Pendant que les autres quartiers de la ville de Zinder souffrent de manque d’eau, les habitants du quartier Karkada se plaignent d’une inondation qui émerge du sous-sol. Plusieurs habitations sont inondées sans aucun ruissellement des eaux des pluies. Selon l’expertise de la Direction régionale de l’hydraulique, il s’agirait d’une fuite d’eau issues des installations de la Société d’Exploitation des Eaux du Niger (SEEN) devenue la Nigérienne des Eaux (NDE). Cette fuite qui perdure depuis plus de 5 ans a déjà causé des dégâts notamment l’effondrement d’une concession. Aujourd’hui, plusieurs maisons affectées par ces inondations risquent, elles aussi, d’effondrer si aucune solution adéquate n’est trouvée au fléau.
Les habitations du quartier Karkada situé dans la commune 4 de la ville de Zinder, sont menacées d’une inondation. Une humidité persistante se répand dans presque tout le quartier. Il s’agit des eaux incolores qui s’exfiltrent du sous-sol. La voie de la grande mosquée du quartier Karkada, est quasiment sous l’effet de ruissellement des eaux. Ces dernières trouvent leur origine au fond d’une fosse septique d’un ménage installée à l’extérieur. Hassana, une habitante de la maison, nous apprend que « cette eau coule à partir de notre fosse septique il y’a de cela 5 ans , alors que 13 ans avant nous n’avions pas connu une telle situation.»
« La partie émergée de l’iceberg… »
Selon Hassana, les eaux qui proviennent de la fosse n’est que la partie immergée de l’iceberg. Elle nous a conduit dans sa maison où on peut constater des traces d’humidité dans la cour comme si l’endroit a été arrosé. Il s’agit des eaux qui émergent du sous-sol et qui inondent la maison. Dans sa chambre elle nous a montré à quel point sa moquette est toujours mouillée.
La même situation prévaut également chez Kadi, une femme âgée d’une trentaine d’années. Elle relate que « partout dans ma maison c’est de l’humidité comme si on arrose la cour régulièrement et cela nous dérange d’autant plus que cette eau a favorisé la présence des moustiques dans la maison. »
« Du fait de la fraîcheur engendrée par l’inondation, on n’a du mal à avoir une stabilité pendant la nuit ». Cette instabilité est aussi soutenue par un habitant qui a choisi l’anonymat en expliquant que « la nuit pour alléger l’effet de la fraîcheur, on est obligé de porter des chaussettes.»
En creusant à moins d’un mètre pour quelques travaux ménagers, les riverains de Karkada atteignent facilement l’eau. Pour les habitants du quartier « cette eau nous empêche de creuser des fosses septiques. Dès qu’on commence à creuser quelques mètres, l’eau envahit la fosse et on finit par abandonner ». Pour éviter le risque d’effondrement « nous avons installé les fosses septiques à l’extérieur de la maison » parce qu’elles sont inondées par cette eau.
Pour Malam Idriss « ma maison est tellement inondée que j’ai placé des cailloux dans la cour pour pouvoir mieux circuler. C’est pour cette raison je l’ai remblayée. » A chaque fois Idriss refait la même action quand l’inondation s’intensifie. « Pendant la période hivernale la situation devient plus grave que ce que nous vivons maintenant » a-t-il ajouté, parce que l’eau de pluie vient s’ajouter à l’eau qui provient du sol.
Maman Sani Moudjitaba, parlant devant une fosse en dehors de sa maison nous apprend que « Initialement c’est une fosse septique mais elle est devenue aujourd’hui un puits où nous utilisons son eau pour la lessive et certaines tâches quotidiennes. »
Sur le même chapitre, une vieille femme du quartier témoigne : « On a l’habitude de dire que l’eau agit doucement et je suis convaincue car elle est sur le point d’affecter négativement notre concession malgré qu’elle soit construite en matériaux définitifs ». Elle poursuit en disant que « j’ai une fois laissé un billet de 2000 F CFA sur le sol et il était complètement mouillé le lendemain ».
On compte déjà des victimes
A cause de cette inondation d’eau, des maisons et boutiques sont fissurées et les dégâts continuent de se propager. Une des victimes déplore l’état de sa maison en ces termes : « Regarde ma maison, c’est à cause de cette inondation qu’il y’a autant de fissures. » Idriss relate avec mécontentement que « le mur de ma chambre à l’extérieur est détérioré sous l’effet de cette inondation. » Il ajoute que « beaucoup des maisons ont vu leurs fosses septiques effondrées. »
Le dégât le plus important est l’effondrement de la maison de Malam Moussa Ibrahim, un enseignant à la retraite. Lorsque la victime a constaté l’inondation de sa maison le 11 Octobre 2017, elle a averti la SEEN de la présence d’une fuite. En réponse à sa préoccupation, « la société avait dépêché une équipe sur le terrain pour une opération de recherche de fuites dans les zones d’installation de canalisation d’eau au quartier Karkada » témoigne Malam Moussa.
Une fuite dévastatrice !
Dans son rapport de mission sur le terrain daté du juillet 2018, la société a déclaré que « des sondages effectués par fouille et par endroit font apparaitre des couches partout (dans la rue et les concessions). Sachant que la fuite ne concerne pas la maison du plaignant, une campagne de recherche de fuite a été lancée dans le secteur, mais aucune fuite n’a été constatée sur le réseau »
Après avoir déterré et isolé la conduite, le niveau d’écoulement de l’eau a baissé. Par la suite la société a entamé « une recherche sur les branchements se trouvant sur la conduite. » Par conséquent « tous les branchements de la zone étaient isolés, et on a procédé à les remettre un à un. »
Ensuite, « aux deux derniers branchements, on a constaté la reprise de l’écoulement d’eau. C’est une fuite intérieure à notre installation qui a été réparée par le client et les jours suivant toute la zone s’est asséchée ». Le rapport de la société tire la conclusion suivante : « Cependant il faut noter que durant toutes ces recherches, aucune fuite n’a été réparée sur le réseau de la SEEN ; la fuite intérieure (après installation SEEN) étant à la charge du client ».
La situation de la maison de Malam Moussa s’est aggravée car il fut contraint de quitter la maison avec sa famille pour se réfugier à la grande Mosquée de Vendredi de Karkada. Jour après jour, les constructions de la maison du retraité se sont écroulées. Pour réagir, il a d’abord invité les autres victimes pour ester la SEEN à la justice. Par indifférence à son appel, il a décidé seul de traduire la SEEN en justice pour les dégâts qu’elle a causé à sa maison par la fuite des canalisations.
Le juge avait ordonné aux deux parties de payer une expertise de la direction régionale de l’hydraulique de Zinder « pour trouver l’origine de la fuite d’eau responsable de l’inondation du domicile de Monsieur Moussa Ibrahim ». Le rapport de l’expertise s’est appuyé sur plusieurs point notamment : « les factures de cette concession qui sont restées régulières durant presque toute la durée de l’inondation (6 mois) ».
La profondeur des fouilles des installations intérieures de la concession de Malam Moussa ne dépasse pas 0 ,30 m. Durant la période des fouilles, aucun signe de l’inondation n’a été observé dans la concession. C’est pour démontrer que la fuite n’est pas intérieure.
Selon la décision de la justice rendue le 13 Juillet 2021 sur cette affaire, « Ce sont certainement les installations de la SEEN qui sont à la base de l’importante fuite d’eau à la base de l’inondation source de l’effondrement des constructions de la maison de l’intimé. » D’où la condamnation de la SEEN à payer Malam Moussa la somme de 7 895 191 F CFA pour la responsabilité « des dégâts occasionnés (…) et à titre de dommage et intérêts. »
Malam Moussa a quitté définitivement sa maison effondrée pour s’installer dans une nouvelle concession qu’il a achetée avec l’argent obtenu de dédommagement. Malgré sa victoire, les autres victimes n’ont pas entrepris une démarche pour ester la SEEN à la justice. « Nous ne connaissons pas les procédures pour traduire la SEEN en justice »
Les témoignages des habitants du quartier Karkada expliquent que « l’eau s’arrête d’inonder nos ménages quand il y’a des coupures d’eau. » Le 22 Janvier 2024, le chef d’exploitation de la SEEN Zinder a témoigné qu’ils ont refait toutes les installations en 2023, malheureusement « on ne sait pas de quoi s’agit-il ».
En mars 2024, la SEEN a publié un programme de délestage pour assurer la déserte de l’eau dans la ville de Zinder toujours confrontée à la pénurie d’eau. Après la mise en application du programme de délestage l’eau a brusquement cessé de couler sur la voie de la mosquée Karkada et d’inonder les maisons.
Le directeur régional de l’hydraulique actuel que nous avons rencontré en mai 2024 nous a fait savoir qu’il ne s’agit pas des eaux de la SEEN. N’a-t-il pas hérité le rapport d’expertise de son institution sur ce dossier ? Il faut dire qu’en dépit de toutes les recherches et la condamnation judiciaire de la SEEN, le problème reste entier. Un vrai mystère ! Jusqu’ici, il n’y a pas de certitude sur l’origine de l’inondation car 2 thèses s’affrontent : celle des installations de la SEEN et celle d’une cause inconnue pouvant être liée à un écoulement naturel. Mais cette dernière hypothèse est-elle vraiment plausible dans la ville de Zinder connue pour son manque d’eau souterraine ?