Le Niger a fait le choix du fichier biométrique électoral (FBE) pour sa garantie « d’un électeur, une voix » et parce qu’il minimise les fraudes électorales, explique à l’ANP Dr Nafiou Wada, rapporteur général de la commission électorale nationale indépendante (CENI), institution en charge de l’organisation et de la conduite des élections.
En 2020, le pays a expérimenté, pour la première fois, le fichier biométrique électoral pour les élections locales et régionales du 13 Décembre, suivies du premier tour de la présidentielle couplé aux législatives, le 27 décembre. Pareil pour le second tour de la présidentielle qui a eu lieu le 27 février 2023.
C’était un baptême de feu pour la CENI et la société française GEMALTO, concepteur du fichier (devenue aujourd’hui THALES), car les précédentes élections s’étaient tenues avec des fichiers électoraux alphanumériques, moins sécurisés et non fiables que le biométrique, selon les explications du rapporteur général de la CENI.
La réalisation de cette nouvelle technologique a coûté à l’Etat du Niger environ 19 milliards de francs CFA sur fonds propres.
Le fichier biométrique, à la différence de l’alphanumérique, prend en compte, lors de l’enrôlement, des informations biométriques de l’électeur, comme les empreintes digitales des dix doigts et la photo. Il est aussi consultable en ligne sur le site officiel de la CENI (www.ceni.org), même si certaines informations collectées de l’électeur ne sont pas mises en ligne pour respect aux textes en vigueur dans le pays en ce qui concerne la protection des données à caractère personnel. Mais la totalité des informations de la personne enrôlée sont accessibles par cette dernière dans les services de la CENI.
Le fichier biométrique électoral (FBE) a été confectionné en 2019 suite au recensement effectué dans les huit (8) Régions du pays, avant de connaître une mise à niveau à la suite de l’enrôlement des Nigériens de la diaspora (considérée comme la 9ème Région électorale du pays). Au total, le fichier compte 7.651.870 électeurs pour les 9 régions électorales.
«Nous avons démarré les activités d’enrôlement au plan national, [dans les 8 régions du pays, ndlr] en octobre 2019 pour finir en juin 2020 », rappelle Nafiou Wada, précisant que 7. 446.556 électeurs sont recensés à ce niveau.
Selon la même source : « Avec la pandémie de Covid 19, l’enrôlement de la diaspora, qui est la 9ème Région électorale du Niger, la CENI n’a pas pu déployer ses équipes. Les activités étaient suspendues conformément à l’arrêt de la Cour constitutionnelle qui a déclaré la pandémie de Covid 19 ‘’cas de force majeure’’ ».
A la fin de la pandémie, la CENI a procédé à l’enrôlement des Nigériens de la diaspora en 2022, ce qui a permis d’enregistrer un total de 205.314 dans les seize (16) pays concernés.
Ces pays sont le Bénin, le Burkina Faso, le Mali, le Sénégal, le Cameroun, le Tchad, la Côte d’Ivoire, le Nigéria, le Ghana, le Togo, la Belgique, la France, les USA, l’Algérie, le Maroc et l’Arabie Saoudite.
Les raisons de la migration
Le Niger a décidé d’abandonner le fichier électoral alphanumérique, qu’il a utilisé à plusieurs reprises, au profit du fichier biométrique pour diverses raisons.
Tout d’abord, en 2016, une étude menée par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) recommande au pays de mettre en place une commission électorale nationale indépendante (CENI) permanente et d’instituer un fichier électoral biométrique fiable, se remémore Nafiou Wada.
Il se souvient également qu’après les élections présidentielles et législatives de 2016, « les acteurs politiques ont estimé qu’il y avait eu des manquements, comme des bourrages et vol de voix. Ils ont décidé de reporter les élections communales jusqu’à l’élaboration d’un fichier biométrique électoral pour répondre aux recommandations de l’étude faite par l’OIF ».
C’est ainsi que le mandat des élus locaux (alors arrivé à terme) a été prorogé.
« Les acteurs politiques ont acté tous pour la mise en place de la CENI permanente et l’élaboration d’un fichier électoral biométrique. La mise en place de la CENI [permanente] a vu le jour en 2017 dans la loi portant code électoral », relate-t-il, tout en soulignant que « cette loi organique [le code électoral, ndlr] a institué la mise en place d’un fichier électoral biométrique pour le cycle électoral 2017-2021 ».
Ce fichier est partiellement réalisé en 2019, avec le recensement au niveau national, avant d’être complété en 2022 avec l’enrôlement de la diaspora, rappelle-t-on.
Les avantages du fichier biométrique
Quand Dr Nafiou Wada est interrogé sur les avantages du fichier électoral biométrique, il répond de façon élogieuse.
Selon lui, cette avancée technologique garantit l’unicité de la voix pour chaque électeur, et assure par ailleurs une sécurité et une fiabilité aux élections.
« Ce sont les acteurs politiques qui n’ont plus confiance au fichier alphanumérique et ils ont opté pour le fichier biométrique qui garantit l’unicité de l’électeur », affirme-t-il, avant d’ajouter que le biométrique « minimise les fraudes électorales ».
« Contrairement au fichier alphanumérique où on enregistre les gens par témoignage, pour le fichier biométrique, il faut que vous soyez physiquement présent, parce qu’il y a des captures de photo et des empreintes digitales », nuance-t-il.
La Mise à jour
La possibilité de mise à jour du fichier biométrique est un autre avantage qu’il a sur l’alphanumérique. Alors que ce dernier doit être repris à chaque élection, le biométrique a juste besoin d’être mis à jour.
Pour le FBE « la base de données est constituée [de façon permanente, ndlr], il suffit juste de la mettre à jour, contrairement au fichier alphanumérique qu’il faut reprendre pour chaque élection », souligne la source.
« La mise à jour consiste à intégrer ceux qui n’étaient enrôlés lors des recensements précédents du fait de leur absence ou parce qu’ils n’avaient atteint la majorité électorale (c’est-à-dire l’âge de 18 ans), mais aussi soustraire les données des personnes décédées ainsi que celles ayant perdu les droits civiles et politiques », explique l’officiel nigérien.
La loi électorale, qui est le code électoral, prévoit la mise à jour du fichier biométrique chaque année. Le recensement de la mise à jour doit aller du 1er Octobre au 31 Décembre.
Mais en réalité, le fichier « n’a jamais eu de mise à jour depuis » sa création, car « à l’épreuve des faits, on se rend compte que la mise à jour est très coûteuse, c’est pourquoi nous avons fait la proposition de faire la mise à jour deux (2) fois pour chaque cycle électoral, soit une première fois au milieu du cycle et une seconde fois quand les élections s’approchent », avoue Dr Nafiou.
Le logiciel du FBE face à la tentative de fraude
Plusieurs tentatives de fraudes ont été relevées lors de l’enrôlement, rapporte Dr Wada, notamment des tentatives d’enrôlement multiple.
« Il y a beaucoup de citoyens nigériens qui ont voulu frauder. C’est-à-dire, ils font l’enrôlement d’un tel centre et migrent pour essayer de s’enrôler dans un autre centre. Cela nous a vraiment retardés pour le traitement des données, parce qu’il fallait mettre en place une équipe pour aller vérifier les cas de doublons. La machine de traitement de données efface directement les doublons », indique-t-il.
Aussi, ajoute-t-il, « après l’enrôlement au plan national, certaines personnes sont allées dans les pays où l’enrôlement de la diaspora se tient pour se faire encore enrôler ».
« Dans ce genre de cas, c’est la machine qui nous dit que c’est une même personne », indique-t-il, avant de préciser qu’en « cas de doublons, la loi électorale (le code électoral) prend en compte le premier enrôlement, par conséquent les autres enrôlements sont supprimés. Dans certains pays, c’est le dernier qui est valable, mais au Niger, nous avons opté pour le premier ».
Le Fichier consultable en ligne
« Le fichier biométrique n’est pas dans sa globalité en ligne. Mais un extrait des données des personnes enrôlées peut être consulté en ligne sur le site de la CENI. Nous avons choisi ne pas mettre l’intégralité des informations du fichier pour des raisons de sécurité et éviter d’exposer les renseignements biométriques des personnes enrôlées en ligne, conformément à la loi sur la protection des données à caractère personnel en vigueur au Niger. C’est pourquoi nous ne pouvons pas mettre toutes les variables en ligne, car certains peuvent y extraire des données personnelles des enrôlés », note la source.
« Par exemple, on peut publier le nom, le prénom. Si la personne concernée consulte son enregistrement en ligne avec les quelques données publiables, elle peut se rendre dans nos services pour vérifier les informations complémentaires. Si on publiait toutes les données, on pouvait même être interpellé par la Haute autorité de protection des données à caractère personnel. C’est pourquoi, nous extrayons quelques informations que nous mettons en ligne », explique l’agent de la CENI.
Perspectives d’amélioration
« Comme toute œuvre humaine, le fichier est perfectible à tel point que dans les perspectives, nous envisageons de créer des facilités aux citoyens dans son utilisation pour pouvoir le consulter et l’exploiter », souligne le rapporteur de la CENI.
Il annonce que l’institution veut également prendre en compte les nouvelles fonctionnalités car l’informatique évolue.
« A chaque moment, on invente des gammes de sécurité. Nous avons utilisé les gammes de sécurité qui existaient en 2019, et aujourd’hui en 2023 le fichier a 4 ans. Le Niger doit prendre en compte ce facteur dans le cadre de la mise à jour du fichier. Cela va permettre de minimiser davantage les erreurs et de mieux sécuriser le fichier, tout en prenant des nouveaux besoins », souligne-t-il, ajoutant que « Ce fichier a coûté à l’Etat du Niger environ 19 milliards francs CFA sur fonds propre de l’Etat. C’est quand même important de consolider ce fichier et de continuer sa mise à jour ».