Comme annoncé il y a dizaine de jours par le Président français Macron, lors de son dernier entretien à Paris avec son homologue ivoirien Alassane Ouattara, la Cédéao a posé comme préalable la libération de l’ancien chef de l’Etat Bazoum Mohamed pour entamer les négociations avec les nouvelles autorités nigériennes et par voie de conséquence, la levée les sanctions décidées par les dirigeants ouest-africains. Dans un entretien à la BBC, le chef de la diplomatie nigériane, Yusuf Tuggar, a confirmé que c’est le rejet catégorique par le CNSP de cette condition qui constitue actuellement le principal point de blocage des négociations entre la Cédéao et le Niger. A quelques jours du sommet ordinaire de la Conférence des Chefs d’Etat de l’organisation communautaire, les positions demeurent donc figées de part et d’autre, ce qui fait craindre un maintien des sanctions à moins que d’ici là, les médiations parallèles fassent bouger les choses.
Selon le ministre nigérian des Affaires étrangères, dont le pays assure la Présidence en exercice, la Cédéao a tenté par tous les moyens d’offrir aux autorités nigériennes une voie de sortie de crise mais elle s’est heurtée à leur refus catégorique d’intégrer dans les négociations, la libération de l’ancien président Bazoum Mohamed. « C’est le principal problème qui bloque les négociations car les responsables militaires nigériens refusent même qu’on aborde cette question », a déclaré au service Haussa de la BBC, M. Yusuf Tuggar pour qui, « il est pourtant inacceptable que les militaires continuent de le garder indéfiniment ».
« La responsabilité des sanctions incombe aux militaires du Niger et non pas à la Cédéao. Malgré tout, nous leur avons offert une voie de sortie de crise qui nous parait simple puisqu’il s’agit de la libération du président Bazoum Mohamed. Nous ne demandons même pas sa réinstallation au pouvoir mais juste sa libération et qu’il puisse aller dans un autre pays que nous allons convenir d’un commun accord avec les militaires du Niger. Et pour montrer notre bonne foi, nous avons dit que nous sommes ouverts à ce que ça soit un pays qui leur convient même si c’est de la zone Cédéao. Tout cela, les militaires au pouvoir ont catégoriquement rejeté. Le Niger est un pays frère, nous n’avons pas de problème avec le peuple du Niger mais avec les responsables militaires qui continue de séquestrer le président Bazoum. Nous sommes conscients de la situation difficile que traversent les populations du Niger à cause des sanctions et cela nous fait mal. C’est pourquoi nous avons fait une proposition de sortie de crise pour mettre fin à ces souffrances et cela nous parait simple puisqu’il s’agit juste de libérer Bazoum Mohamed ». M. Yusuf Tuggar, Ministre des Affaires étrangères du Nigeria
Bien avant le chef de la diplomatie nigériane, c’est le président français qui a fait cas de cette condition pour que la Cédéao ouvre les négociations avec les autorités de transition. Lors d’un entretien avec son homologue ivoirien Alassane Ouattara, le 21 novembre à l’Elysée, Emmanuel Macron avait réaffirmé le « plein soutien de la France au président Mohamed Bazoum » avant d’annoncer que « sa libération constituait un préalable à toute négociation avec les putschistes ». Il avait également réaffirmé son soutien à la Cédéao « en vue de trouver une solution à la crise nigérienne ».
Les négociations de nouveau dans l’impasse
L’espoir suscité par les médiations parallèles pour rapprocher les deux parties en prélude au prochain Sommet ordinaire de la Conférence des chefs d’Etat de la Cédéao, prévu le 10 décembre à Abuja, se trouve donc de nouveau refroidit du fait de l’impasse dans lesquelles se retrouvent les négociations. La Cédéao a certes lâché du lest dans ses prétentions puisqu’il n’est plus question d’un retour de Bazoum au pouvoir mais de sa libération pour entamer les négociations et lever les sanctions. Cependant, pour la junte cette condition n’est même pas envisageable dans le cadre des négociations en cours. En plus des risques de voir l’ancien chef de l’Etat, qui n’a toujours pas démissionné et peut continuer à revendiquer son statut de Président comme continue de le faire l’aile radicale de ses partisans, le Conseil pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) avait indiqué disposer de « preuves » pour traduire l’ancien président devant les juridictions nationales pour « haute trahison ». Cela bien avant l’affaire de « tentative d’évasion avortée », annoncée par les autorités le mois dernier et confirmée par la justice à travers une sortie médiatique du procureur général près de la Cour d’appel de Niamey, qui a dévoilé « des preuves du plan d’évasion ».
Dans ces conditions, les autorités nigériennes et la Cédéao risquent de continuer de se regarder pendant encore quelque temps en chiens de faïence au grand dam des populations qui ont déjà tant souffert des sanctions économiques et financières en vigueur depuis le 30 juillet 2023. Il reste que cette condition préalable de l’organisation communautaire et la décision attendue demain, vendredi 7 décembre, de la Cour de justice de la Cédéao sur le procès Bazoum Vs Etat du Niger, ne poussent les autorités de transition à transmettre le dossier du président déchu à la justice, comme ce fut le cas en 2010 pour l’ancien président, le défunt Tandja Mamadou après son renversement par les militaires du CSRD. Il appartiendra alors à la justice, et seulement à elle, de se prononcer sur le cas Bazoum, une procédure certes assez longue et complexe, mais qui aura l’avantage de lever le point de blocage des négociations tout en mettant fin à la détention extrajudiciaire de l’ancien chef d’Etat…