Danki, une localité située à environ 20 km, à l’ouest de Niamey, dans la commune de Boubon, Région de Tillabéri apparaît comme un village ordinaire à première vue.
Une école de 6 classes, dont deux en matériaux définitifs et quatre en paillottes, sans murs de clôture, un forage d’eau équipé de solaire, une mosquée de vendredi , l’œuvre d’une organisation islamique de charité, le tout offre un visage ‘’normal’’ à cette bourgade de près de 2000 âmes.
Cette image d’Épinal cache une réalité où se mêlent le non droit, l’injustice, l’exclusion, le trafic d’influence, la stigmatisation…
En effet, les habitants de ce village agricole sont privés du droit à la terre depuis 10 ans, une décision de justice les ayant déshérités pour leur supposée origine servile, un esclave ne disposant pas de propriété, selon la coutume dans certaines communautés.
À en croire les explications des habitants du village, un prince du canton de Boubon s’est présenté une année pour réclamer tous les 48 champs qu’ils exploitaient, arguant que le village a été créé par les anciens esclaves de ses grands-parents. Par conséquent, toute terre qui est en leur possession, lui appartient logiquement, car « l’esclave n’a pas de droit à la propriété ».
Depuis, la justice s’y est mêlée.
En cette période préparatoire de la saison de pluie, les champs en litige du village sont en friche comme abandonnés à la merci des herbes folles et des plantes invasives, aucune des parties ne pouvant les mettre en valeur.
Hassane Abdou, 72 ans, mari de deux épouses et père de 17 enfants, est à la tête de la chefferie traditionnelle du village depuis 2006 (soit 18 ans).
Comme les 260 chefs de famille déshérités de leurs domaines agricoles, ce chef ‘’sans terre’’ vit cette situation comme une injustice.
« Nos grands parents sont venus du village de Boubon pour s’installer ici depuis que l’esclavage a été aboli. Ils ont commencé par creuser un puits. Il leur a fallu 3 ans de travail avant d’atteindre la nappe phréatique à 66 mètres. Ils étaient 9 chefs de famille. Ils ont élu un chef parmi eux, c’était mon grand-père. C’est comme ça que j’ai hérité de la chefferie », relate le Chef du village.
« Nous menions paisiblement notre vie jusqu’au moment où un prince de Boubon est venu ici pour se présenter à nous et revendiquer la paternité de tous nos domaines, notamment les champs. Il argue que ces terres appartenaient à ses arrières grands-parents qui étaient les maîtres de nos grands-parents », se souvient le septuagénaire.
« En réponse, nous lui avons dit que ces terres n’appartiennent officiellement à personne. Quand nos grands-parents se sont installés ici, ils n’ont trouvé personne. Il rétorqua, ensuite, que ‘’tout ce qui appartient à un esclave, revient de droit à son maître’’. C’est ça en réalité la raison par cet argument il a convaincu les juges pour nous déposséder de nos terres », accuse le chef traditionnel.
Après plusieurs procès devant les juridictions nationales, les habitants de Danki sont finalement dépossédés de leurs terres qu’ils exploitaient depuis des générations, alors que l’agriculture était leur principale source de revenu, tout comme les 85% des Nigériens.
Privés de terre, ces ‘’intouchables’’ s’adonnent à d’autres petits métiers comme le ramassage de bois de chauffe et de la paille pour animaux qu’ils vendent principalement à Niamey ou ils louent leur force comme métayers dans les champs des villages voisins.
« Nous souffrons tous, ces dernières années. Nous arrivons à cultiver, mais dans des champs d’emprunt, qui sont très loin d’ici, alors qu’avant ce problème, je cultivais juste à la sortie du village », raconte avec nostalgie Ali Hamidou, l’Imam du village.
Outre l’exclusion économique liée à leur ‘’ascendance’’, les membres de cette communauté sont victimes de stigmatisation sociale.
«Nos enfants ne s’aventurent jamais à aller chercher en mariage dans d’autres villages par peur d’être humiliés. L’humiliation fait vraiment très mal. Les hommes et les femmes de notre communauté se marient entre eux », regrette une habitante de 50 ans.
Dans certains milieux de la société Zarma -Songhay très conservatrice, le mariage entre une personne considérée comme ‘’noble’’ et un descendant d’esclave n’est pas toléré.
La précarité de revenu, l’ignorance, le manque d’instruction, pendant longtemps les enfants étant privés du savoir, la stigmatisation, l’exclusion de sphère de décision, la collision entre les milieux esclavagistes et les appareils d’Etat sont autant de chaînes de perpétuation de l’esclavage, font savoir les victimes trouvées à Danki.
‘’Même maintenant nous sommes sous l’esclavage’’, se désole Ide Hamidou, un vieillard de 83 ans qui a vécu l’époque coloniale.
La catégorisation touche aussi le sacré : Ali Hamidou, Imam de la mosquée de Danki rapporte que ceux qui se considèrent comme nobles de la zone, refusent de prier derrière une personne d’origine servile, arguant que c’est ‘’haram’’. De telles considérations sont contraires aux enseignements islamiques qui prônent la fraternité entre les coreligionnaires, fait remarquer l’uléma.
«J’ai étudié jusqu’en classe de 5ème. Je regrette énormément d’avoir abandonné l’école. Je fais tout pour que mes enfants étudient bien, afin de pouvoir se défendre et nous défendre à l’avenir face à nos oppresseurs », soutient Zakari Seyni, un jeune du village
La situation du village de Danki fait écho à celle du village de Gouti-Koira, situé à 42 km à l’est de Niamey, commune de Kouré, région de Tillabéri.
Les habitants de Gountou-Koira sont aussi dépossédés de leurs terres par la justice suite à la plainte d’autres citoyens, précisément des habitants d’un village voisin, qui estiment avoir le droit sur toutes leurs propriétés terriennes, expliquent les déshérités.
Selon ces derniers, les habitants de ce village voisin les considèrent comme leurs ‘’esclaves par ascendance’’.
« Nous n’avons aucun champ, ça fait 12 ans que nous ne cultivons plus. Car des gens nous accusent d’être leurs esclaves. Ce qui est un mensonge», se rebelle Yaya Garba, Chef du village de Gountou-Koira.
« Ils s’estiment tout simplement plus forts et plus influents que nous, c’est pourquoi ils ont engagé ce bras de fer avec nous, et finalement ils ont eu le dessus sur nous », avoue-t-il.
Selon lui, tout a commencé quand les habitants de son village ont cessé d’offrir une partie de leur récolte agricole aux habitants du village voisin, ce qui était une pratique établie depuis la création de son village. Avec l’abandon de cette tradition ayant traversé des générations, les habitants du village d’en face ont créé ce « stratagème », qui consiste à leur coller l’étiquette ‘’d’esclaves’’.
« Nous donnions une partie de nos récoltes, mais la génération actuelle des habitants de ce village pense que c’est un droit de propriété terrienne », poursuit Yaya Garba.
Mamou Yayé, une habitante du village se soulève contre ce statut déshumanisant.
« Le statut d’esclave qu’il nous colle n’est pas une vérité. Et d’ailleurs, personne n’a de droit de propreté, de vie, ni de mort sur une autre personne ». « L’esclavage doit être aboli à jamais », revendique la femme de 70 ans, dont le grand-père est le fondateur de Gountou-Koira.
Dépossédé de son champ tout comme les autres villageois, Ali Adamou, un érudit, migre à Niamey avec ses apprenants pour y travailler et créer les meilleures conditions d’études à ses ouailles.
Cet homme de 47 ans s’est, en effet, installé au quartier Saga Gourou, à la périphérie de la capitale, dans une maisonnette qu’il partage avec sa dizaine de disciples et qui leur sert aussi de lieu de l’enseignement.
« Ça fait 6 ans que j’enseigne la Makaranta ici (école coranique). C’est grâce à ce travail que j’arrive à joindre les deux bouts », déclare l’enseignant coranique.
« Les apprenants étudient bien, et parallèlement aux études, ils ramassent des bois morts et de pailles qu’ils vendent dans la ville », ajoute-t-il.
Mais en lieu et place de ce travail de résilience, Ali préférerait encore travailler son champ.
« Tout ceci ne peut remplacer le rendement du travail de la terre. L’agriculture est meilleure à tous ces petits métiers, car c’est ce que nous avons hérité de nos parents et grands-parents. Nous vivions plus heureux quand nous exploitions les champs », affirme-t-il avec un visage exprimant le regret.
« Si nous avions de quoi garder ces enfants pour les enseigner au village, nous n’allions pas venir ici en ville. Nous avons été obligés de nous déplacer pour en même trouver à manger », poursuit l’enseignant de théologie.
« Je suis très triste en tant que Chef de famille d’être dépossédé de mon champ. L’esclavage qu’ils nous attribuent est de la pure jalousie. Leurs grands-parents n’ont jamais été les maîtres des nôtres », s’insurge Ali Adamou. « D’où vient alors ce statut d’esclavage. C’est tout simplement de la jalousie et du dénigrement », juge-t-il.
Dans la lutte pour leurs droits, les habitants des deux localités affirment bénéficier du soutien de certaines organisations dont Timidria, une ONG nigérienne de défense des droits de l'homme qui fait de la lutte contre l’esclavage au Niger son créneau.
C’est ainsi que l’association a introduit le dossier devant la cour de justice de la CEDEAO, dont le Niger est membre, selon Ibrahim Habibou, Secrétaire général de Timidria.
Après procès, la Cour de justice communautaire a rendu une décision le 5 juillet 2023 dans laquelle elle reconnaît l’Etat du Niger comme coupable de plusieurs violations de droits des habitants du Danki et le « condamne (…) à verser la somme de 500.000 (cinq cents mille francs cfa) à chacun des deux cents soixante (26) chefs de famille vivant dans le village de Danki figurant sur la procuration ».
La Cour condamne également l’Etat du Niger « aux entiers dépens qui seront calculés par le Greffe de la Cour ».
Mais à cause du changement politique intervenu dans le pays, depuis le coup d’Etat du 26 juillet 2023 et l’annonce de la République du Niger de se retirer de la CEDEAO, la décision de la Cour communautaire peine à être appliquée par l’Etat du Niger, fait observer le responsable associatif.
Tout comme le cas de Danki, les habitants de Gountou Koira ont épuisé tous les recours judiciaires au niveau national. C’est pourquoi, Timidria a introduit le dossier devant la cour de justice communautaire de la CEDEAO.
Outre la bataille judiciaire, Timidria a entrepris d’autres approches et de soutiens en faveur des déshérités de ces deux localités.
« On a continué le plaidoyer au niveau des gouvernants. On a continué à chercher les mécanismes amiables pour que ces gens reprennent leurs terres. Nous avons engagé des négociations pour un rachat négocié de ces terres. Ce rachat semble être accepté par la partie adverse et les négociations sont en cours », fait savoir Ibrahim Habibou, ajoutant que : « Nous avons mené des plaidoyers pour amener l’Etat à s’intéresser à cette communauté. Elle est établie sur ces terres, mais elle ne les exploite pas. (…) Nous nous sommes dit qu’il fallait faire quelque chose en tant que structure humanitaire ».
« C’est ainsi qu’entre autres, nous avons commencé à lever des fonds pour viabiliser ce village. Nous avons ainsi créé une école communautaire, qui n’existait pas au départ, et que nous avons rétrocédée à l’Etat par la suite. Nous avons construit un puits et nous avons négocié un achat des terres. Nous sommes dans le processus d’achat de ces terres pour les rétrocéder aux personnes à qui elles ont été prises. Pour cela, nous avons trouvé des personnes influentes de la zone que nous avons mises à contribution pour aller vers un achat de ces terres », note la source.
Sur le front législatif, L’ONG Timidria lutte auprès d’autres structures pour un ‘’toilettage’’ des textes sur les pratiques esclavagistes au Niger.
« L’insuffisance du droit nigérien en matière d’esclavage est évidente et nous, au niveau de Timidria, on s’en est toujours plaint et on a toujours décrié cela. Il y a vraiment une certaine ambigüité, parce que dans un contexte où le Niger est parti à plusieurs conventions internationale, disons à toutes les conventions qui luttent contre l’esclavage et la traite des personnes, il est inimaginable aujourd’hui qu’on rende des procès dans lesquels il y a une affaire de l’esclavage et que les autorités donnent raison a des prétendues maîtres d’esclaves. Ça, c’est vraiment une ambiguïté », dénonce le Secrétaire général de Timidria.
C’est pourquoi, indique-t-il, « nous avons engagé un plaidoyer pour la réforme de la loi 2003 qui criminalise l’esclavage. Ce plaidoyer a abouti à une réforme qui est presque à son terme dans le code pénal, notamment en ces dispositions qui concernent la matière de l’esclavage ».
« Donc ces dispositions ont connu une avancée. On est passé d’une partie consacrée à l’esclavage, qui est passée de 3 articles à 14 articles dans le projet du nouveau code pénal. Ce qui veut dire qu’il y a un travail qui a été fait pour être le moins ambigu possible quand on traite de la matière esclavage. Nous avons essayé de capitaliser toutes les erreurs, tout ce que la jurisprudence nous a montré comme insuffisance. Nous avons fait des propositions légales qui soient les plus claires possibles », se félicite le défenseur des droits humains.
Au Niger, il n’existe ni de statistiques consensuelles ni une cartographie documentée sur le sujet. Toutefois, le phénomène persiste sous ses différentes formes avec une tempérance selon les localités et les communautés.
Officiellement l'esclavage est aboli au Niger, mais les organisations internationales comme Anti-Slavery International estiment qu'il y a au minimum 40 000 esclaves dans le pays.