A l’appel de plusieurs associations et structures de la société civile, des manifestations de grande ampleur ont commencé depuis vendredi et pour trois jours à Niamey, la capitale, afin d’exiger les soldats français à quitter le Niger. Alors que ce samedi expire le délai qui leur a été accordé par les nouvelles autorités militaires pour quitter le territoire, des dizaines de milliers de manifestants ont pris d’assaut la base militaire où sont stationnés des soldats français. Depuis quelques jours, d’ailleurs, et parallèlement à ces manifestations qui ne cessent de prendre de l’ampleur, les forces de sécurité nigériennes imposent un quasi blocus à l’Ambassade de France à Niamey, afin de contraindre l’ambassadeur Sylvain Itté et son épouse, également expulsés du pays, à quitter le pays. Le tout sur fond d’escalade diplomatique entre Niamey et Paris avec des joutes entre le CNSP et les autorités françaises qui ne font qu’exacerber les tensions et font craindre des risques de débordements ou de dérapages avec des manifestants plus que jamais survoltés et déterminés à « chasser » les soldats français et à mettre fin à « l’ingérence » de l’ancienne puissance coloniale.
A Niamey, la série de manifestations lancées par plusieurs mouvements de soutien au CNSP, la junte qui a renversé le président Bazoum, ont commencé vendredi dans l’après-midi avec la prière collective organisée par des associations religieuses à la Grande mosquée « Kaddaffi », afin d’implorer la paix et la cohésion nationale au Niger.
Des manifestants ont ensuite pris d’assaut le rond-point « Escadrille », à la devanture de la base aérienne 101 de l’armée nigérienne (FAN), près de l’aéroport international Diori Hamani, et qui abrite les soldats de la Base aérienne projetée (BAP) des forces françaises au Sahel (anciennement Barkhane).
Pendant plusieurs heures, les manifestants qui sont tenus à distance par un imposant dispositif sécuritaire, ont scandé des slogans hostiles à la présence des soldats français au Niger dont ils exigent le « départ immédiat et sans condition », comme on peut le lire sur des pancartes. « Nous nous sommes aujourd’hui encore réunis ici à l’escadrille devant la base militaire française de Niamey pour exiger le départ définitif et sans condition de l’armée néocoloniale française de notre pays, et nous voudrons à travers ce sit-in pacifique et populaire appeler à nouveau les autorités françaises à la raison pendant qu’il est encore temps », explique Boulamine Moustapha, membre du Cadre Unique d’Action des Forces Vives du Changement (CUAFVC), une structure de la société civile.
« Notre mouvement en synergie d’actions avec certaines structures religieuses et de la société civile, a décidé d’un sit-in permanent de trois jours à compter de ce vendredi 1er septembre 2023 à partir de 15 heures jusqu’à 6heures du matin. C’est la mobilisation générale de notre peuple pour le départ des forces françaises de notre Pays comme cela a été le cas au Mali et au Burkina Faso. C’est pourquoi nous invitons toutes les structures de masses qui se mobilisent par ci, par-là, à surseoir à toute autre action et à se joindre à nous pour une lutte plus efficace et une mobilisation plus conséquente chaque jour à partir de ce vendredi jusqu’au départ des forces françaises d’occupation de notre Pays », a pour sa part déclaré, lors d’une conférence de presse, Abdoulaye Seydou, le coordinateur du mouvement M62, la principale organisation à l’origine de la manifestation.
Manifestations en série pour amplifier la pression sur la France
Depuis la prise du pouvoir par le CNSP, le 26 juillet 2023, les manifestations de soutien à la junte et contre la Cédéao et la France se multiplient à Niamey et dans les grandes villes du pays. Ces manifestations se sont amplifiées ces derniers jours, principalement dans la capitale, à l’approche de l’expiration du délai accordé par les nouvelles autorités du Niger aux soldats français pour quitter le pays. Le 3 août dernier, en pleine crise diplomatique entre Niamey et Paris, la junte avait dénoncé les accords de coopération en matière de défense et de sécurité entre le Niger et le France, ce qui ouvre la voix au départ des forces françaises stationnées dans un délai d’un mois. Malgré le refus de Paris qui continuer à réfuter la légitimité « des putschistes pour faire une telle requête », les associations de la société civile, qui bénéficie de la bienveillance des autorités militaires, entendent mettre la pression sur la France, à l’expiration de ce délai, qui conformément aux termes des accords, expire ce samedi 2 septembre.
Les manifestations prennent donc de plus en plus de l’ampleur particulièrement à Niamey et devant la base qui abrite les soldats français où des sit-in presque quotidiens sont organisées pour amplifier la contestation. « Nous sommes là pour dire non aux sanctions inégales, inhumaines et inacceptables de la CEDEAO. Si vous avez constaté aujourd’hui même les pays membres de la CEDEAO et de l’UEMOA sont en train de se diviser par rapport à l’attitude de la CEDEAO parce que tout simplement c’est inégal et on a compris que c’est la France qui est derrière tout cela », a indiqué l’actrice de la société civile, Naomi Binta Stansly, membre des Femmes Engagées pour la Sauvegarde de la Patrie (FESP) qui ont organisé une journée "Casseroles" au rond-point Escadrille de Niamey pour soutenir le CNSP et demander le départ des troupes militaires françaises. « Nous ne voulons plus de forces étrangères dans notre pays. La France nous a exploité depuis plusieurs années, nous sommes fatigués, ça suffit, il faut qu’elle nous laisse respirer. Nous voulons être aujourd’hui un peuple indépendant et souverain, c’est pourquoi nous lançons un appel à l’endroit de tous les nigériens de rester unis, solidaires et de rester derrière le CNSP afin qu’ensemble nous puissions trouver une sortie de crise », a ajouté un autre manifestant.
Des manifestations grandioses qui font craindre des débordements
Ce samedi 2 septembre, date de l’expiration du délai pour le départ des forces françaises, les manifestations ont repris de plus belle à Niamey. En dépit d’une forte pluie qui s’est abattue en fin de matinée sur la capitale, les manifestants ont pris d’assaut, dès les premières heures de la journée, le fameux rond-point « escadrille », rebaptisée pour la circonstance « Rond-point de la Résistance » où ils ont encore chanté et scandé des slogans de soutien au CNSP et contre les sanctions et menaces d’interventions de la Cédéao tout en exigeant la présence des forces françaises. Comme c’est le cas ces derniers temps, des drapeaux russes sont également bien visibles dans les manifestations.
Dans l’après-midi, des milliers de manifestants continuent à converger à la « Place Toumo », un lieu de rassemblement situé en plein centre-ville où un meeting est prévu avec comme objectif, une marche jusqu’à la devanture de la Base française.
Devant l’affluence monstre des manifestants, dont beaucoup de jeunes survoltés, certains craignent un risque de débordement, malgré le dispositif sécuritaire mis en place. D’autant que les initiateurs des manifestations entendent intensifier leurs actions de mobilisation et de pression, les prochains jours, jusqu’à l’atteinte de leurs objectifs c’est-à-dire le départ des soldats français. Ce qui pour le moment, les autorités françaises rechignent, faisant exacerber les tensions de part et d’autre.
Dans une déclaration aux médias cette semaine, l’état-major des armées françaises a prévenu que « les forces militaires françaises sont prêtes à répondre à tout regain de tension qui porterait atteinte aux emprises militaires et diplomatiques françaises au Niger » et que « des dispositions ont été prises pour protéger ces emprises ».
L’Ambassade de France au Niger sous quasi-embargo
Il faut dire que depuis le début de semaine, le bras de fer diplomatique entre Niamey et Paris n’a cessé de se détériorer. Lundi dernier, à l’arrivée de l’expiration du délai de 48 h accordé par les autorités nigériennes à l’Ambassadeur du Niger pour quitter le pays, son accréditation ainsi que ses privilèges diplomatiques lui ont été retirés selon une annonce du chef de la diplomatie nigérienne. Le même jour, s’adressent lors de la traditionnelle conférence annuelle des ambassadeurs français à l’Elysée, le président français a déclaré que l’Ambassadeur Sylvain Itté reste à Niamey tout en réaffirmant la non reconnaissance par Paris de la légitimité des nouvelles autorités militaires.
La tension est encore montée d’un cran lorsque, faisant suite à la décision des autorités d’expulser le diplomate français, le ministre de l’Intérieur a donné l’ordre aux forces de défense et de sécurité de « procéder à l’expulsion de M.Sylvain Itté » ainsi que de son épouse, dont le visa a été également révoqué.
Depuis, des éléments de la police nationale et de la gendarmerie nationale ont imposé un quasi-blocus au niveau des locaux de l’Ambassade du Niger où tout véhicule qui en sort, est systématiquement fouillé alors que ceux chargés de l’approvisionnement en denrées et autres produits d’entretiens, parviennent difficilement à pénétrer dans l’enceinte de l’Ambassade.
Le dernier épisode de cette escalade diplomatique entre Niamey et Paris, a été la réponse adressée hier vendredi par le CNSP, aux propos tenus lundi dernier par le président français sur la situation politique qui prévaut dans le pays. Après avoir dénoncé « les propos paternalistes » tenus par Emmanuel Macron, dont « l’aveu prouve, si besoin est, que le régime défunt était bien au service d’agendas étrangers au détriment des intérêts du Niger », les nouvelles autorités militaires nigériennes ont réaffirmé leur « engagement pour la souveraineté » du pays, non sans accuser la France de « parrainer le terrorisme » dont elle est sensée aider les pays du Sahel à combattre.
De quoi amplifier les tensions et surtout galvaniser les rancœurs des manifestants contre l’ancienne puissance coloniale comme en témoignent l’ampleur que prennent les mouvements de contestations sur fonds de sentiment anti-français presque généralisé de l’opinion, à Niamey et dans les autres grandes villes du pays où les manifestations de ce weekend prennent une tournure qui n’est pas sans susciter des inquiétudes sur des risques réels de confrontation.