Dans un ouvrage fort intéressant, le Professeur Ismaila Madior FALL rappelle que l’ancien Président de la Cote d’Ivoire M. Henri Konan BEDIE raconte dans son livre que lorsque l’ancien Président Léopold SEDAR SENGHOR a, volontairement, quitté le pouvoir, le Président Félix HOUPHOUET BOIGNY lui avait confié : « moi, je n’aime pas ces histoires d’ancien président »[1].
Houphouët avait peut être raison dans un environnement politique où les devenirs post présidentiels étaient incertains. Ces incertitudes ont poussé et poussent encore certains chefs d’Etat à vouloir s’accrocher au pouvoir au mépris de toute idée d’alternance.
Seulement, de plus en plus, dans les Etats africains, le nouveau constitutionnalisme prône d’une part, la limitation des mandats présidentiels et d’autre part, le départ démocratique, pacifique et volontaire du pouvoir. Dans ce contexte, il devient opportun d’aménager un statut aux sortis du pouvoir.
A ce sujet, il faut relever que dans les colonnes de Jeune Afrique n° 2028 du 23 au 29 Novembre 1999, Nicéphore Dieudonné SOGLO déclarait : « après tout, que demandent les chefs d’Etat pour passer le témoin ? Qu’on leur donne des garanties ». C’est dans cette logique générale qu’il faut comprendre et examiner les dispositions de la loi n° 94-003 du 3 février 1994, fixant le régime applicable à la pension des anciens Présidents de la République. Cette loi va au-delà de ses avantages pécuniaires car son article 3 dispose que « les anciens Présidents de la République jouissent de l’inviolabilité et de l’exemption de juridiction.
Sauf cas de flagrant délit, ils ne peuvent être entendus, mis en état d’arrestation, gardés à vue, ni poursuivis qu’après la levée de l’immunité qui pourra être ordonnée par la Cour suprême toutes Chambres réunies ».
L’exégèse de cette disposition combinée avec les dispositions de l’article 142 de la constitution de la 7e République permet de constater le souci de sécuriser les anciens chefs d’Etat nigérien à travers l’aménagement d’un statut précis (I). Toute fois, ce statut ne renvoi, nullement, les humiliations et souffrances de ses bénéficiaires post mortem. Il est assorti des limites indiquant les voies permettant d’inquiéter ses bénéficiaires (II).
C’est à la lumière de ces éléments que la réflexion tentera d’appréhender la situation juridique particulièrement complexe du Président TANDJA.
Des privilèges statutaires reconnus aux anciens Présidents de la République
En général, deux catégories d’avantages ou priviléges sont accordés aux anciens Présidents de la République dans les Etats modernes. Il s’agit des avantages matériels et une protection judiciaire.
Au titre des premiers avantages, rappelons, rapidement, qu’en prévision de leur chute ou de leur retraite, il a été donné de constater que la plupart des chefs d’Etats africains se sont illustrés par leur fortune personnelle impressionnante. Le contexte ayant changé, il ne faut pas que les chefs d’Etat de la période démocratique soient angoissés par le problème de leurs moyens de subsistance après leur sortie du pouvoir. En effet, selon certains auteurs, c’est cette angoisse qui les pousse à détourner et à accumuler les richesses du patrimonial national. C’est pourquoi, certains Etats dont le Niger, ont adopté des lois instituant une pension et autres logistiques aux anciens Présidents de la République.
L’art. 1 de la loi n° 94-003 du 3 février 1994 précédemment citée dispose qu’ « il est alloué aux anciens Présidents de la Ré- publique une pension sous forme de dotation mensuelle d’un montant égal au quadruple du traitement de base afférent à l’indice le plus élevé attribué aux fonctionnaires de l’Etat en activité. Le droit à la pension … est ouvert aux ayants droits. La pension sera réversible sur la tête de la ou des veuve (s) et en cas de remariage ou de décès de celle (s)-ci sur la tête des enfants mineurs de l’ancien Président ».
Le législateur se montre particulièrement généreux à l’égard des anciens chefs d’Etat car dans d’autres Etats, cette pension et avantages sont personnels et viagers. Pour les autres avantages, voir Décret n°94-036/PRM du 4 Mars 1994, portant modalités d’application de la loi 94-005 du 3 Février 1994 fixant le régime applicable à la pension des anciens Présidents de la République, JORN du 1er Mai 1994.
Au titre de la protection juridique ou judiciaire, qui intéresse la présente réflexion, il faut noter que les Présidents ont toujours redouté, à leur sortie du pouvoir, les poursuites judiciaires qui peuvent les mener dans des situations dégradantes. C’est la hantise d’être traduit en justice et de se retrouver en prison qui les amène alors à se pérenniser à la présidence afin de garder leur position de pouvoir qui leur confère l’immunité voire l’impunité.
C’est dans le souci de garantir cette sécurité judiciaire aux anciens Présidents de la République que le législateur nigérien a choisi de faire d’une pierre deux coups à travers la loi de 94 précitée. En effet, dans cette loi qui a pour objet principal la fixation des avantages matériels et logistiques des anciens Présidents de la République, le législateur a inséré l’art. 3 qui traite du statut judiciaire ou pénal des destinataires de la loi. Il s’agit, peut être, d’un cavalier législatif au regard de l’objet de la loi, à l’image des cavaliers budgétaires qui renvoient à une disposition non financière contenue dans une loi de finances.
Seulement, en l’espèce, la question de la constitutionnalité de la dite loi a été déjà traitée par le juge constitutionnel (Sur ces éléments voir Dr. TALFI Bachir https://www.facebook.com/pages/Dr-Bachir-TALFI/227941760706415?fref=ts ).
En substance, cette loi dispose sans aucune ambigüité que les anciens Présidents de la République du Niger jouissent d’une inviolabilité et d’une exemption de juridiction.
L’inviolabilité renvoi à une certaine idée qui a prospéré sous les anciennes monarchies selon laquelle, la personne du Roi est sacrée. En conséquence, il ne peut être atteint ni dans son corps ni dans ses biens. Mais comme nous le montrerons dans la deuxième partie de cette réflexion, l’inviolabilité dont il est question au Niger n’est qu’une immunité procédurale à ne pas confondre avec l’irresponsabilité qui est une immunité de fond.
L’exemption de juridiction renvoi quant à elle à l’interdiction de déférer l’ancien Président de la République devant les juridictions[2].
Au regard de ces deux règles (inviolabilité et exemption de juridiction), la loi nigérienne de 1994 laisse entendre qu’un ancien Président de la République ne peut être ni entendu ni gardé à vue ni mis en arrestation encore moins poursuivis ; sauf peut être de son propre gré, auquel cas, il a entendu renoncer à la protection.
Pour le cas de Tandja, il est clair qu’il s’agit de l’entendre, c’est-à-dire de l’auditionner au sujet des déclarations qu’il aurait tenues. Un tel acte entre, incontestablement, dans le champ d’application de la loi ci-haut visée. Contrairement, à ce qui a été soutenu, l’audition envisagée constitue selon les pénalistes les plus autorisés, un des éléments de l’enquête préliminaire. Celle-ci étant présentée par Jean Pradel comme « la partie du procès pénal qui se déroule avant le déclenchement des poursuites ».
L’éminent pénaliste ajoute que cette enquête aux fins soit d’identification d’une personne ou d’élucidation des faits a pour objet de fournir un minimum d’éléments afin que le procureur de la République puisse exercer l’opportunité des poursuites[3].
Ainsi entendu, toute audition du Président TANDJA, en l’état actuel du droit nigérien, constitue une illégalité que rien ne saurait justifier[4].
Cependant, cette loi ne doit pas pousser à conclure à la volonté de tourner le dos à l’idée de traduire les anciens Présidents de la République en justice et de leur garantir par là une impunité totale. En effet, cette loi prévoit des limites, et c’est à ce niveau que des problèmes juridiques se posent et révèlent une certaine incohérence, une absence de vision d’ensemble dans la production normative au Niger.
Des privilèges statutaires assortis des limites complexes
De prime abord, soulignons que cette loi ne s’applique qu’aux anciens Présidents de la République, c’est-à-dire ceux qui ont accédé à la magistrature suprême selon la procédure décrite par la constitution et les autres lois de la République.
A leur sujet, elle pose le principe de l’inviolabilité et de l’exemption de juridiction. Par la suite, elle précise la nature des actes qui ne peuvent pas être pratiqués sur ces Présidents (audition, poursuite, garde à vue, arrestation).
Elle revient, enfin, pour fixer deux limites à ce principe : une limite de fond (cas de flagrant délit) et une limite procédurale (l’intervention des chambres réunies de la Cour suprême).
La première limite concerne le fond. Elle est liée à l’existence d’un cas de flagrant délit. Il ya flagrant délit lorsque les infractions se voient, s’entendent, se perçoivent ou alors qu’elles se commettent actuellement ou elles viennent juste de se commettre ou que l’auteur est désignée par la clameur publique ou qu’il a été trouvé en possession d’objets.
Dans tous ces cas, la poursuite est immédiate pour empêcher la disparition des preuves[5].
C’est pourquoi, en pareille circonstance, la loi nigérienne de 1994 permet d’auditionner, de poursuivre, de garder à vue et d’arrêter un ancien chef d’Etat sans aucune formalité préalable.
Cependant, en l’espèce, le fait de déclarer avoir laissé une certaine somme, constitue t-il une infraction flagrante susceptible de permettre l’audition d’un ancien Président de la République sans aucune formalité préalable ? Assurément non.
La deuxième limite est d’ordre procédural. En effet, l’art. 3 de la loi de 1994 affiche clairement qu’il est possible, en dehors de cas de flagrant délit d’arrêter, de poursuivre, d’entendre, de garder à vue un ancien Président de la République.
Mais pour cela, il faut que les chambres réunies de la Cour suprême ordonnent la levée de son immunité. En d’autres termes, il faut préalablement, à toute audition, garde à vue, arrestation obtenir la levée de l’immunité de l’ancien Président. Celle- ci est décidée par les chambres réunies de la Cour suprême qui sont censées présenter une certaine garantie d’impartialité.
L’on constate qu’il s’agit d’une simple immunité procédurale qui conditionne l’audition de l’ancien Président de la République à l’intervention préalable de la Cour suprême. Une fois, l’immunité levée, la loi de 1994 semble soutenir qu’il peut être poursuivi, auditionné sans discernement, c’est-à-dire pour n’importe quel acte accompli.
En effet, l’allure rédactionnelle de la loi ne permet d’établir aucune distinction entre les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions et les actes accomplis en dehors de l’exercice de ses fonctions du Président de la République. Du coup, l’on peut être tenté de le poursuivre ou de l’auditionner sans discernement en application de cette loi.
Or, lorsque l’on s’intéresse aux dispositions de l’art. 142 de la constitution actuellement en vigueur au Niger, il est écrit que « le Président de la République n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison ».
En conséquence, en dehors des cas de haute trahison, limitativement, énumérés par la constitution, le Président de la République est irresponsable, c’est-à-dire qu’il ne peut répondre devant aucune instance judiciaire. De ce fait, pendant et après l’exercice de ses fonctions, il ne peut être entendu, gardé à vue, arrêté pour les actes accomplis dès lors que ces derniers ont un lien avec la charge présidentielle.
Il apparait, à ce niveau une certaine contradiction entre une loi qui prévoit une immunité procédurale et la constitution qui accorde une immunité de fond. Face à une telle situation, l’on pense tout naturellement à la théorie de Hans KELSEN de la pyramide des normes pour faire prévaloir la constitution sur la loi de 1994.
En conséquence, il bénéficie d’une irresponsabilité totale, c’est-à-dire, une immunité de fond que rien ne saurait ébranler. En effet, l’affirmation selon laquelle, une certaine somme a été laissée au moment du coup d’Etat n’est qu’une révélation de l’existence d’un acte accompli ou dont il a eu connaissance au moment où il était Président de la République.
Le fait de garder cette somme quelque part, peut dès lors être rattaché à l’exercice de ses fonctions car c’est parce qu’il était Président qu’il a pu l’accomplir. Par conséquent, elle peut être versée dans le champ d’application de l’art. 142 de la constitution. Ensuite, ne constituant pas, en tant que tel, un acte de haute trahison, le Président TANDJA se trouve dès lors couvert contre toute tentative d’audition ou arrestation.
La loi est dure mais c’est la loi.