Avec la renégociation du contrat d'exploitation des mines d'uranium arrivé à échéance le 31 décembre 2013, un bras de fer s'est engagé depuis plusieurs mois entre Areva et Niamey, qui réclame un réajustement fiscal plus avantageux pour le pays.
Une production suspendue, une manifestation interdite et des négociations qui traînent en longueur. Areva et le gouvernement du Niger sont embarqués dans un face à face tendu depuis plusieurs mois. Niamey cherche à convaincre le géant français de soumettre ses deux filiales – la Somaïr et la Cominak, des sociétés d’extraction d’uranium installées à Arlit – à la loi de 2006, plus avantageuse fiscalement pour le pays du Sahel, en proie à une pauvreté endémique.
Jusque-là protégée par une convention instaurée en 2003 - arrivée à échéance le 31 décembre 2013 - qui assurait une stabilité fiscale à ses titres miniers, Areva est poussée à la concession. Mais l'entreprise, détenue à 80 % par l'État français, ne l'entend pas ainsi. Ayant signé ses titres miniers en 1968 pour une période de 75 ans, Areva considère qu'elle bénéficie d'une stabilité fiscale jusqu'en 2043 et qu’à ce titre, la loi minière de 2006 ne peut lui être appliquée. Des arguments légaux solides auxquels s'ajoutent l'insécurité grandissante dans la région, le manque de rentabilité des mines nigériennes et la chute des cours mondiaux de l'uranium – minerai de base pour la fabrication du combustible des centrales nucléaires – depuis la catastrophe de Fukushima en 2011.
Un argumentaire qui effraie Niamey. Si le gouvernement nigérien souhaite tirer davantage de profit du précieux minerai, il redoute par dessus tout la fermeture des mines. Depuis, le gouvernement souffle le chaud et le froid : "C’est indéniable que le cours de l’uranium a baissé sur le marché ; cela peut nous amener à écouter Areva quand elle dit, que si elle doit mettre en œuvre la fiscalité de 2006, financièrement les sociétés ne vont pas s’en tenir et elles vont fermer", a déclaré, le 6 janvier à la radio publique, le ministre nigérien des Affaires étrangères, Mohamed Bazoum.
L’entreprise, qui tire plus du tiers de sa production mondiale d’uranium au Niger, nie avec vigueur toute velléité de départ. "On est au Niger depuis 50 ans et on souhaite y rester pour encore longtemps", assure-t-on au siège d’Areva, contacté par FRANCE 24, démentant ainsi les rumeurs de fermeture des deux sites, accentuées par les récentes explorations du groupe en Mongolie et le report permanent de l'exploitation de la mine géante d'Imouraren. Prévue initialement pour 2014, puis pour 2016, la production pourrait ne démarrer qu’en 2019-2020, une perte considérable pour le gouvernement nigérien.
Les négociations : "Une occasion historique pour le Niger"
Pourtant, la suspension des activités de la Somaïr et de la Cominak depuis le 18 décembre ne sont pas pour rassurer les associations qui dénoncent un chantage et redoutent de voir Niamey plier face au géant français. Officiellement, Areva parle d’"opérations de maintenance", programmées depuis longtemps et poursuivies jusqu’à nouvel ordre, "sans aucun lien avec les négociations". Mais selon les syndicats miniers et les opposants à l’actuel contrat, cette suspension n’a rien d’un hasard de calendrier.
"C’est un moyen de pression, un chantage de plus", soupire auprès de FRANCE 24 Ali Idrissa, coordinateur national du Rotab, un réseau d’associations locales pour la Transparence et l’analyse budgétaire qui appellent les dirigeants nigériens et Areva à respecter la "souveraineté et la dignité du peuple nigérien". Une marche a été organisée le 21 décembre dans la capitale nigérienne. Une autre, interdite le 25 janvier par la justice nigérienne en raison de "risques de troubles à l'ordre public". Les organisateurs lancent un nouvel appel à la mobilisation le 6 février pour dénoncer, encore et toujours, ce partenariat jugé déséquilibré.
Selon Oxfam, association en campagne pour plus de transparence, l’uranium représenterait plus de 70 % des exportations du Niger en 2010, mais moins de 6 % du PIB. Selon elle, Areva bénéficierait d'avantages fiscaux lui permettant de soustraire à l'impôt 20 % de ses bénéfices, soit 15 à 20 milliards d'euros annuels. Areva soutient, elle, que 70 % des revenus de l'uranium sont reversés à l'État nigérien sous forme de dividendes et d'impôts.
"Les négociations en cours représentent une occasion historique pour le Niger d’obtenir de meilleures conditions pour l’exploitation de ses ressources, y compris de plus grandes retombées financières", estime auprès de FRANCE 24 Anne-Sophie Simpere, en charge des questions de justice fiscale pour Oxfam, qui demande une meilleure répartition des richesses.
Le Niger ne demande pas "la charité"
Quatrième producteur mondial d’uranium, également riche en pétrole, en fer, en phosphate, or ou manganèse, le Niger figure pourtant parmi les pays les plus pauvres au monde. En 2011, il était classé par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) au 186e rang sur 187 pays. Un paradoxe qui fait bondir les associations.
"A-t-on besoin de mendier, alors qu’on a des ressources dans notre pays ? Nous continuons de tendre la main à chaque crise alimentaire, alors qu’avec l’ensemble de nos ressources, on pourrait subvenir aux besoins de tous nos habitants", s’offusque Ali Idrissa. Il énumère les maux qui affectent la région d’Arlit : des routes dégradées par les aller et venues de camions d’Areva, des infrastructures quasi inexistantes, des populations locales - exposées aux radiations de l’uranium - qui doivent parcourir plus de 1 500 kilomètres pour être soignées car la région ne dispose pas de "centre de santé de référence".
À cela, Areva apporte une réponse toute faite : "Les revenus de l’uranium ne peuvent pas assurer à eux seuls le développement d’un pays de 17 millions d’habitants", tranche-t-on à Paris. L’entreprise insiste cependant dans son rapport d’activités annuel 2012 sur sa contribution au développement du Niger. Grâce aux 115 000 tonnes d’uranium exploitées en 40 ans, Areva soutient avoir rapporté 30 millions d’euros annuels à Niamey ces dernières années.
Le géant français souligne en outre que le groupe emploie plus de 5 000 personnes sur place, dont 98 % de locaux. À cela s'ajoutent six millions d'euros annuels investis en "projets sociaux et développement sanitaire en faveur de la population". Un argument non valable selon Anne-Sophie Simpere d’Oxfam : "Les Nigériens ne demandent pas la charité, mais la justice. Les projets de développement doivent être menés par les autorités du pays avec un budget adéquat et pour cela, il lui faut des rentrées fiscales." Une bataille digne de David contre Goliath, à ce détail près que Goliath ne peut, pour l'instant, se passer des ressources en uranium du Niger. Mais pour combien de temps ?