du contrôle public ? A-t-il le soutien de l’État ? Nous avons mené l’enquête.
Zeinabou Amadou est une consommatrice des médicaments de rue depuis sa tendre enfance. Elle affirme que ces médicaments sont moins chers et à la portée de tout le monde « Je vis dans une zone éloignée où il n’y a pas d’officine et je n’ai pas assez de ressources pour acheter les médicaments de la pharmacie. Par contre, avec 50f ou 100f c’est facile de s’en procurer juste à la porte de chez moi. Je suis déjà habituée à en prendre, je n’ai pas besoin de me rendre à l’hôpital pour me soigner. Nous disons toujours à la maison que la pharmacie est faite pour les gens riches, nous autres, nous nous contentons de ce qui se vend sur la rue et c’est surtout efficace ».
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 30% à 70% des médicaments vendus en Afrique sont contrefaits. En somme, elles sont 800 000 personnes, toujours d’après l’OMS, qui meurent chaque année par la consommation des médicaments de rue. Ce que confirme en quelque sorte le docteur Mounkaïla Moussa, pharmacien-biologiste, qui souligne que la consommation abusive de ces médicaments a aussi son lot de décès au Niger. Au plan économique, ce commerce informel fait perdre à l’État du Niger approximativement, 60% de l’économie du secteur. « Il est difficile de déduire la perte exacte, vu son caractère clandestin », souligne le pharmacien-biologiste.
Autant dire que la commercialisation de ces médicaments a un impact certain sur la santé et l’économie du pays. Elle est pourtant monnaie courante au Niger. Dans les villes et campagnes, dans tous les coins et recoins, on retrouve ces produits qui se vendent comme de petits pains. La raison ? La population a de plus en plus du mal à accéder aux services de santé de base. Se faire soigner est devenu trop cher pour la plupart d’entre eux. L’automédication, déjà présente dans les mœurs médicales des populations, est devenue systématique et les médicaments de rue, très prisés et accessibles à toutes les bourses, l’a davantage accentuée. Si, malgré les mesures prises par l’Etat, ces produits non-homologués foisonnent comme des têtards dans un étang, dans les villes comme dans les campagnes, c’est qu’il existe des voies de contournement et de violation des procédures.
Le circuit de ravitaillement est bien pensé par les acteurs de ce commerce illégal ou informel. Ils ne manquent pas d’imagination. Quittant les ports de déchargement en provenance de l’Asie, le plus souvent, trois pays caracolent en tête, dans ce trafic : le Bénin, le Niger et le Nigeria. Les produits peuvent passer par le Niger via le Bénin pour le Nigeria, puis réintroduits sur le marché nigérien en passant par plusieurs villes frontalières avec le Nigeria. Avec toutes les mesures prises par l’État pour freiner ce trafic, les acteurs s’y adonnent à fond.
Ce trafic se remarque également au niveau du département de Gaya, aux confins des frontières du Bénin et du Nigeria. C’est une zone de trois frontières (Niger-Bénin-Nigeria) avec une forte intensité des activités d’import-export. Les saisies de médicaments non-homologués sont fréquentes dans cette partie du Niger comme en atteste le rapport annuel de l’office central pour la répression des trafics illicites des stupéfiants (OCRTIS) de la police nationale du Niger. Au titre de l’année 2022, l’office a fait des saisies de produits pharmaceutiques prohibés dans plusieurs localités : Tillabéry pour 12,25 kg ; Gothèye : 11,30 kg ; Maradi : 57,310 kg ; Tahoua : 150 kg ; Gaya : 50 kg ; Abalak : 26 kg ; Dosso : 300,7 4 kg ; Konni : 661,3 kg.
Ces chiffres montrent que Gaya et sa région d’appartenance, à savoir Dosso, viennent en deuxième position en termes de record de saisies, après Konni.
Niamey, la capitale, est aussi une plaque tournante de cette activité de commercialisation de médicaments non homologués par les services compétents. Une commercialisation qui occupe de nombreuses personnes qui en ont fait leur principale activité commerciale. C’est le cas de Agali [Ndlr : nom d’emprunt], grossiste au Grand marché de Niamey qui explique comment il s’approvisionne. « Personnellement, je reste dans ma boutique et je commande via mon téléphone. D’habitude, ce sont des conteneurs qui les transportent jusqu’à la destination nigérienne, puis chacun part récupérer sa commande. Le plus souvent, c’est compliqué de les faire rentrer à Niamey mais, dit-il, nous arrivons à contourner le dispositif pour les acheminer soit à Maradi, soit dans une autre ville ». Agali précise par ailleurs qu’il n’a pas d’autorisation pour s’adonner à ce commerce, tout comme il n’a pas fait des études en pharmacie pour exercer cette activité. « Tout ce que je fais, souligne-t-il, c’est de travailler avec ce qui est écrit sur l’emballage des produits afin d’aider les pauvres qui ne peuvent pas s’acheter les produits pharmaceutiques au niveau des officines ».
Selon Agali, les choses ne se passent pas toujours bien pour eux. « Si vous n’avez pas de chance, vous aurez parfois du mal à recevoir la marchandise qui est saisie, soit par la douane, soit la police. Mais si vous tombez sur de « gentils douaniers » il suffit de leur glisser quelques billets de banque et l’affaire est close », note avec un grain de malice, Agali qui souligne qu’avec l’argent, on peut tout faire de nos jours avec certains agents de l’État. Cette activité a certainement de beaux jours devant elle, car ce sont des centaines de millions qui sont en jeu », conclut-il.
Tout comme Agali, Chamsou est également dans la vente des médicaments non-homologués au marché de Gaya. Il affirme qu’il a été étudiant à un moment et s’il est dans cette activité, c’est par nécessité. « J’ai fait mes études en soins infirmiers. Je n’ai pas d’autorisation de vente pour le moment, mais je ferai en sorte d’avoir une officine », dit-il avec un brin de culpabilité. Il continue en précisant qu’il reçoit les médicaments de Niamey, souvent à travers des camions 10 tonnes qui amènent de la marchandise. Il arrive des fois où les gens importent du Nigéria sur des motos. « Malgré le contrôle, nous arrivons à acheminer nos marchandises. Après tout, ce n’est pas de la drogue », fait-il remarquer.
Quant à Seydou, détaillant au quartier plateau 1 de Gaya, il vend des vivres, des biscuits, des savons, en plus des médicaments pour lesquels il s’approvisionne dans le marché de la ville de Gaya auprès des grossistes. « Nous travaillons au service des pauvres. Avec 50 francs [Ndlr : franc CFA] la personne peut s’acheter du médicament dans les boutiques, ce qui est impossible dans les officines ». Pour Seydou, comme pour ses pairs, ils aident les autres autant qu’ils vivent de ce commerce. « Malgré les difficultés d’importation auxquelles font face nos fournisseurs grossistes, nous ne pouvons pas abandonner cette activité parce que c’est grâce à ça qu’on mange. Et puis, comment vont faire ceux qui n’ont pas les moyens de s’acheter des médicaments dans une officine ? », tranche-t-il avec fermeté. Les critères à remplir pour exercer l’activité ? Seydou estime qu’il n’a nul besoin d’étudier pour vendre des médicaments, soulignant qu’il faut reconnaitre que les choses ont évolué.
Le service du contrôle public impuissant face à ce trafic
Selon Allahi Issa, lieutenant-colonel de la douane fluviale de Gaya, les contrebandiers ont plusieurs astuces pour échapper à la douane. Ils dissimulent leurs marchandises dans des vivres de façon à ne pas les suspecter. « Ils utilisent le plus souvent le fleuve afin de transporter, surtout dans des pirogues à moteur, leur contrebande », dit-il avec un air d’agacement. Le Niger est en fait un pays de transit, c’est-à-dire que ces médicaments proviennent du port de Cotonou, au Bénin et passent par le Niger avant d’être acheminés au Nigeria, pour être réimportés au Niger. « Tout se fait par le fleuve », confirme le colonel Allahi.
« Nous sommes impuissants face aux contrebandiers, non seulement parce que le contrôle est difficile mais aussi parce que la loi ne facilite pas les choses », déclare le colonel Allahi. Dans ce contexte, aucune loi n’autorise l’emprisonnement, elle demande juste de saisir la marchandise avec une amende de 100 000 FCFA à plus en fonction de la quantité. « Il arrive des fois où certaines personnes interviennent en faveur des mis en cause, nous n’avons pas le choix que de fermer les yeux », confie-t-il. Gaya est une frontière où tout rentre et sort. Une source policière qui souhaite garder l’anonymat explique que toutes les marchandises viennent du Bénin, passent la frontière de Gaya pour aller au Nigéria. Ensuite, ça revient au Niger, soit par Sabon Birni, Konni ou Maradi. « Notre contrôle se limite à la vérification de l’autorisation de vente, après on ne fait rien puisque c’est la douane qui s’en charge », explique un officier de police, à la direction départementale de la police nationale de Gaya.
Quant à Docteure Barira Dan Nouhou, Directrice de l’Agence nigérienne de réglementation du secteur pharmaceutique (ARNP), elle estime que l’impact du circuit des médicaments est énorme sur la santé et même sur le plan économique. Ainsi sur la santé, l’utilisation de médicaments inefficaces et de mauvaises qualités peut entraîner d’après elle « un échec thérapeutique, une aggravation de la maladie, la résistance aux antimicrobiens, des traumatismes et voire la mort chez l’adulte et chez l’enfant ».
« La contrefaçon sous toutes ses formes et le développement exponentiel du marché illicite des médicaments et autres produits pharmaceutiques constituent un fléau de portée mondiale qui n’épargne pas les pays développés, encore moins ceux du Sud qui sont déjà confrontés à des problèmes existentiels », affirme-t-elle. Elle reconnait, non sans amertume, que « la contrefaçon de médicaments est un commerce lucratif qui tend à gagner en importance, tant dans les pays en développement que dans les pays développés. Le Niger a sept pays frontaliers. La porosité de ses frontières rend difficile le contrôle et donc malgré les mécanismes mis en place, des quantités importantes de médicaments non-homologués échappent au système. Du fait du caractère clandestin de ce marché, il est quasiment impossible d’avoir une estimation de la proportion de produits médicaux contrefaits sur les marchés nationaux ni de leur provenance réelle. De même, les saisies faites ne peuvent pas être valorisées par manque, dans bien des cas, des prix de ces médicaments.
Quand les pharmaciens s’indignent
D’abord, pour vendre un médicament il faut avoir l’autorisation d’importation et de vente. Selon les pharmaciens, tout médicament qui sort du circuit légal est un faux. Le docteur Sounna Sofiane, président du Syndicat des pharmaciens du Niger (SYNPHANI) affirme qu’il y a de la complicité quelque part. « La durabilité de la commercialisation de faux médicaments est liée au gain facile et ce qui pousse la population à consommer ces produits dangereux, c’est sa vulnérabilité », affirme le docteur Sofiane. Il estime que le nœud du problème est que l’État nigérien fait face à une insuffisance de ressources pour couvrir tout le pays. « C’est malheureux, ajoute-t-il, de savoir qu’il y a des localités où il n’y a ni pharmacie ni dépôt. C’est pourquoi, avant d’empêcher la commercialisation des médicaments de rue, il faudra au préalable satisfaire la demande sociale », a-t-il laissé entendre, telle une sentence.
Ce que dit la loi
Est « faux médicament », tout médicament dont le principe actif n’est pas bien dosé et qui n’est pas homologué », soutient Dr Sounna Sofiane, président du Syndicat des pharmaciens du Niger (Synphani), non sans avoir précisé qu’en principe, tout produit qui rentre au Niger doit être contrôlé et homologué par le Laboratoire national de santé publique et d’expertise (LANSPEX). Dans le cas contraire, il peut être considéré comme faux. L’ordonnance n°97-002 du 10 janvier 1997 précise que seules les personnes qui ont une autorisation du ministère de la Santé peuvent exercer la profession de pharmacien. Outre qu’elle mentionne en son article 35 que nul ne peut exercer la profession de pharmacien s’il ne présente toutes garanties de moralité professionnelle, l’ordonnance suscitée stipule en son article 36 que « Nul ne peut exercer à titre privé la profession de pharmacien d’officine, de pharmacien de laboratoire d’analyses biomédicales ou de pharmacien responsable d’un établissement de distribution ou de fabrication s’il n’y est autorisé par le ministre chargé de la Santé ».
Des dispositions claires sur les conditions à remplir, mais auxquelles plus personne ne fait attention. Elles sont d’ailleurs assorties de sanctions qui ne sont pas assez dissuasives pour décourager les ténors de ce commerce. « Toute personne qui exerce illégalement la profession de pharmacien est assujettie à des sanctions comme le précise l’article 41 selon lequel « l’exercice illégal de la pharmacie est puni d’une peine d’emprisonnement de dix (10) jours à six (6) mois et d’une amende de 100 000 à 500 000 francs ou de l’une de ces deux (2) peines seulement ».
En cas de récidive, le tribunal pourra en outre priver l’intéressé des droits d’exercer conformément au Code pénal pour une durée de 5 ans à plus. Par ailleurs, la confiscation du matériel ayant permis l’exercice illégal pourra être prononcé. Le dispositif légal existe, donc, mais dans les faits, beaucoup d’agents chargés de le faire respecter manquent d’informations sur la loi pour bien mener leur mission de contrôle.
L’inefficacité de la loi
« Au Niger il n y’a pas un cadre juridique qui interdit carrément l’introduction de ces produits, d’où la difficulté à contrecarrer cette commercialisation », nous a confié Elh Assimou Abarchi, préfet du département de Gaya. « On permet aux gens d’importer avec autorisation, mais quand on sait que c’est faux, on doit l’interdire », note-t-il avec regret. Il ajoute par ailleurs que dès l’usine de fabrication, ce sont des médicaments qui sont mal dosés pour guérir les maladies. Certes, ça soulage nos populations puisque c’est à moindre coût et leur pouvoir d’achat est faible ». À Gaya, les officines sont presque vides. La plupart des gens s’approvisionnent au marché, auprès de ces personnes auto-proclamées « pharmaciens » mais qui n’ont aucune réglementation.
La commercialisation de faux médicaments est un problème sérieux qui fait perdre à l’Etat tant sur le plan économique que sur le plan de la santé. Ce business lucratif pour ceux qui s’y adonnent ne va pas s’arrêter tant que des mesures sérieuses ne sont pas prises.
L’Agence nigérienne de réglementation du secteur pharmaceutique prévoit dans ce sens de mettre en place (1) un système de surveillance du marché, en association avec les différentes parties prenantes (douanes, OCRTIS, les autres forces de défense et de sécurité), le contrôle des importations au point d’entrée des médicaments ; (2) un cadre juridique (adoption de nouveaux textes) adéquat avec la prise de sanctions à la hauteur du crime ; (3) un programme de sensibilisation de la population sur les dangers de la consommation des produits médicaux de qualité inférieure et falsifiés.
En attendant, le trafic se poursuit, avec ses pertes sèches pour l’Etat, une population desservie au plan sanitaire mais qui semble heureuse d’avoir des médicaments accessibles à toutes leurs bourses et ces pharmaciens d’un genre nouveau qui ont le sentiment de faire d’une pierre, deux coups : s’enrichir, certes, mais aider tant de monde à se soigner à moindre coût.
Cet article a été rédigé Par IBRAHIM CHEKARAOU Zeinabou dans le cadre de la production d’enquête journalistique sur le thème « Lutte contre la corruption et les malversations fiscales » d’Apac Niger en collaboration avec le Journal Evènement, sur financement de l’Ambassade des Etats Unis.